Après des décennies de débat, des scientifiques et archéologues auraient enfin déterminé une théorie crédible sur l’identité des auteurs des manuscrits de la mer Morte, grâce à de nouvelles technologies de datation et d’analyse ADN.
En novembre 1946, alors que le soleil se levait lentement sur le désert de Judée, trois cousins bédouins partirent à la recherche d’une chèvre perdue dans les collines, tout près de la mer Morte. Dans leur expédition, ils tombèrent sur certains des textes religieux les plus importants du monde antique : les manuscrits de la mer Morte. Près de 100 000 fragments d’environ 900 manuscrits, trouvés dans 11 grottes, ont été découverts à ce jour. Aujourd’hui encore, de nouveaux fragments continuent d’être trouvés.
Rédigés sur du parchemin et du papyrus d’origine animale, la plupart des manuscrits sont sectaires. Une centaine d’entre eux sont cependant des textes bibliques qui fournissent de nouvelles précisions sur la Bible, et apportent davantage de clarté à l’histoire du judaïsme et du christianisme. Les textes réunissent tous les livres du canon hébraïque, nommé l’Ancien Testament par les chrétiens, à l’exception de celui d’Esther. Ils contiennent également des prières, des hymnes et des formules mystiques inconnus jusqu’alors, ainsi que la plus ancienne version des Dix Commandements trouvée à ce jour.
On estime que les manuscrits de la mer Morte sont âgés d’environ 2 000 ans. Si leur authenticité ne fait aucun doute, le mystère de l’identité des personnes qui les écrivirent persiste, et ce, malgré les nombreuses théories proposées depuis leur découverte.
Premières théories
La théorie la plus courante des spécialistes est de dire que ce sont les esséniens, une secte juive monastique qui vivait dans un complexe désertique voisin connu en arabe sous le nom de Khirbet Qumrân (ruines de Qumrân), qui rédigèrent les manuscrits. Cette idée a été avancée par Roland de Vaux, un archéologue français qui, avec une équipe internationale, a fouillé le site de Qumrân entre 1952 et 1957. Plusieurs facteurs l’ont mené à cette conclusion.
Flavius Josèphe, un historien romain et juif du 1er siècle qui aurait connu les esséniens, écrivit à leur sujet dans son livre Antiquités judaïques. Des millénaires plus tard, De Vaux a fait le lien entre les descriptions faites par Josèphe et celles des habitants de la région qui figurent dans les manuscrits. Les similitudes sont par exemple la vie en communauté, le port de vêtements en lin et le bain rituel.
Josèphe écrivit notamment qu’à la cinquième heure, après « s’être vêtus de voiles blancs, ils se [baignèrent] ensuite le corps dans de l’eau froide ». De Vaux et son équipe ont fouillé un certain nombre de mikva’ot (le pluriel du mot hébreu mikveh) sur le site : ces bains rituels contenaient environ 320 litres « d’eau vive », de l’eau de pluie ou de mer qui n’avait pas été stockée, permettant aux membres de s’immerger à des moments précis de la journée. Face à ces comparaisons, il est difficile de dire que ces rituels ne confirment pas que les esséniens et les habitants de la région étaient un seul et même groupe.
De plus, Josèphe écrivit que les esséniens prenaient « grand soin d’étudier les écrits des anciens, et [choisissaient] parmi eux ce qui était le plus avantageux pour leur âme et leur corps ». Il est fort probable que les écrits mentionnés soient une référence aux manuscrits de la mer Morte.
Puisque onze parchemins ont été découverts près du site de Qumrân, De Vaux en a déduit que leurs auteurs y avaient vécu. Les esséniens avaient eux-mêmes vécu à Qumrân, il était donc logique qu’ils en soient les auteurs.
Une théorie contestée
Pourtant, de nombreux chercheurs contestent la relation faite entre la communauté de Qumrân et les esséniens. Par exemple, ces derniers n’étaient pas les seuls à s’adonner à l’immersion rituelle dans des mikva’ot : de nombreux Juifs pratiquants le faisaient également. En outre, Josèphe décrivait les esséniens plutôt comme un phénomène urbain que comme une communauté d’ermites vivant dans le désert. Le philosophe juif Philon d’Alexandrie semblait être du même avis, écrivant qu’ils vivaient « dans de nombreuses villes de Judée et dans de nombreux villages, et se regroupaient en grandes sociétés de nombreux membres ».
