L’une des enquêtes sur les fraudes au chômage partiel pendant le confinement se développe désormais en Israël. Les autorités locales ont interpellé cinq personnes suspectées d’avoir réalisé les opérations de blanchiment de la dizaine de millions d’euros d’aides publiques détournées par un jeune de Pantin (Seine-Saint-Denis) en 2020.
Après l’interpellation et la mise en examen de trois membres d’une famille franco-israélienne en juin 2021, un dossier de fraude au chômage partiel ouvert par le parquet de Paris vient de connaître un développement spectaculaire ce lundi en Israël. Cinq personnes (quatre hommes et une femme) ont ainsi été interpellées par les autorités de Tel-Aviv dans le cadre d’une enquête ouverte en Israël pour fraude fiscale et blanchiment. Certaines d’entre elles seraient des petits génies de l’informatique, spécialistes des blockchains et de la cryptomonnaie. Elles sont suspectées d’avoir fourni l’ingénierie utilisée pour exfiltrer et dissimuler des fonds détournés en 2020 par Dan J., un trentenaire originaire de Pantin (Seine-Saint-Denis), et deux de ses proches (sa femme et son père).
À l’époque, ce trio aurait usurpé l’identité d’environ 3 800 entreprises réelles ou purement fictives afin de percevoir indûment des aides au chômage partiel versées par l’État français lors de la première phase de la pandémie de Covid-19. Au cours de cette période, de multiples escroqueries facilitées par l’absence de contrôles et le sentiment d’urgence se sont développées dans l’Hexagone pour un montant global estimé aux alentours de 200 millions d’euros. S’agissant de l’argent public possiblement détourné par Dan J. et ses complices, la fraude s’élèverait à 14,5 millions d’euros selon une source proche de l’enquête.
Tracer l’argent détourné
Une moitié de cette somme aurait été récupérée aux cours des investigations. Plus d’un an après son interpellation, le jeune Francilien, 31 ans, est toujours en détention provisoire et mis en examen pour escroqueries et tentatives en bande organisée, blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs. Il conteste être « l’animateur de cette escroquerie » et n’aurait joué qu’un rôle d’exécutant au service de personnes vivant en Israël. « Mon client n’est qu’un arbre au milieu d’une forêt qui s’étend sur plusieurs pays », soutient son avocat, Me Philippe Ohayon.
Après la « neutralisation » des acteurs français présumés de l’escroquerie, l’enquête menée par les gendarmes de l’OCLTI (office central de lutte contre le travail illégal) et de la section de recherches de Toulouse (Haute-Garonne) s’est poursuivie dans l’objectif de tracer l’argent détourné. Les investigations ont d’abord mis en évidence un lacis de comptes bancaires qui semblait s’achever en Lituanie. Pour une partie importante des fonds, il ne s’agissait en réalité que du point de départ d’une seconde phase de dissimulation, cette fois sous la forme de cryptomonnaies.
Compte tenu de la dimension internationale des flux financiers et de la complexité des techniques utilisées, les enquêteurs français ont alors sollicité l’appui des services spécialisés d’Europol, l’agence européenne de police criminelle. Après plus d’un an de travail, ces derniers ont réussi à remonter le labyrinthe des plates-formes de cryptomonnaies. Des liens sont apparus avec un premier Israélien, bien connu d’Europol et des services spécialisés locaux, puis avec quatre autres Israéliens (tous trentenaires ou quadragénaires). Trois d’entre eux sont suspectés d’avoir tenu un rôle important au moins dans les opérations de blanchiment de cette escroquerie. Les deux autres ne seraient que des acteurs périphériques de ce dossier.
« Une excellente collaboration entre la France et Israël »
De nouvelles interpellations pourraient se dérouler prochainement en Israël, toujours dans le cadre de l’enquête ouverte par les autorités locales, dans le but de viser d’éventuels donneurs d’ordre. « Ce groupe d’Israéliens semblait agir comme des prestataires de services à la demande de plusieurs organisations criminelles, pas seulement celle impliquée dans le dossier d’escroquerie au chômage partiel en France qui implique Dan J. », éclaire une source étrangère. « Cette enquête réalisée grâce à des compétences techniques de très haut niveau fait la démonstration qu’il est possible de tracer des cryptomonnaies, en dépit des méthodes sophistiquées de dilution, de dispersion et de masquage des fonds détournés », se réjouit le général Dominique Lambert, chef de l’OCLTI.
Dans les sphères diplomatiques, l’heure est aussi aux satisfecit. « L’enquête est encore en cours mais il faut saluer l’excellente collaboration entre la France et Israël dans ce dossier qui a abouti à l’interpellation de ces personnes sur le territoire israélien, souligne le porte-parole de l’ambassade d’Israël à Paris. À plusieurs reprises, des enquêteurs et des magistrats français ont pu venir en Israël afin d’échanger avec nos autorités. »
En ce début de semaine, au moment des interpellations, des perquisitions et des auditions, une juge d’instruction du tribunal judiciaire de Paris, des gendarmes français (OCLTI et section de recherches de Toulouse) et un enquêteur d’Europol étaient d’ailleurs présents sur place en Israël en qualité d’observateurs. En fonction des développements de l’enquête israélienne, les personnes interpellées ces derniers jours pourraient faire l’objet de demandes d’extradition si la justice française estime que les faits de blanchiment visés par l’enquête israélienne sont indivisibles de l’information judiciaire ouverte à Paris.