Expulsé mais introuvable, l’imam proche des Frères musulmans Hassan Iquioussen pourrait s’être réfugié en Belgique, selon la préfecture du Nord. Dans le pays, le fréro-salafisme est particulièrement vigoureux et bien implanté, atteignant parfois même le gouvernement.
Mais où est donc Iquioussen ? L’imam du nord de la France demeure introuvable après qu’il a fui les autorités françaises désireuses de l’expulser pour des propos antisémites et misogynes contenus dans ses nombreux prêches. Mercredi 31 août, la préfecture du Nord indiquait à l’AFP qu’il se trouvait « probablement » en Belgique. Une information contestée, dans les colonnes du Figaro par l’un des fils du prédicateur, désormais visé par un mandat d’arrêt européen pour « soustraction à l’exécution d’une décision d’éloignement », dont son avocate conteste la légalité. Jeudi soir, les autorités belges n’avaient pas eu connaissance de l’émission d’un mandat d’arrêt européen et une porte-parole du ministère belge de la Justice a indiqué à l’AFP que Hassan Iquioussen ne figurait pas dans les fichiers de police comme étant recherché en Belgique ; mais le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin persiste, affirmant depuis que l’imam était « manifestement en Belgique ».
Pourquoi la Belgique ?
Outre la proximité du plat pays, à quelques kilomètres de sa résidence de Lourches, l’imam lié à l’organisation islamiste des Frères musulmans pourrait disposer sur place du réseau de solidarité et d’entraide fréro-salafiste. « Il a le soutien des islamistes en Belgique, »confirme à « Marianne » Fadila Maaroufi, cofondatrice de l’Observatoire des fondamentalismes en Belgique. « D’ailleurs, Franck Amin Hensch, un islamiste verviétois qui n’a jamais caché son admiration pour Iquioussen en a parlé sur son compte Facebook. Hensh, tout comme Iquioussen, respecte et sont nourris au discours de Yusuf Al-Qaradâwi théologien des Frères musulmans antisémite, homophobe et soutien du terrorisme. » Pour cette militante laïque très engagée dans la lutte contre l’islamisme en Belgique, ces prêcheurs fréro-salafistes « ne s’en cachent pas : ils font des appels de solidarité pour Iquioussen, défendent les prédicateurs intégristes et les institutions islamistes étrangers en se mobilisant depuis la Belgique » .
Laïcité inclusive et entrisme fondamentaliste
Une autre entité liée à l’islam intégriste a d’ailleurs émigré en Belgique après avoir été dissoute en France : le Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), devenu Collectif contre l’islamophobie en Belgique, et même CCIE en tant qu’entité européenne. « Attention : se reconstituer en Belgique, ça ne veut pas forcément dire rester en Belgique » précise Florence Bergeaud-Blackler, directrice de recherche au CNRS, spécialiste de l’intégrisme islamique et également cofondatrice de l’Observatoire des fondamentalismes. « La Belgique, c’est francophone, c’est à côté, il suffit d’aller y déposer les statuts et de reprendre la route. » Preuve par l’exemple : le fondateur du CCIF, le militant islamiste Marwan Muhammad, vit désormais… en Turquie. « je dirais que la Belgique est une terre de repli parce que le réseau de soutien frériste y est particulièrement actif et très discret », poursuit la chercheuse. La stratégie d’implantation et d’entrisme menée par la galaxie fréro-salafiste bénéficie en Belgique d’une conception de la laïcité bien différente de la France, dite « « inclusive » » : « « Cette vision se retrouve même au sein des centres d’action laïque, qui sont d’ailleurs financés comme des cultes. Depuis une dizaine d’années, cette institution est complètement paralysée et est aujourd’hui l’objet d’entrisme. » Fadila Maaroufi complète : « Les autorités belges sont complaisantes avec les islamistes – ils l’ont toujours été. On peut même retrouver certains islamistes en politiques, dans l’enseignement, les associations… »
Derrière l’expulsion d’Iquioussen, l’islamisme qui vise les jeunes sur les réseaux sociaux
Dans ce contexte, la Belgique ne connaît pas de loi de séparation des Églises et de l’État ni de loi sur le voilement, les cours de religion bénéficient de financements de l’État et le débat public connaît, depuis plus longtemps, la même polarisation que le débat français : les partis de gauche et les écologistes « taxent d’extrême droite tout discours critique de l’intégrisme sous couvert de défense des minorités. Ça ressemble beaucoup à la France, avec cinq ans d’avance », explique Florence Bergeaud-Blackler. Autre point d’importance : la présence à Bruxelles des institutions européennes, auprès desquelles les associations liées aux Frères musulmans mènent un lobbying extrêmement soutenu. Lobbying qui vise à influer la politique européenne, comme l’a montré « Marianne » lorsque le Conseil de l’Europe a lancé sa campagne en faveur du voilement des femmes – « la liberté est dans le hijab ».
