L’écrivain Romain Gary – ou son pseudonyme Emile Ajar – « détient une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires » qui « nous enferment et nous assassinent », affirme Delphine Horvilleur, à travers son dernier livre « Il n’y a pas de Ajar ».
Dans ce conte philosophique qui sort jeudi (Grasset, 90 p.), la rabbin, figure en France du judaïsme libéral (progressiste) donne la parole à un personnage fictif, Abraham Ajar, qui serait le fils d’Emile Ajar. Un monologue durant lequel ce personnage projette son lecteur dans l’univers de l’écrivain, questionne la Bible, la mystique ou l’humour juifs, et surtout, interpelle sur les débats d’aujourd’hui.
A l’origine de ce texte, il y a d’abord une « passion » pour l’œuvre de Romain Gary. Et la fascination pour cette « entourloupe littéraire », ce « pied de nez au monde » qu’a été l’utilisation par l’écrivain de son pseudonyme, déclare Delphine Horvilleur, dans un entretien à l’AFP. Et puis, « le sentiment très fort que Gary, ou Ajar, détient une clé pour nous aider à traverser ces temps d’obsessions identitaires », poursuit-elle.
« Car il faudrait être aveugle pour ne pas percevoir combien, depuis quelques années, il y a de gens autour de nous obsédés par leur identité…, tout en étant incapable de la définir, mais qui la lient à quelque chose de leur origine, de leur naissance, de leur ethnie, de leur +race+, de leur genre, de leur ressenti. » Des « assignations identitaires qui nous enferment et nous assassinent littéralement ! » résume-t-elle.
« Il a quelques années, je m’étais dit qu’il faudrait créer une journée nationale, à l’image de la Pâque juive ou des Pâques chrétiennes, une +Fête du pas que+, où on se rappellerait qu’on n’est pas +qu’une chose+. C’est parti d’une blague mais c’est parce que je constatais – beaucoup après les attentats de 2015 – que lorsque j’étais interrogée, je n’était plus que +juive+ », explique-t-elle.
Seul en scène
L’œuvre de Gary permet donc « de revisiter les éléments de millefeuille de nos identités » et de « tout ce qu’on pourrait encore être », dit-elle. A travers ce texte, Delphine Horvilleur veut par ailleurs « poser une autre question : est-on les enfants de nos parents et de notre temps ou est-on les enfants des livres qu’on a lus et des histoires qu’on nous a racontées ? »
En ces « temps de conflit intergénérationnel », il est urgent de « retisser les liens de la conversation entre les générations » et pour cela « il y a les récits et les histoires qui se transmettent », répond-elle.
Singularité: « Il n’y a pas de Ajar » est, dès sa sortie, joué sur les planches: le monologue d’Abraham est interprété dans un « seul en scène » aux Plateaux sauvages à Paris, du 19 au 29 septembre, avant une tournée dans d’autres théâtres à l’automne et cet hiver.
Et c’est une comédienne, Johanna Nizard, qui interprète Abraham. « Je trouvais ça beaucoup plus fort qu’il puisse aussi avoir les traits et le corps d’une femme, qu’il puisse aussi incarner le féminin », explique l’autrice, car « cela introduit du trouble » et permet de « surprendre ».
Attention, met toutefois en garde la responsable de culte; ce texte n’est « pas un plaidoyer rabbinique », cela reste « une farce théâtrale« , avec un « personnage qui pousse un peu le trait ».