Magali Berdah a reçu près de 70 000 messages d’insultes antisémites, après que Booba l’a présentée en complice d’escroqueries. Il l’accuse aussi d’être liée au Mossad.
C’est l’affaire qui, tout l’été, a attisé le feu sur les réseaux sociaux. Un interminable feuilleton, qui oppose sur Instagram et Twitter des personnages hauts en couleur et rompus aux clashs digitaux : d’un côté, le rappeur Elie Yaffa, alias Booba, 5 millions de followers, habitué des prises à partie violentes ; de l’autre, Magali Berdah, 41 ans, experte du buzz et puissante patronne de Shauna Events, une agence qui gère le business des candidats de télé-réalité. L’objet du clash, qui s’étale désormais dans les médias traditionnels : depuis Miami, où il vit, le « duc de Boulogne », en concert le 3 septembre au Stade de France, joue les redresseurs de torts et dénonce ce qu’il estime être des « arnaques » d’influenceurs installés à Dubaï. Booba, qui sait que le sujet est médiatiquement porteur, a déposé plainte contre X pour « pratiques commerciales trompeuses » et « escroquerie en bande organisée » en juillet dernier. Et bien que le parquet de Grasse, qui a été saisi du dossier fin août, n’aie pour l’heure pas ouvert d’enquête, le rappeur poursuit Magali Berdah, papesse du marketing d’influence, de sa vindicte depuis bientôt quatre mois.
Durant l’été, l’affaire a pris un tour inquiétant quand les fans chauffés à blanc du rappeur l’ont également prise en chasse. Entre la mi-mai et fin juillet, Magali Berdah a reçu pas moins de 69 687 messages haineux – constats d’huissier à l’appui -, la plupart renvoyant aux hashtags associés à Booba : « la piraterie n’est jamais finie » (la Piraterie Music est le label créé par Booba), « OKLM » (son média), un drapeau de pirate, etc. Par comparaison, la jeune Mila harcelée après avoir posté en 2020 des messages extrêmement virulents envers l’islam, en avait reçu environ 100 000.
« Je reçois entre 300 et 500 messages par jour, et je ne peux pas couper mes réseaux sociaux, c’est mon outil de travail », explique la patronne de Shauna Events. Face au déferlement de messages violents, une enquête pour menaces de mort, harcèlement et injure publique à caractère racial a été ouverte le 1er juin par le Pôle national de lutte contre la haine en ligne, créé en 2021 au sein du parquet de Paris. Des signalements ont été faits sur la plateforme en ligne Pharos , qui permet d’alerter sur les contenus haineux et dangereux sur Internet. Les investigations sont confiées à l’OCLCH (Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, génocides et crimes de guerre), qui compte une division dédiée à la lutte contre les délits de haine (qui avait traité l’affaire Mila). Huit enquêteurs traquent les comptes les plus virulents. Pour l’heure, aucune interpellation n’a encore eu lieu. En attendant, l’influenceuse, également chroniqueuse de l’émission de C8 Touche pas à mon poste, animée par Cyril Hanouna, ne vit plus. Le directeur de la police nationale, Frédéric Veaux, n’estime toutefois pas nécessaire pour l’heure de lui fournir une protection rapprochée. Mais la police surveille les abords de son immeuble. Et la jeune femme a engagé deux gardes du corps, dont un qui dort chez elle.
« Une haine antisémite omniprésente dans ce dossier »
Le 26 juin, Magali Berdah a dû quitter son domicile parisien après que son adresse et son numéro de téléphone, ainsi que l’étage et la porte palière de son appartement ont été diffusés sur un compte Instagram, « la piraterie ou rien », suivi par 120 000 personnes. On y voyait aussi des photos du chien de la patronne de Shauna Events, des clichés de son salon, et le compte Instagram de l’agent de sécurité qu’elle emploie, avec son emploi du temps. Assorti d’un message : « On va venir vous attacher, toi, tes enfants, ta tapette de mari et vous serez ligotés dans votre salon et vous allez nous voir tout dévaliser. Nous on n’a pas d’âme. Un faux pas, ne serait-ce qu’UN seul, balle dans la tête pour vous tous avec un silencieux. » Le même auteur, une heure plus tard : « En France, y’a pas de justice ahah. Si je te braque, je vais en prison et je prends 7 à 8 ans, en vrai, je fais la moitié […]. Donc, faire couler votre sang, c’est pas un souci. » Une semaine avant, alors que Magali Berdah demandait une énième fois que cesse cette campagne de harcèlement, Booba avait ricané et posté : « Plus tu agonises, plus ça m’excite ! »
D’autant que Booba souffle sur les braises et attise la haine antisémite de certains de ses fans, qui n’en attendaient pas plus pour se lâcher. Le 15 juillet dernier, il publie un tweet dans lequel il l’accuse d’être liée aux services secrets israéliens : « La go elle m’a envoyé le Mossad sans sucre à Miami pour m’éteindre, tracker sous les gammos [NDLR : les 4X4] , caméra infra-rouge, filature etc j’en ai démasqué un dans les poubelles j’l’ai dépouillé et ça veut faire la victime… ». « En affirmant, dans une vidéo puis un tweet le 15 juin dernier, avoir réchappé à une expédition punitive attribuée au Mossad, et en associant Magali Berdah à ces faits imaginaires, M. Yaffa (Booba) a intentionnellement attisé la haine antisémite omniprésente dans ce dossier« , assure Me Antonin Gravelin-Rodriguez, l’un des avocats de la patronne de Shauna Events. En témoignent les messages vocaux reçus par Magali Berdah dans la foulée. « Va vivre en Israë, sale pute. Crois pas que parce que t’as la communauté juive avec toi t’es intouchable. Le jour où ça va partir en couilles en France, vous serez les premiers à brûler, bande de salopes. On mettra vos têtes sur des piques et on ira en place publique. Tout le monde sera content. Le jour où ça va partir en couilles dans ce pays, vous serez les premiers à brûler », radote un courageux anonyme.
Pour Magali Berdah, pas de soutien de la part du gouvernement
Idem le 22 juillet dernier après la diffusion par Booba, sur Twitter, d’une caricature digne de la presse antisémite des années 1930, représentant Marlène Schiappa, le nez crochu, face à une Magali Berdah assise sur un sac de billets… « Dommage que Hitler ne s’est pas occupé de tes grands-parents », a notamment reçu, dans la foulée, l’influenceuse. Le rappeur n’a jamais pris la parole publiquement pour condamner ces propos, mais son avocat, Patrick Klugman, a rappelé dans un communiqué que son client « n’est pas responsable de ces menaces ». Il précise à L’Express que « plus on pointe les turpitudes de la société Shauna Events, plus Magali Berdah utilise les insultes antisémites pour faire écran de fumée et ne pas répondre sur le fond. Je considère que c’est un système de défense ».
Les membres du gouvernement, qui avaient si bien su jouer avec la visibilité de la patronne de Shauna Events lors du précédent quinquennat, restent mutiques, et ne semblent pas prendre la mesure du problème. Marlène Schiappa, nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’économie sociale et solidaire, a tweeté le 6 août dernier pour défendre la blogueuse Léna Situations, victime, elle aussi, d’un raid estival, mais n’a pas eu un mot pour celle qu’elle avait pourtant reçue il y a six mois pour médiatiser son action contre les violences faites aux femmes. Il est vrai que Léna Situations, première influenceuse française invitée au prestigieux Met Gala, ne traîne pas l’image sulfureuse des stars de la télé-réalité.
Par Stéphanie Marteau