La confrérie entre au gouvernement
Une affaire est symptomatique du degré d’implication des militants islamistes dans la vie publique du pays. En juin dernier, une nouvelle commissaire du gouvernement a été nommée par Sarah Schiltz, la secrétaire d’État à l’égalité et à la diversité : Ihsane Haouach, une femme musulmane voilée. « Nous avions identifié qu’elle était proche du « European Forum of muslim women » (EFOMW), l’une des émanations féminines de la Confrérie des Frères musulmans. Nous l’avons dit publiquement et nous n’avons pas été pris au sérieux. » Comprendre : l’Observatoire des fondamentalismes a été taxé de racisme par une partie de la presse et des politiques belges.
Mais, quelques jours après l’alerte, c’est la Sûreté de l’État belge elle-même qui confirme cette proximité. Dans un rapport, l’institution note « des contacts étroits » entre la nouvelle commissaire et la confrérie des Frères musulmans et revient sur les méthodes de l’organisation frériste afin d’atteindre son objectif, qui est « l’islamisation progressive de la société européenne dans toutes ses composantes ». Pour ce faire, la stratégie des Frères musulmans « est principalement basée sur le militantisme [activisme] social-politique, le lobbying et l’entrisme, animé par une « élite d’avant-garde » de militants fréristes instruits », poursuit la Sûreté de l’État belge. « La plupart des médias ont placé Ihsane Haouach en position de victime, à l’époque », se souvient Fadila Maaroufi. La nouvelle commissaire du gouvernement a préféré démissionner.
« On a parlé du Londonistan, on peut parler en Belgique de Bruxellistan, » lance Florence Bergeaud-Blackler. « Les tenants du fréro-salafisme sont entrés dans les partis politiques, dans les associations anti racistes de lutte contre les discriminations, les comités d’action laïc, dans le sport… Ils ont pénétré tout le tissu associatif bruxellois, et d’autres villes comme Charleroi ou Liège. »
Un Iquioussen bien embarrassant
Est-ce à dire qu’Hassan Iquioussen serait largement soutenu outre-Quiévrain s’il venait bien à s’y trouver ? Une différence de taille sépare les Frères musulmans français de leurs homologues du plat pays : les modes d’action. « Les Frères belges ont une approche beaucoup plus politique, plus discrète, que les Français. Ce sont des gens qui sont plus discrets, qui agissent par l’intermédiaire des réseaux anti racistes et qui se couvrent toujours », analyse la directrice de recherche au CNRS. Alors bien sûr, une solidarité de fait existe entre les proches et soutiens des Frères musulmans, mais, pour Florence Bergeaud-Blackler, « Hassan Iquioussen, c’est plutôt un enfant terrible, il est difficilement maîtrisable. Je pense qu’il a gêné tout le monde, y compris l’UOIF, la confrérie et sa tendance belge. »
Gêné, à quel point ? La grande angoisse de la confrérie, c’est que le « problème Iquioussen » s’importe en Belgique, important également la politique de la France en matière de lutte contre l’intégrisme islamique. « Ils savent que les Français vont faire pression et que, si le problème arrive jusqu’à l’Union européenne, ça pourrait leur être très préjudiciable. Ils veulent faire profil bas ».
Jean-Loup Adenor