Le caractère antisémite du meurtre d’Eliahou Haddad doit faire l’objet d’investigations des enquêteurs. Le compte Facebook du tueur présumé pose question.
Un mobile antisémite ou pas ? Le procureur de la République par intérim de Meaux a annoncé, mardi 30 août, que l’enquête sur le meurtre d’Eliahou Haddad, le 19 août dernier, ne comporte pas, à ce stade, « d’élément objectif mettant en lumière une motivation discriminatoire, et notamment antisémite ». Les affirmations, qui ont circulé sur certains sites communautaires, selon lesquelles le suspect aurait déclaré auprès des enquêteurs avoir commis cet homicide car la victime était juive, ont été formellement démenties par le parquet. Mais le compte Facebook du suspect, Mohamed D, est truffé de messages anti-Israël, voire anti-juifs. Ce qui pose la question du rapport entre la personnalité du meurtrier présumé et son passage à l’acte : au moment où il a tué la victime, avait-il des intentions antisémites ? Auprès de l’Express, Maître Elie Korchia, l’avocat de la famille Haddad, demande désormais que « toute la lumière soit faite dans l’instruction en cours sur les circonstances et les motivations de ce crime atroce ».
Les faits se seraient déroulés le 19 août dernier, à Longperrier, en Seine-et-Marne, au domicile de la victime. Selon une source proche du dossier, Eliahou Haddad, 44 ans, ne travaille pas ; il souffre de plusieurs problèmes de santé, notamment l’obésité et le diabète. Il connaît Mohamed D., 24 ans, depuis plusieurs années. Des connaissances communes les ont présentés. Le vingtenaire, qui n’aurait jamais été condamné en France et ne présente pas d’antécédents psychiatriques connus, réalise parfois de petits travaux chez Eliahou Haddad, notamment en échange d’un hébergement. Tous deux sont de nationalité tunisienne ; en situation régulière pour la victime, en situation irrégulière pour son meurtrier présumé. L’un est juif, l’autre est musulman.
Coups de hache sur le crâne
Le soir des faits, Mohamed D. se trouve déjà à son domicile lorsque Eliahou Haddad rentre chez lui. Aux enquêteurs, l’auteur du meurtre expliquera avoir bu. Il affirmera aussi que son geste était intervenu « en réaction à des attouchements prodigués à son encontre par la victime dans un contexte d’alcoolisation ». Selon une source proche du dossier, Mohamed D. a donné plusieurs coups de hache sur le crâne de la victime. Des coups de couteau ont également été donnés. Puis il dit avoir enfoui le corps sur le terrain attenant au domicile d’Eliahou Haddad, où il a été bien été retrouvé. Contrairement à ce qui a pu être écrit sur certains sites, son visage n’a en revanche pas été brûlé. Le 21 août, Mohamed D. se rend de lui-même dans un commissariat de Montreuil (Seine-Saint-Denis) pour reconnaître les faits. Il a été mis en examen pour « homicide volontaire » et placé en détention provisoire. L’enquête a été confiée au groupement de gendarmerie de Seine-et-Marne, sous l’autorité d’un juge d’instruction.
Selon nos informations, Mohamed D. n’a pas été interrogé, lors de sa première garde à vue, sur le contenu de son compte Facebook. Sur ce profil public, qu’une source proche du dossier authentifie, Mohamed D. se dit habitant de Montreuil et originaire de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis. Il y multiplie les messages religieux, qui forment l’immense majorité de sa production virtuelle. Le 17 août dernier, il a écrit en arabe la « chahada », qui est la profession de foi essentielle et un des cinq piliers de l’islam : « J’atteste qu’il n’y a de divinité qu’Allah, et j’atteste que Mohamed est le messager d’Allah ». Il a également publié ce même message le 28 avril, le 16 mars et ainsi que les 13 décembre, 11 novembre, 3 août, 22 avril, 19 avril 2021 et plusieurs fois en 2020. Il a aussi partagé plusieurs discours de Recep Tayyip Erdogan, le président turc, tous en lien avec l’islam, ou encore, le 19 septembre 2020, deux prêches du cheikh Saleh Al-Fawzan, professeur de charia et conseiller islamique du roi d’Arabie saoudite.
Au cours de l’été 2020, Mohamed D. publie plusieurs fois par semaine les discours de ce prédicateur, que le Comité interministériel de prévention de la délinquance présente, dans son kit de « prévention de la radicalisation », comme « l’héritier contemporain » du « salafisme saoudien ». Le 2 juillet 2020, il relaye aussi une série de photos d’exactions françaises durant la guerre d’Algérie, accompagnées du message suivant, en arabe : « Allah maudit la France et ceux qui aiment la France ». Le 1er juillet 2020, il relaye encore la vidéo de l’agression à Paris de l’activiste tunisien Jalel Brik, opposé aux islamistes dans son pays. Quatre jeunes l’ont roué de coups, le 11 juin. « Voilà le sort de Jalel Brik, ce mécréant qui insulte dieu », déclare en arabe une des personnes qui filment, selon Le Courrier de l’Atlas. Le 18 mai 2020, il publie aussi la vidéo d’une bagarre entre deux hommes. « Un jeune homme d’Oran frappe un autre jeune homme qui a violé le caractère sacré du Ramadan à Paris », est-il écrit.
« Nos frères palestiniens »
Sur ce profil, Mohamed D. a plusieurs fois abordé la question des juifs ou d’Israël. Le 20 septembre 2020, il partage sur son compte, avec un smiley « rigolard », un échange entre une journaliste de télévision et le prédicateur émirati Waseem Yousef. Selon la traduction en anglais de cet échange qui figure sous son message, la journaliste demande à Yousef, défenseur de l’accord de normalisation entre les Emirats arabes unis et Israël, si cet accord avec « les Juifs » n’est pas « interdit ». Au téléphone, Yousef demande alors à la journaliste de lui citer un verset du Coran qui interdirait un tel accord, ce qu’elle s’empresse de faire. « Allah vous défend seulement de prendre pour alliés ceux qui vous ont combattus pour la religion, chassés de vos demeures et ont aidé à votre expulsion », cite la journaliste, ce qui correspond au verset 9 de la sourate 60 du Coran. Dans l’extrait, Yousef raccroche instantanément, comme défait.
Le 1er juillet 2020, il publie une compilation de vidéos de coups de couteau donnés par des Palestiniens à des militaires israéliens, accompagné du mot suivant, en arabe : « Nos frères palestiniens et les opérations à l’arme blanche ». Le 2 mai 2020, il relaye une vidéo publiée par Al-Jazeera montrant un homme se faisant pousser et subtiliser son drapeau d’Israël par des supporters tunisiens criant « Palestine », pendant la coupe du monde de football en Russie, en 2018. Le 8 décembre 2017, il a publié un message hostile à Israël : « Ya ALLAH détruit la colonie des sionistes sanguinaires et criminels en Palestine. (…) Ya ALLAH accorde la victoire à l’Islam et aux musulmans », a-t-il écrit. Le 28 novembre 2019, il a aussi publié une photo montrant un homme au visage recouvert d’un drapeau de l’Algérie en train de brûler un drapeau israélien.
Ces éléments, qui éclairent une partie de la personnalité du meurtrier, devraient faire l’objet d’investigations spécifiques dans les prochains jours. Les enquêteurs chercheront à savoir si cette aversion de Mohamed D. pour Israël a un lien avec son passage à l’acte. Eliahou Haddad a été enterré ce jeudi 1er septembre en Israël, où réside une partie de sa famille.
Par Étienne Girard