Le parquet de Paris vient de demander le renvoi de l’ancien prédicateur devant les assises pour quatre viols présumément commis entre 2009 et 2016. Des plaignantes s’expriment auprès de « l’Obs ».
Près de cinq ans d’instruction avec moult rebondissements, des plaignantes harcelées et traînées dans la boue sur les réseaux sociaux, accusées d’être des mythomanes, mais qui, malgré tout, auront tenu bon. « L’affaire Ramadan » est en train de franchir une étape cruciale : le parquet de Paris a proposé mardi 12 juillet de renvoyer Tariq Ramadan devant les assises ; reste aux juges d’instruction de décider s’ils suivent, ou non, cette proposition – ce qu’ils font le plus souvent. L’ancien prédicateur suisse pourrait donc faire face à un jury populaire dans les mois à venir. Contactées, certaines plaignantes expriment auprès de « l’Obs » leur immense soulagement.
L’affaire a débuté en octobre 2017, avec la plainte d’Henda Ayari, une ancienne salafiste devenue militante féministe. Dans la foulée du mouvement #MeToo né aux Etats-Unis, la jeune quadragénaire balance le nom de « son violeur » sur les réseaux sociaux, qu’elle avait surnommé « Zoubeyr » dans un livre récemment publié (« J’ai choisi d’être libre », Flammarion) et, dans la foulée, porte plainte pour ce viol qu’elle aurait subi en 2012. Contactée par « l’Obs », Henda Ayari se réjouit :
« J’ai eu un choc en l’apprenant ; j’étais au supermarché, je n’ai pas pu retenir mes larmes. Je suis soulagée, un peu sonnée par cette nouvelle importante. Je vous avoue que je n’y croyais plus. J’ai pensé à tout ce que j’avais traversé ces dernières années, le cyberharcèlement, les agressions dans la rue, les menaces de mort… J’ai vécu un véritable enfer depuis le premier jour de ma plainte. Je suis la seule plaignante à visage découvert, je ne suis pas restée anonyme. »« Une étape importante vient d’être franchie, avant les assises. Je me dis que finalement j’ai eu raison d’avoir confiance en la justice. J’attends que la vérité éclate au grand jour durant ce procès tant attendu. »
« Sur les rotules »
Très vite, une deuxième plaignante, surnommée « Christelle », lui emboîte le pas fin octobre 2017, dénonçant le même crime, commis en octobre 2009 de surcroît sur une personne vulnérable (elle marche avec une béquille). Contactée également, elle dit son immense fatigue : « Je suis sur les rotules, lessivée. Quand mon avocat me l’a annoncé, je suis restée bouche bée. Là, c’est comme si j’avais fait un marathon. Je n’ai qu’une envie, c’est dormir alors qu’il est 15h43. Dormir comme je n’ai pas dormi depuis cinq ans. Je peux relâcher la pression, enfin. »
Christelle dénonce les procédures à rallonge engagées par les avocats de Tariq Ramadan pour gagner du temps, selon elle : « Le but était que l’on craque et jette l’éponge. » « Que le parquet propose ce renvoi veut dire : “C’est fini, les mensonges et les dérobades.” Il va devoir faire face à la réalité judiciaire, au monde réel, loin de son monde imaginaire sur internet [il y diffuse de nombreuses vidéos, NDLR]. C’est fini de nous traiter de menteuses, de se comparer à Nelson Mandela ou Alfred Dreyfus. Il devrait plutôt se comparer à Weinstein ou Epstein. »
Christelle, également harcelée en ligne, a gagné, en novembre 2020, son procès contre Tariq Ramadan qui avait révélé son identité à 84 reprises dans son livre « Devoir de vérité » (Presses du Châtelet), paru en septembre 2019. Il a été condamné à une amende mais s’est pourvu en cassation.
Volet suisse
Celle qui a été surnommée « Brigitte », plaignante en Suisse et qui, dans cette affaire, dénonce les faits les plus anciens, remontant à octobre 2008, répond à « l’Obs », la voix enjouée : « C’est un immense soulagement. En particulier pour moi parce que je suis celle qui s’est le plus révoltée, et j’ai très mal vécu la persécution des juges [les noms des trois juges d’instruction avaient notamment été donnés sur les réseaux sociaux, NDLR] car cela me faisait penser que rien ne nous protégeait, si de tels actes étaient possibles. Cette fois, c’est comme si la raison avait enfin gagné. On revient sur terre avec cette décision de justice et c’est très rassurant. C’est une immense consolation. »
La jeune femme avait, en avril 2018, dans la foulée des plaintes en France, elle aussi porté plainte et relaté un viol particulièrement violent qui aurait été commis dans un hôtel dix ans auparavant. Elle a également essuyé du harcèlement : « Mon nom a été sorti par les trolls – la petite armée de Tariq Ramadan, ainsi que mon lieu de vie, ma photo… » Selon elle, ce harcèlement des plaignantes avait pour but de dissuader d’autres femmes de porter plainte contre Tariq Ramadan. Son affaire est aussi en passe d’être jugée en Suisse.
Outre les plaignantes, nombre de femmes entendues dans cette affaire ont décrit un phénomène d’« emprise » de la part du prédicateur, le qualifiant tantôt de « pervers narcissique », tantôt de « prédateur ».
Après avoir d’abord nié toute relation sexuelle avec les plaignantes, le mis en examen, qui a fait près de dix mois de détention provisoire avant d’être libéré sous caution en novembre 2018, a concédé des relations certes rudes mais absolument consenties. Il reste présumé innocent, dans l’attente, probablement, de son procès. Ses avocats ont récemment déposé une requête en nullité visant les experts psychiatres et leur expertise.L’un d’entre eux, Me Philippe Ohayon, se déclare « pas du tout impressionné par cette annonce » : « C’est un passage en force éhonté alors que jamais les accusations portées contre Tariq Ramadan n’ont été aussi fragiles. La chambre de l’instruction est saisie de plusieurs recours et le parquet fait comme s’ils n’existaient pas, ce qui témoigne d’un aveuglement total. »