Du 5 au 7 août, l’Etat hébreu a mené des raids ciblés à Gaza contre des chefs du groupe armé palestinien Djihad islamique, considéré comme terroriste par les pays occidentaux. Celui-ci a riposté en lançant de nombreuses roquettes sur Israël. Le journaliste, qui vit à Jérusalem, analyse la situation.
FIGAROVOX. – De vendredi à dimanche, l’armée israélienne a bombardé la bande de Gaza dans le cadre d’une «attaque préventive» selon les mots des autorités israéliennes. Qu’est-ce qui a déclenché cet affrontement ?
Stéphane AMAR. – Aucun événement en particulier. Les Israéliens voulaient en découdre avant que le Djihad islamique n’améliore significativement ses capacités offensives. Depuis la dernière grande confrontation de mai 2021, le Hamas observe une certaine retenue. Il ne tire plus de roquettes vers le territoire israélien et n’a pas mené de campagne d’attentats. Le Djihad islamique en revanche a intensifié ses attaques contre Israël. À la fois en tirant des roquettes depuis Gaza et en organisant des attentats meurtriers au cœur des villes israéliennes depuis la Cisjordanie. Ces derniers mois, l’armée israélienne a multiplié les arrestations de militants et les assassinats ciblés de dirigeants du Djihad islamique. L’opération «Aube» constitue en quelque sorte le point d’orgue de la campagne israélienne contre ce groupe armé islamiste.
Le premier ministre Yaïr Lapid a déclaré mener une «opération de contre-terrorisme précise contre une menace immédiate», celle du Djihad islamique palestinien, «un supplétif de l’Iran» qui veut «tuer des Israéliens innocents». Quelle est la réalité de cette menace ?
Ces deux affirmations sont exactes. Le Djihad islamique vise les populations civiles et il est financé par l’Iran, ce qui peut paraître paradoxal car l’intégralité des musulmans de Gaza et de Cisjordanie est sunnite. Le Djihad islamique partage avec Téhéran son hostilité radicale à l’État juif et souhaite le rayer de la carte. En ce sens, il constitue une réelle menace pour l’État d’Israël car je rappelle que Gaza se situe à une trentaine de kilomètres seulement de l’agglomération de Tel-Aviv.
Cela dit, le Djihad islamique reste un groupe armé restreint aux capacités militaires limitées comme on a pu le constater ces derniers jours. En outre, il évolue dans des territoires strictement contrôlés par l’armée israélienne. Ce contrôle s’exerce de l’intérieur en Cisjordanie, de l’extérieur à Gaza et il empêche toute importation massive d’armement lourd. C’est la grande différence avec l’autre bras armé de l’Iran, le Hezbollah libanais, qui a pris la dimension d’une véritable armée car il évolue dans un territoire quasiment autonome.
Le gouvernement israélien a décidé d’épargner le Hamas. Comment ce dernier se positionne-t-il dans la crise actuelle ?
L’attitude du Hamas peut paraître surprenante. Tsahal mène des raids meurtriers sous son nez et il se contente de réagir par des condamnations. Je pense que cette stratégie répond à un double intérêt.
D’une part le Hamas voit d’un mauvais œil la surenchère anti-israélienne du Djihad islamique. Après tout le Hamas a bâti sa popularité en dénonçant la faiblesse supposée de l’OLP de Yasser Arafat face à Israël. Il n’aimerait pas que le Djihad en fasse autant et ne doit pas être trop fâché de le voir encaisser les coups de boutoir de Tsahal.
En outre, le Hamas évoque depuis plusieurs années l’éventualité d’une trêve de longue durée avec Israël. La détente a pris une dimension concrète cette année avec l’entrée quotidienne de plusieurs milliers de travailleurs gazaouis en Israël. Cette «immigration» implique une forme d’entente entre les deux parties. L’actuel Premier ministre, le centriste Yaïr Lapid, souhaite ouvertement une nouvelle ère de coopération économique avec l’enclave palestinienne. Ces deux facteurs, militaire et économique, expliquent sans doute la modération du Hamas.
Un cessez-le-feu a été approuvé dimanche ; se dirige-t-on vers un arrêt pérenne des hostilités ?
Il ne peut y avoir d’arrêt définitif des hostilités sans règlement politique. Or les conditions ne sont toujours pas réunies. La solution à deux États, horizon diplomatique indépassable des cinquante dernières années, ne verra jamais le jour. La colonisation israélienne a atteint un point de non-retour, notamment à Jérusalem-Est. Elle hypothèque d’avance tout compromis basé sur un partage du territoire. Je pense pour ma part que la solution au conflit passe par la création d’un seul État sur Israël et la Cisjordanie avec des droits égaux pour tous les citoyens. En position de force démographique, les Israéliens commencent à envisager cette solution. Dans cette optique, Gaza deviendrait un État indépendant. Mais cela prendra probablement plusieurs décennies. En attendant le conflit, dont l’intensité baisse d’année en année, devrait perdurer.
Il y a un peu plus d’un an, en mai 2021, des affrontements semblables opposaient Israël et la bande de Gaza. Qu’est-ce qui a changé depuis ? La situation a-t-elle évolué ?
Je note deux évolutions majeures. D’abord l’attachement croissant des Juifs à Jérusalem et plus précisément à l’Esplanade des mosquées, au Mont du Temple. Au beau milieu des affrontements ce dimanche, plus de deux mille Israéliens, dont deux députés nationalistes, sont montés sur le lieu saint pour commémorer la destruction du Temple de Jérusalem et prier pour sa reconstruction en lieu et place des mosquées. De son côté le Djihad islamique a affirmé dans un communiqué que le sang des chefs militaires tués par Tsahal «alimenterait la campagne pour Jérusalem». Ce conflit a débuté à Jérusalem en 1929 et la ville sainte revient en force au cœur des tensions.
Dans le même temps, et c’est la deuxième grande évolution, nous assistons à la consolidation des accords d’Abraham. Ce processus qui n’implique aucune concession de la part des signataires produit des effets spectaculaires. Qui aurait imaginé il y a seulement deux ans que des délégations d’hommes d’affaires marocains se succéderaient à Tel-Aviv, que les Émiratis recevraient les touristes israéliens à bras ouvert ou que l’Arabie saoudite ouvrirait son espace aérien à Israël ? Nous assistons à un profond bouleversement géopolitique dans la région.
Si rien ne vient enrayer le processus, il devrait déboucher sur la constitution d’une vaste zone de prospérité et de coexistence pacifique au Proche-Orient. Cette coopération favorisera forcément le rapprochement israélo-palestinien et, pourquoi pas, un règlement de la question de Jérusalem.
Stéphane Amar est journaliste, il vit à Jérusalem depuis plus de 15 ans. Il a publié Le grand secret d’Israël, pourquoi il n’y aura pas d’État palestinien (éd. de l’Observatoire, 2018).
Par Martin Bernier