La charité, les paniers de nourriture et les dures réalités de la vie quotidienne sont les luttes auxquelles sont confrontées des familles à Jérusalem.
Un garçon maigre (appelons-le Avrum) se tient sur le trottoir, attendant avec impatience la camionnette qui devait arriver il y a 10 minutes avec le colis alimentaire hebdomadaire de la famille. A son arrivée, un jeune homme en tenue haredi descend rapidement et donne à Avrum le carton contenant, comme d’habitude, une bouteille d’huile, du jus de raisin pour le Kiddouch, deux challot, deux paquets de pâtes, deux boîtes de concentré de tomate, du sucre, des cornflakes, ainsi que des légumes frais et des produits laitiers. Habituellement, il y a aussi un paquet de bonbons ou de biscuits, qui sont rapidement dévorés par Avrum et ses frères et sœurs.
Il s’agit du tarif standard pour ces forfaits alimentaires, avec de légères variations d’une organisation à l’autre. Certains mettent davantage l’accent sur les fruits et légumes frais, d’autres sur le pain ou les pâtes à tartiner au chocolat et les confitures. Certains incluront également de la volaille ou du poisson – tout cela en fonction de la capacité financière de ces organisations.
Le panier hebdomadaire d’épicerie qui arrive au domicile de ces familles ne leur fournit qu’une partie de leurs besoins, mais ce n’est pas le seul. Les familles connues des services sociaux sont enregistrées auprès de ces organisations caritatives, qui fournissent des paniers alimentaires ou des bons d’achat ou, ces dernières années, également une sorte de carte de crédit avec des montants fixes qui servent à l’achat de produits alimentaires dans les chaînes de discount.
Le père d’Avrum est décédé il y a environ un an d’une grave maladie. Avrum vit dans une petite maison en location avec ses trois frères et une sœur ; sa mère tente de faire face, sans succès mesurable, à la difficile réalité quotidienne. Avrum est chargé de recevoir les fournitures qui arrivent chaque semaine, de trois organisations différentes opérant dans la ville. Il ne s’agit pas de tromper le système mais d’un réel besoin vital – un panier alimentaire régulier ne peut pas satisfaire à lui seul les besoins de la famille pendant une semaine, alors la plupart des familles reçoivent des paniers de plusieurs organismes. « C’est un garçon très sage, très mature pour son âge, qui a depuis longtemps compris la dure réalité dans laquelle sa famille survit à peine. Il a un mélange déchirant de résignation et de colère face à cette situation », note l’assistante sociale en charge du dossier familial depuis des années.
Les milliers d’Israéliens appauvris
Avrum et sa famille ne sont qu’une des milliers de familles nécessiteuses de la capitale, nous rappelant que derrière la façade rutilante d’un pays qui réussit, il y a encore beaucoup d’enfants et d’adultes parmi nous pour qui le repas de demain est la chose la plus incertaine de leur vie. Le dénominateur commun de ces familles est leur dépendance quasi totale vis-à-vis de l’assistance des services sociaux et des organisations caritatives pour subvenir à leurs besoins essentiels. Bien que les raisons qui les ont amenés à cette situation puissent varier, il existe des dénominateurs communs : pas de revenus élevés au fil des ans en raison du manque d’éducation, des familles nombreuses à faire vivre, le décès ou la maladie grave d’un parent.
La plupart de ces familles (et aussi de nombreux individus, généralement âgés) font partie d’une famille élargie où la pauvreté sévit d’une génération à l’autre, les condamnant ainsi à rester dans un cycle de pauvreté. Les hommes ultra-orthodoxes sont souvent absents du marché du travail. Les femmes arabes n’entrent pas sur le marché du travail pour des raisons culturelles et les hommes arabes manquent souvent des compétences nécessaires en hébreu, ce qui entrave également leur entrée sur le marché du travail.
Au cours de la dernière décennie, les jeunes familles dans lesquelles les deux conjoints travaillent se retrouvent encore sous, ou légèrement au-dessus, du seuil de pauvreté. La raison en est les salaires relativement bas dans la ville, comme les emplois liés aux services. Cela contraste avec les postes de haute technologie à haut salaire dans le centre du pays.
Des paniers de nourriture à des milliers de familles pauvres à Jérusalem
L’association Pitchon Lev distribue chaque semaine plus de 160 000 paniers alimentaires à des milliers de familles démunies. La semaine dernière, dans un geste presque désespéré, l’organisation a distribué 120 paniers de nourriture vides aux politiciens et aux décideurs, pour les sensibiliser à la pauvreté en Israël et aux difficultés quotidiennes des plus de 1,8 million de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Comme lors des cinq dernières élections, la pauvreté n’était pas du tout à l’ordre du jour.
La pauvreté en Israël – et plus précisément à Jérusalem – n’est pas une question de choix entre des produits chers ou moins chers. Pour les 47% des habitants de Jérusalem (sur 971 000 habitants de la ville) définis comme vivant sous le seuil de pauvreté, c’est un choix quotidien et impossible entre le pain et le lait, entre les couches et les médicaments. En l’absence d’un plan national et gouvernemental pour éradiquer la pauvreté, la plupart des familles et des individus qui ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins sont aidés par des organisations caritatives qui se concentrent sur l’approvisionnement en produits de première nécessité – nourriture, aide à l’achat de médicaments, vêtements et fournitures scolaires.
Depuis de nombreuses années, les services sociaux municipaux fournissent des services de soutien, ainsi que des références à ces associations d’aide, et soutiennent qu’il n’y a pas d’adultes ou d’enfants qui souffrent de la faim à Jérusalem. Mais cette position est fallacieuse, puisque sans l’aide d’associations caritatives, ils mourraient de faim. Le regretté professeur Avraham Friedman, ancien PDG du Jerusalem Institute for Policy Research, l’a défini précisément dans les années 1990, lorsqu’il a déclaré que la pauvreté n’est pas seulement un manque de nourriture, mais l’absence d’horizon et l’absence d’espoir pour un Meilleur futur.
Le professeur Yuval Elbashan, un avocat communautaire qui, depuis 1997, n’a cessé de s’adresser aux personnes ayant besoin d’assistance dans le domaine des droits sociaux, est très préoccupé par la situation actuelle. En 1997, il fonde et dirige le service juridique de YEDID – The Association for Community Empowerment. Aujourd’hui, il est doyen du campus multiculturel de l’Ono Academic College à Jérusalem. « L’aide des associations est problématique car en fait c’est « pisser dans un violon », on donne quelque chose qui atténue un peu la détresse mais ne traite vraiment pas le fond du problème », a-t-il déclaré. « De plus, l’activité des organisations permet à l’État d’ignorer son devoir envers la population et de continuer à tout privatiser, sans aucune compassion ni logique. Le problème de la pauvreté ne peut pas être résolu par les organisations, il est beaucoup trop grand. Cela ne peut se faire qu’au niveau d’un gouvernement. Et le gouvernement se sent libéré, puisque les gens reçoivent ces aides privées et il peut continuer à l’ignorer. »
Line Tubiana avec jpost