LE SYNDROME DU VOYAGEUR – Face à l’abondance de signes religieux, certains pèlerins s’imaginent en prophètes de l’Ancien Testament.
Avec sa toge blanche, ses cheveux et sa barbe bruns et longs, Mike* ne passe pas inaperçu. Depuis plusieurs minutes, il déambule pieds nus sur l’esplanade dans la vieille ville de Jérusalem, entre les échoppes criardes et les policiers surarmés. Depuis plusieurs années ce juif pratiquant rêvait de la Ville Sainte. Une fois sur place, le choc a été trop fort, et des bouffées mystiques se sont emparées de lui.
Depuis, les années 80, de nombreux psychiatres hiérosolymitains ont été confrontés à ce phénomène dit du syndrome de Jérusalem : délires mystiques ou magiques, identification au Messie ou à des personnages bibliques… Pour y faire face, l’hôpital psychiatrique de Kfar Shaul a été choisi pour concentrer les cas. Entre 1980 et 1993, 1200 touristes avec des problèmes mentaux graves liés à Jérusalem ont été dirigés vers cet établissement, dont 470 admis à l’hôpital, soit une moyenne de 100 touristes par an.
Une désillusion sur la confession de la ville
Selon une étude publiée en août 2000 dans le British Journal of Psychiatry, environ 66% des patients sont juifs, 33% chrétiens (pour la plupart protestants) et 1% athée. La plupart d’entre eux sont atteints d’anxiété, de stress et d’hallucinations ainsi que d’un désir d’isolement. Ils développent également une obsession de se purifier le corps, se confectionnent des toges à partir de draps, déclament des passages de la Bible et chants sacrés, proclament de sermons. Dans les années 1930, une Anglaise, convaincue du retour prochain du Christ, se rendait régulièrement sur le mont Scopus, au nord-est de la vieille ville, pour partager le thé avec lui.
À l’instar du syndrome de Paris, la majeure partie des cas semble liée à la déception lors de la découverte de la ville. Des pèlerins fantasmant leur Ville Sainte, juifs comme chrétiens, s’aperçoivent qu’aucun des lieux évoqués dans les textes saints ne subsiste. Les derniers vestiges anciens datent des périodes d’occupation latine ou musulmane. Cette frustration engendre un délire qui peut les conduire au mysticisme. Trois types de patients ont été recensés par les psychiatres de l’hôpital Kfar Shaul : un syndrome qui s’ajoute à une maladie psychiatrique antérieure ; un syndrome qui se déclenche sans maladies antérieures, mais dont les victimes sont sujettes à des idées fixes souvent religieuses ; enfin, un syndrome suscité sans maladies et sous une forme discrète.
Le second type est le plus connu, et le plus important : des chrétiens évangéliques sous le choc de Jérusalem qui sermonnent les foules, annonçant un retour prochain de Jésus. Les médias relayent souvent ces bizarreries, mais les psychiatres peinent à les déceler. À l’approche des fêtes religieuses, les patients de ce type se multiplient.
Un syndrome difficile à dater
Si les causes psychiatriques commencent à être connues, la datation du syndrome est difficile. Sa première identification psychiatrique remonte aux années 1930 par Heinz Herman, l’un des pionniers de la recherche dans ce domaine. Au Moyen-Âge, des cas similaires chez les pèlerins chrétiens auraient déjà été observés. Au XIXe siècle, quand la ville est redécouverte, la presse se fait l’écho des nouveaux cas. Un tel phénomène concerne par ailleurs également La Mecque et, dans une moindre mesure, Rome.
Son unicité tient surtout à l’attrait que recouvrent la ville et son aspect religieux pour les trois grands monothéismes. Ce dernier pourrait être le facteur déclencheur le plus important. Après deux semaines de traitement, les patients sont majoritairement capables de reprendre une vie normale. En 2008, le cinéaste Stéphane Bellaisch l’utilise comme toile de fond de son film, Le syndrome de Jérusalem. Un Français, interprété par Lionel Abelanski, est convaincu d’être le prophète de l’Ancien Testament Jonas et court dans les ruelles de la vieille ville, avant de rencontrer cinq nouveaux personnages.
Au-delà de l’aspect purement psychiatrique, le syndrome de Jérusalem souligne surtout l’attachement mystique de nombreux pèlerins à la Ville Sainte. Ne parvenant pas à s’identifier aux bâtiments modernes, ils sont comme perdus, déboussolés dans cette cité maintes fois remaniée, qui ne ressemble finalement pas à l’image qu’ils s’en faisaient.
*Le prénom a été modifié