De plus en plus de chercheurs ont également suggéré que les personnes qui cachèrent les parchemins autour de Khirbet Qumrân pourraient ne pas être celles qui les écrivirent. Les manuscrits de la mer Morte englobant la quasi-totalité de la Bible hébraïque, certains historiens estiment qu’il est presque impossible qu’un unique petit groupe de scribes isolé ait écrit un corpus aussi vaste.
Jérusalem: une origine plus probable ?
Selon certains chercheurs, il est beaucoup plus probable que la plupart des manuscrits, voire la totalité, aient été écrits par des scribes professionnels travaillant dans le temple de Jérusalem. Cette théorie a été avancée pour la première fois en 1960 par le théologien allemand Karl Heinrich Rengstorf, qui a soutenu que les rouleaux devaient avoir fait partie d’une vaste bibliothèque conservée au temple.
L’universitaire américain Norman Golb est allé encore plus loin, suggérant que les rouleaux avaient été évacués d’une des nombreuses bibliothèques de Jérusalem, et plus largement de la Judée, lorsque l’armée romaine du général Titus s’approchait de Jérusalem vers 70 après J.-C.
De nouvelles technologies soutiennent cette théorie, notamment l’analyse de l’écriture manuscrite basée sur l’intelligence artificielle menée à l’université néerlandaise de Groningue en 2021. Par exemple, les recherches ont permis déterminé que les différentes formes d’écriture et le comportement biomécanique variable de l’utilisation de la plume montrent qu’il est possible que plusieurs scribes aient travaillé sur le Grand Rouleau d’Isaïe. Une analyse minutieuse du texte a également permis d’identifier de subtils changements dans le style de l’hébreu, ou de l’araméen, du grec, ou même du nabatéen d’autres documents.
La présence de nombreux doubles de certains livres bibliques questionne également. Si le rouleau n’était destiné qu’à un usage local, alors pourquoi en réaliser plusieurs versions ? De même, le fait que les rouleaux représentent une collection quasi-complète de la Bible hébraïque semble suggérer que la source était plus vaste qu’une secte dissidente et éloignée.
La théorie du compromis
Certains archéologues modernes pensent que les esséniens sont les auteurs de certains des manuscrits de la mer Morte, mais pas de la totalité. Des preuves récentes suggèrent que lors du siège de Jérusalem par Rome, quand le temple et une grande partie de la ville furent détruits, les Juifs s’échappèrent peut-être par les égouts afin de se mettre en sécurité. Des chercheurs ont trouvé des objets dont des poteries et des pièces de monnaie dans les égouts, datant de cette période de siège. Ces mêmes égouts mènent à la vallée du Cédron, tout près de la mer Morte… et de Qumrân. Peut-être que certains des manuscrits de la mer Morte suivirent également ce chemin.
La poterie dans laquelle les manuscrits de la mer Morte ont été trouvés est un autre indice soutenant cette théorie du compromis. Selon Jan Gunneweg de l’Université hébraïque de Jérusalem, tout comme l’ADN, toutes les argiles sur Terre ont une composition chimique différente, ce qui permet de déterminer la région spécifique dans laquelle la poterie fut fabriquée. Ainsi, sa conclusion est la suivante : seule la moitié des poteries qui contenaient les manuscrits de la mer Morte provenait de Qumrân.
Les tests scientifiques modernes ont ajouté de nouveaux éléments au débat. Ces dernières années, les rouleaux ont été analysés par des experts linguistiques qui, en se basant sur le style d’écriture ainsi que la taille et la variabilité des caractères, ont proposé une fourchette de dates allant de 225 avant notre ère à 50 de notre ère. Cette proposition semble correspondre, à peu de choses près, à la datation au carbone des encres, qui étaient faites de carbone suie de lampes à huile, mélangées à de l’huile d’olive ainsi qu’à du miel ou de l’eau.
Ces tests de datation ont permis d’établir une fourchette de dates allant de 385 avant notre ère à 80 de notre ère, ce qui étendrait les origines des manuscrits de la mer Morte bien au-delà de la période estimée de l’occupation du site de Qumrân.
À ce jour, la recherche est toujours en cours et les débats se poursuivent. Cependant, sans l’ombre d’un doute, les manuscrits de la mer Morte offrent un rare aperçu du monde juif du 1er siècle, et ce, quels qu’en furent les auteurs.
De Jean-Pierre Isbouts
« l’Ancien Testament chrétien » ? C’est quoi ce terme ?