En Allemagne l’été 2022 a été émaillé d’ « incidents » antisémites. Ainsi, Le Mémorial de Buchenwald déplore des «provocations et des destructions».
Du tronc de l’arbre décapité poussent des branches déjà feuillues. «C’est un signe d’espoir», commente Philipp Neumann-Thein, le directeur adjoint du Mémorial de Buchenwald. Au pied du prunier, une plaque commémorative rappelle qu’il a été planté le 11 avril 2015 par Laurent Dassault, en mémoire de son père, Marcel, «légende de l’aviation» et détenu d’août 1944 à avril 1945. À quelques mètres de là, un cerisier est encerclé de tuteurs qui maintiennent d’aplomb sa couronne.
Le 20 juillet dernier, c’est cet homme affublé d’un petit bouc et de boucles d’oreille qui a découvert que sept arbres fruitiers, dédiés à la mémoire de déportés français, allemands, communistes, juifs ou des 1600 enfants morts dans le camp de concentration avaient été sciés en bordure d’un chemin forestier, le long de la route du sang, celle que les prisonniers ont construite juste avant la guerre sous les coups des SS et les menaces des chiens. «J’allais au travail à vélo quand j’ai vu ça. J’ai pris des photos et déposé plainte à la police» précise Philipp Neumann-Thein. Nous avons reçu beaucoup de messages de soutien, et des jardiniers du coin sont venus nous aider à soigner ces arbres , souligne-t-il, encore «totalement bouleversé par cet acte d’une grande lâcheté».
L’émotion est alors considérable et internationale. Les dons affluent. «Pour chaque arbre attaqué, nous en planterons quatre», promet Rola Zimmer, la directrice de l’association Lebenshilfe Werk, à l’origine de l’initiative «1000 arbres». Les nazis avaient déporté 280.000 personnes dans le camp de concentration de Buchenwald. Environ 56.000 d’entre elles ont été assassinées ou sont mortes de faim, de maladie ou à la suite d’expériences médicales. À quelques pas des baraquements du camp, Anne-Marie, une Française en vacances dans la région et dont le mari allemand vient de lui expliquer l’incident de vandalisme, se met en colère contre cette «double agression: contre la mémoire et contre la nature».
Marche silencieuse
Bodo Ramelow, le président (Die Linke) de la région de Thuringe, a interrompu ses vacances pour participer à une marche silencieuse, sur un tronçon de la route empruntée par les déportés à la fin de la guerre, forcés de participer aux «marches de la mort» vers les camps de Dachau et Flossenbürg. Le maire de la ville voisine de Weimar, éponyme de la République d’entre-deux-guerres, offre 10.000 € de récompense pour tout indice pouvant conduire à l’arrestation du ou des coupables. Une première pour ce type d’affaires. «Nous enquêtons dans toutes les directions, précise Hannes Grünseisen, procureur général d’Erfurt. Mais le fait que ce délit a été commis le jour anniversaire de l’attentat contre Adolf Hitler en 1944 est un fait que nous prenons en compte.»
Le Mémorial de Buchenwald est régulièrement pris pour cible par des «provocations ou des destructions» répertoriées dans la revue Reflexionen, que compulse Philipp Neumann-Thein, dans son bureau situé au rez-de-chaussée du bâtiment occupé autrefois par l’administration du camp. «Croix gammées gravées, saluts hitlériens, manifestations d’opposants aux réfugiés ou aux mesures sanitaires dans le cadre de la pandémie de coronavirus: les tensions politiques ou dans la société finissent toujours par se répercuter sur des lieux de mémoire comme le nôtre. Nous sommes à l’avant-poste. Le 15 juillet dernier, un homme politique local encarté à l’Alternative pour l’Allemagne a été condamné à 30.000 euros d’amende pour avoir porté un T-shirt d’une marque prisée par les néonazis lors d’une conférence organisée à Buchenwald, consacrée au révisionnisme historique.
En Allemagne, l’été a été ponctué de nombreux incidents à caractère antisémite. À la Chancellerie fédérale, le chef de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas a pu déclarer qu’«Israël avait commis 50 Holocaustes dans 50 villages et villes palestiniens». Et la directrice générale de la Documenta de Cassel, la plus grande exposition d’art contemporain au monde, a dû démissionner après l’exposition d’une fresque réalisée par le collectif d’artistes indonésiens Taring Padi. Décrochée en raison du scandale, la bannière intitulée People’s justice («la justice du peuple») représente un soldat avec une tête de porc et une étoile de David, ainsi qu’un homme aux dents pointues, un chapeau avec l’inscription des SS et un cigare au coin de la bouche, rappelant les caricatures antisémites des années 1930.
Dans une interview donnée hier aux journaux du groupe Funke, Felix Klein, le responsable fédéral de la lutte contre l’antisémitisme, redoute que des groupes politiques n’ayant rien d’autre en commun que le mécontentement social s’unissent dans la haine des Juifs. On sent que quelque chose se prépare. Le premier semestre avait marqué un net recul des délits antisémites, 965 contre 1749 lors des six premiers mois de 2021.