Dans son nouvel essai, mêlant expérience personnelle et enquête, la journaliste et autrice Marie Kock s’attaque avec brio à la figure sexiste de la « Vieille fille ».
À 38 ans, Marie Kock s’est “retirée du game”: elle a arrêté de chercher un homme. « Et ça a été un énorme soulagement”, précise la journaliste et autrice d’un nouvel essai intitulé Vielle fille (Éd. La Découverte, en librairies le 8 septembre prochain). Alternant récit intime et enquête journalistique, la quadragénaire s’attaque avec talent à la figure stéréotypée et profondément sexiste de la vielle fille, celle qui ne se marie pas, n’a pas d’enfant et que la société, en général, se représente comme triste et aigrie.
“Le célibat et l’absence d’enfant sont assimilés à une vie qui n’est pas vécue pleinement, en particulier quand il s’agit des femmes, explique Marie Kock. Je ne considère pas que ma vie est exceptionnelle mais je ne l’ai pas pour autant ratée. On a fait du couple et de la famille les critères d’une existence réussie, et on leur a donné beaucoup trop d’importance.” Sans prosélytisme, la journaliste parle même d’une “révélation”: “J’ai retrouvé du temps de cerveau disponible et une liberté totale sans ressentir l’obligation d’en faire quelque chose de grandiose.”
Avec cet ouvrage, Marie Kock réhabilite la “vieille fille” et enjoint la société à envisager qu’il existe d’autres chemins que celui du couple et de la parentalité, ni plus ni moins enviables mais différents et tout aussi joyeux.
Qu’est-ce qui t’a décidé à écrire ce livre?
J’avais envie de partir d’un sujet qui me concernait et celui-ci en particulier, car il y a eu un moment où j’ai trouvé dommage d’avoir passé autant de temps à croire que je désirais être en couple et avoir des enfants alors que finalement, ce n’était pas le cas. J’ai attendu pendant des années de rencontrer un homme avec lequel fonder un foyer et ça n’est jamais arrivé. Puis je me suis rendu compte que si je n’avais pas mis tout en œuvre pour y parvenir, c’est sans doute parce que je n’y aspirais pas tant que ça. Ma vie, que j’ai longtemps perçue comme étant un peu en dessous de celle des autres, me convenait totalement et m’évitait tout un tas de contraintes, de compromissions, de violences. On décrit souvent le couple et la famille comme un havre de paix mais c’est surtout un lieu de pouvoir, de frustrations, d’attentes déçues et de petites violences quotidiennes qu’on accepte de subir en échange d’un peu de sécurité et de stabilité. Je n’ai pas obtenu la médaille mais je n’ai pas non plus à encaisser le revers de la médaille.
Comment as-tu vécu la pression sociétale qui pousse les femmes à se mettre en couple et à devenir mère?
Je suis journaliste et j’ai longtemps vécu à Paris dans un milieu assez ouvert et festif donc j’ai été épargnée par une forme de stigmatisation sociale. Ce qui a été plus difficile à vivre, c’est cette idée, qui est véhiculée absolument partout, selon laquelle, en n’ayant pas d’enfant, on ne connaît pas le grand amour, cet amour absolu bien plus grand que tous les autres. J’ai ressenti une certaine pression en me disant que je n’aurais jamais accès à ce sentiment.
Tu écris qu’au Moyen-Âge, les femmes qui ne voulaient ni se marier ni entrer au couvent décidaient de s’emmurer vivantes, peux-tu nous dire davantage sur celles qu’on appelait les recluses?
C’était une solution extrême, un geste radical que je trouvais intéressant car ça montre bien l’impasse dans laquelle se retrouvaient ces femmes qui ne voulaient pas dépendre d’une autorité paternelle. Leur seule possibilité, pour être indépendantes, c’était de vivre en dehors du monde, emmurées à l’abri des regards car la société ne voulait pas voir celles qui décident de vivre sans mari, sans dieu et sans enfant. En même temps, les gens leur reconnaissaient une certaine forme de sagesse et de clairvoyance car ils allaient les consulter, en douce souvent, pour avoir des arbitrages sur la vie du village. Lorsque j’ai décidé de me retirer de la vie amoureuse, je me suis aussi retirée du monde de l’entreprise: j’ai beaucoup moins d’ambition qu’avant, je ne cherche plus à « faire partie de”, à être sur la route principale avec les autres. Je trouve que la vraie liberté est dans le fait d’être “à côté”, pas dedans, comme ces emmurées volontaires qui, elles aussi, se trouvaient à côté des villages.
Déjà, à l’époque, le prix à payer pour les femmes qui décidaient de vivre seule était, c’est le moins que l’on puisse dire, lourd, l’est-il un peu moins aujourd’hui?
Oui, il l’est, c’est certain mais ça reste quelque chose qui est encore très peu valorisé. Ça reste mal vu de décélérer, de se mettre sur le bas-côté, d’être dans une forme de parcimonie dans les domaines de l’amour et de la sexualité. Il me semble que c’est mieux perçu de réinventer d’autres modèles, comme le polyamour par exemple, car in fine, il faut quand même participer à la machine.
Dès l’enfance, les petites filles vivent avec l’épouvantail de la vieille fille qui finit, comme tu l’écris, “dévorée par ses chats dans l’indifférence générale”, pourquoi le célibat féminin n’est-il jamais présenté comme une option envieuse?
Je crois que le grand tabou, c’est d’imaginer qu’une femme peut avoir une vie heureuse et autonome sans le regard et l’amour de l’homme. D’ailleurs, la société a fait des vieilles filles des femmes sans coeur, incapables de joie et d’amour. Faire contre, c’est accepté; faire avec, c’est encouragé mais faire sans, c’est ça qui est insupportable pour la société patriarcale dans laquelle nous vivons.
Pourquoi a t-on autant de mal à remettre en cause le modèle du couple?
C’est difficile à dire mais je pense que le couple, c’est aussi une façon de s’imposer tout un tas d’obligations et de contraintes logistiques qui ne laissent plus beaucoup de temps pour le reste et ça permet peut-être de ne pas subir le grand vertige existentiel, l’absurdité de la vie. S’occuper des autres, ça permet de combler l’espace et de ne pas trop se poser de questions sur le sens de notre existence.
En quoi la vieille fille dérange-t-elle l’ordre établi?
Autant, au début, elle est plainte, mais une fois que tout le monde est casé autour d’elle, elle l’est un peu moins. En effet, elle joue un rôle de révélateur car toutes les contraintes que connaissent les couples et les familles, elle, elle ne les subit pas.
Tu écris que l’amour est une denrée rare et que cela ne sert à rien de penser que tout le monde peut y avoir accès, c’est-à-dire?
Je trouve qu’on est éduqué·e dans l’idée que l’amour est un droit, personnellement je trouve ça très optimiste car pour moi, l’amour, c’est plutôt un miracle: ça n’arrive pas tous les jours et ce n’est pas pour tout le monde. Je me suis rendue malheureuse à attendre l’amour, pensant que j’allais aussi y avoir droit à un moment donné. Ça m’a libérée de me dire que ce n’était peut-être pas pour moi mais qu’il y aurait autre chose. Si on arrivait à se dire que l’amour est une sorte de loterie et non la résultante d’une méritocratie, on serait plus heureux·ses. On ne l’attendrait pas en vain et on saurait que des vies joyeuses sont possibles sans.
Vieille fille, Marie Kock, Éd. La Découverte, en librairies le 08/09.