En 1976, Patrick et Isabelle s’unissent, quatre mois seulement après leur rencontre. Mlle Smadja devient Mme Balkany. Avec ce remuant jeune homme, la jeune fille de bonne famille qui se rendait à l’école en Rolls-Royce a choisi l’aventure.
Ce 13 avril 1976 est un jour particulier pour la famille Smadja. Après un passage à la synagogue de la rue Copernic dans le XVIe arrondissement de Paris, les convives se sont massés à l’hôtel de ville de Neuilly-sur-Seine. La cadette du clan, Isabelle, 28 ans, est sur le point d’épouser Patrick Balkany. Elle porte une robe longue haute couture, signée Pierre Cardin. Elle l’a choisie avec sa mère, dans le respect des traditions. Achille Peretti, inamovible maire de la commune, orchestre la cérémonie devant du beau monde. Johnny Hallyday, Carlos ou Lino Ventura ont été invités à la noce.
Isabelle Smadja ne mesure sans doute pas à quel point son destin s’apprête à basculer en devenant ce jour-là Mme Balkany. Avec ce patronyme, Isabelle embrasse une toute nouvelle vie, médiatique, sulfureuse. Un beau mariage, assurément. La foule a trinqué au très chic Pavillon Ledoyen, sur les Champs-Élysées. Le cocktail était grandiose, les parents Smadja y avaient convié tous leurs amis de la bonne société. Les jeunes mariés sont ensuite partis dîner chez Maxim’s avec une vingtaine d’amis proches. René, le père d’Isabelle, a réglé la note. La nuit d’excès s’est achevée chez Régine, sur la piste de danse de la reine de la nuit.
Ce mariage, personne ne s’y attendait. « Nos amis étaient sur le cul », résume Isabelle à sa manière. Elle a rencontré Patrick quatre mois seulement avant qu’ils ne se disent « oui ». C’était à une fête d’anniversaire. Isabelle jure qu’elle ne l’a pas vraiment remarqué mais, le lendemain, Patrick lui fait porter un bouquet de roses. Ils se recroisent quelques jours plus tard dans une autre soirée. L’alchimie, cette fois. Patrick a deux places pour un match de boxe au sommet entre Gratien Tonna et Carlos Monzon. Il préfère emmener Isabelle plutôt que sa copine canadienne de l’époque, renvoyée dans les cordes. Coups de poing et coup de cœur. Les deux gosses de riches feront équipe ensemble.
Une vie dans un immense hôtel particulier et des vacances à Gstaad
Le père de Patrick, un juif hongrois rescapé d’Auschwitz, a fait fortune dans le prêt-à-porter de luxe, en créant les magasins Rety. Patrick, élève indiscipliné, préfère la musique et les filles aux livres d’école. Un insouciant dans le Paris yé-yé des années 1960. À défaut d’obtenir son bac, il prend des cours de comédie et fait un peu de cinéma. Après un service militaire à la cellule presse de l’Élysée décroché grâce à l’entregent de papa, il travaille dans l’entreprise familiale.
Sa future femme dirige alors la communication d’Europe 1. Isabelle n’a rien à envier au train de vie de Patrick. Son père, René, juif tunisien, a réussi dans le négoce de matières premières. Il est devenu industriel, en achetant un brevet de tableaux de bord et en montant son usine. L’argent coule à flots chez les Smadja. René investit également dans une minoterie du Val-d’Oise et une usine de marrons glacés varoise.
La famille a atterri en France avec ses deux aînés, à la fin des années 1940. Isabelle est née, à ce moment-là, en 1947. Elle grandit dans un immense hôtel particulier du XVIe arrondissement. Les Smadja voyagent. Les hivers, la famille part skier dans la station huppée de Gstaad, dans les Alpes suisses. « Maman adorait », glisse Isabelle. Sa mère, protestante convertie au judaïsme pour son mari, est le « sosie » de l’actrice Michèle Morgan. « Les yeux verts, la peau mate, on les confondait. » Elle ne travaille pas et élève les enfants.
Du droit à Assas et un stage chez Combat
Petite, Isabelle se rend à l’école — « chez les bonnes sœurs de la porte d’Auteuil » — en Rolls-Royce. En cours, la fillette est douée, « sauf en physique-chimie, je n’y comprenais rien ». Elle obtient son baccalauréat avant ses 16 ans, sort du lycée, rêvant de devenir journaliste. Son père s’y oppose : « Si tu veux travailler, autant que ce soit utile. » Isabelle obtempère. Elle part en fac de droit, à Assas ; où elle trouve difficilement ses marques. Ce sont les débuts du GUD, le groupuscule étudiant d’extrême droite. Le matin, la frêle Isabelle se fait traiter de « sale youpine » à cause de son nom ; le soir, de « sale bicote » à cause de sa peau mate. Elle s’en plaint auprès de son père. Il lui conseille de se battre : « Comme tu es petite, tu y vas au coup de pied et tu attaques là où je pense. » Alors, chaque matin, la jeune Isabelle part, guerrière, avec six paires de lunettes de rechange dans son sac, au cas où l’une d’entre elles se casse dans une bagarre.
Après la licence de droit, elle lâche à son père : « Maintenant, je fais ce que je veux. » « C’était le deal. » Elle s’inscrit aux cours de sémantique à la fac de Nanterre et fait un stage chez Combat. Le quotidien, fondé par le mouvement de résistance éponyme, a été racheté par son oncle Henri à Albert Camus. Elle y croise Jean-Paul Sartre et quelques grandes plumes de la presse comme François Caviglioli. « Vous imaginez pour une jeune fille comme moi, rencontrer tous ces gens… »
Côté amour, Isabelle ne se prive de rien. Elle glousse, l’œil coquin : « J’ai eu beaucoup, beaucoup de jules avant Patrick… » L’un d’entre eux, fils d’une grande famille de banquiers, l’avait même demandée en mariage quand elle avait 20 ans. Isabelle avait refusé : « Il était beau comme un dieu mais pas assez anticonformiste pour moi. » Dans son langage, ça donne : « Je me faisais chier. » Son père l’a su, il s’est fâché. Quel gâchis, un si beau parti.
Isabelle n’a pas hésité avec Patrick. Deux semaines après leur rencontre, le jeune couple file skier à Avoriaz, dans les Alpes. Le jeune homme pressé aimerait qu’ils s’installent ensemble à leur retour à Paris. Il insiste. À l’époque, le grand séducteur loue un appartement boulevard Flandrin, dans le XVIe arrondissement. Isabelle vit dans un immense logement à Neuilly. L’immeuble appartient à son père : sa sœur vit au deuxième étage, son frère au rez-de-chaussée. Isabelle refuse la proposition. « Mes parents vont faire la gueule », lui glisse-t-elle. Le soir du Nouvel An, il trouve la parade : « Puisque c’est comme ça, marions-nous. » « J’ai accepté », sourit-elle, quarante-six ans plus tard. Le début d’une saga. Ils deviennent les Balkany. Isabelle râle : « Je déteste ça quand on dit les Balkany. Tu es fondu dans l’entité du les alors que chacun a sa propre identité. » Toute sa vie, pourtant, elle n’y échappera pas.