En Angleterre, sur la base d’investigations très poussées, les chercheurs ont pu déterminer, à partir d’études génétiques, que les victimes trouvées en 2004 ont sans doute été la cible d’une tuerie antisémite.
Le mystère est désormais levé. La quinzaine de squelettes humains découverts en 2004 au fond d’un puits médiéval au Royaume-Uni sont probablement ceux de victimes d’un massacre antisémite perpétré il y a plus de 800 ans, révèle une étude. L’attaque se serait produite en 1190 dans la ville de Norwich (est de l’Angleterre), là où quelques décennies auparavant, les juifs locaux avaient été accusés du meurtre d’un enfant chrétien, ce qui avait semé les graines d’une « théorie antisémite du complot juif qui perdure jusqu’à nos jours », écrivent les auteurs de l’étude.
The presence of that many skeletons, many children, some with head injuries and some head first, strongly indicates they were deliberately thrown in the well in a murderous or violent act. Radiocarbon dating puts the incident securely between 1161–1216 CE. pic.twitter.com/jvIIOikj9z
— Dr Adam Rutherford (@AdamRutherford) August 31, 2022
Les scientifiques ont déployé une multitude de techniques, dont la génétique, pour lever le voile sur cette mystérieuse tuerie. Tout a commencé en 2004 avec la mise au jour, à l’occasion de travaux d’aménagement, d’au moins 17 restes humains – 6 adultes et 11 enfants – dans un ancien puits. Les corps y avaient été déposés de manière désordonnée, certains placés la tête la première, suggérant une mort violente.
Ian Barnes, généticien au Muséum national d’Histoire naturelle de Londres, a commencé à s’y intéresser en 2011, alors qu’il travaillait sur un documentaire consacré aux affaires non élucidées (« cold case ») de l’histoire. « Nous pensions d’abord que ces individus avaient été victimes d’une épidémie type peste, ou d’une famine », raconte ce généticien, l’un des auteurs de l’étude parue cette semaine dans Current Biology.
Prédispositions génétiques similaires
La datation au radiocarbone a pu déterminer que les décès étaient survenus à une époque située entre 1161 et 1216. En parallèle, des analyses d’ADN ancien prélevé sur six des victimes ont révélé qu’elles étaient prédisposées à certaines maladies génétiques. Des simulations numériques ont ensuite montré que la fréquence de ces maladies – qui auraient pu frapper ces personnes du fait de leurs prédispositions – était quasiment similaire à celle observée chez des populations juives ashkénazes contemporaines. Suggérant un probable ancêtre commun.
Ces résultats apportent un éclairage nouveau sur un épisode connu de l’histoire mais non précisément daté et dont on ignore la cause, au cours duquel la population juive ashkénaze a soudainement diminué. C’est cet événement, appelé goulot d’étranglement démographique, qui est à l’origine de ces variantes génétiques.
Selon Mark Thomas, co-auteur de l’étude et généticien à l’University College de Londres, ces découvertes « suggèrent fortement » que ce goulot d’étranglement a précédé la tuerie de Norwich, et qu’il serait survenu bien plus tôt que selon les précédentes estimations.
Leurs analyses convergeaient vers des émeutes antisémites documentées
Les scientifiques ont découvert de surcroît qu’un jeune garçon enterré dans le puits avait les cheveux roux – stéréotype antisémite de l’époque. Au final, toutes leurs analyses convergeaient vers des émeutes antisémites documentées qui éclatèrent à Norwich le 6 février 1190. « Le sentiment antisémite était alors renforcé par les préparatifs de la troisième croisade » destinée à reprendre Jérusalem, souligne Ian Barnes.
Et moins de 50 ans auparavant, la famille de Guillaume de Norwich, un jeune garçon retrouvé brutalement assassiné, avait accusé les juifs locaux du meurtre. L’affaire fut le premier cas connu d’accusation antisémite de meurtre rituel à l’encontre d’enfants chrétiens. « Ces corps retrouvés dans le puits représentent une occasion unique de remonter aux racines des théories du complot juif qui persistent encore aujourd’hui », a commenté, dans un Tweet, Adam Rutherford, généticien à l’University College de Londres, qui n’a pas pris part à l’étude.