De 1942 à 1944, des milliers d’enfant juifs ont vécu les rafles et la déportation. Dans « Les Presque Sœurs », son quatrième roman qui sort ce vendredi 19 août, Cloé Korman part sur les traces de six d’entre eux.
S’enclenche alors une (en)quête sur les traces de ces trois sœurs Korman – Mireille, Henriette et Jacqueline – et du petit groupe de « presque sœurs » qu’elles formèrent durant sept mois avec les sœurs Kaminsky – Andrée, Jeanne et Rose.
De juillet 1942 à l’été 1943, ensemble, les six petites filles d’origine polonaise vont se faire rafler à Montargis, enfermées dans les camps de Pithiviers et Beaune-la-Rolande avant d’être baladées de foyer en foyer à Paris, séparées puis réunies à plusieurs reprises.
Cloé Korman a marché dans leurs pas. Du Loiret à Paris, elle a posé le regard là où l’avaient fait ses petites cousines et cherché les traces du régime de Vichy dans la France d’aujourd’hui.
Une « mise à feu du génocide » depuis le Loiret
« Il y a quelques années, je suis allée par hasard à la cité de la Muette, à Drancy. Ça m’a bouleversée. J’ai compris à ce moment-là que je n’avais pas en tête les lieux de la déportation en France. Et j’ai réalisé que pour prendre la mesure des crimes qui ont eu lieu, il fallait justement en connaître les lieux », rembobine l’autrice, attachée à rappeler que l’histoire est concrète. « C’est regrettable que parfois les discours mémoriels portent les choses de manière trop vague. Ce qui permet de comprendre, c’est la matérialité, c’est le où et le comment. »
Là où étaient les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, Cloé Korman a pu saisir la « cruelle et terrifiante ampleur de l’organisation » du génocide. Et son pendant, « la cruauté qui surgit même dans la désorganisation » : comme il avait été établi que chaque convoi transporterait mille personnes, s’il n’était pas complet, des rafles étaient ordonnées à la dernière minute pour quelques personnes supplémentaires.
En tout, depuis ces deux camps du Loiret, que Cloé Korman qualifie « d’endroits de mise à feu du génocide en France », 12.000 personnes ont été déportées.
« Si j’avais une seule morale à tirer de tout cela, à transmettre à mes enfants […], ce serait de prendre la mesure des mensonges putrides dont est capable un État jusqu’à assassiner ceux dont il a la protection avec la bonne conscience qui s’autorise des tampons de commissaires et la respectabilité des signatures de sous-préfets », écrit-elle.
Enquêter au présent
Son approche, au plus près du présent, lui a permis de lutter contre une forme de fatalisme. « En utilisant uniquement des archives et en racontant l’histoire par la fin, avec un seul point de fuite, c’est accablant. Car l’administration du génocide est tragique et très fermée. En enquêtant au présent, on laisse place à l’aléatoire. Enregistrer des sons, prendre des photos, parler avec des témoins, ça crée des ouvertures, ça contrebalance le tragique et ça laisse entrer l’imprévisible. Et quand on fait attention à l’imprévu, on comprend mieux comment on peut prendre des tangentes. »
Les destins des sœurs Korman et Kaminsky ont été liés plusieurs mois durant. Puis les sœurs Korman, après leurs parents en juillet 1942, ont été déportées et assassinées en juillet 1944. Les sœurs Kaminsky ont elles réussi, après six tentatives avortées, à prendre la fuite pour rejoindre leur père en zone libre. Les circonstances ont créé des bifurcations.
Le 17 juin, Cloé Korman a été nommée conseillère discours et argumentaires auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse Pap Ndiaye. Elle a été marquée par le travail de l’historien : « Une œuvre qui apporte de la tolérance. » Et apprécie cet exercice d’écriture « à flux tendu ». « Je n’écris pas les prises de parole techniques », explique-t-elle. « Je suis là pour essayer de capter l’actualité, dire quelque chose du moment, tout en remettant cela en perspective avec une vision de long terme. »