Israël est devenu une terre promise non seulement pour quelques oligarques, mais aussi des investisseurs et des épargnants russes aisés à la recherche d’un havre de paix.
L’État hébreu présente en effet l’immense avantage de refuser de se joindre aux sanctions internationales contre le régime de Vladimir Poutine. Résultat: plusieurs centaines de millions de dollars ont été transférées depuis le début de l’invasion en Ukraine vers des banques israéliennes, selon le quotidien économique local Calcalist. Mais cette manne n’est que la partie visible de l’iceberg.
Cette présence économique russe est visible à l’œil nu. Les taxis et les livreurs de commandes rapides d’épicerie circulant avec le logo de Yango Deli continuent à circuler comme si de rien n’était dans les rues de Tel-Aviv. Il s’agit pourtant d’une filiale de Yandex, un groupe aux allures de mastodonte surnommé le «Google russe», aux activités multiples. À la suite de sanctions américaines et européennes, son directeur général et cofondateur, Arkady Volozh, a dû démissionner. Des produits de consommation courante d’origine russe sont disponibles dans des Èsupermarchés fréquentés par des Israéliens d’origine russe et ukrainienne, une communauté de plus d’un million de personnes.
Enjeux géostratégiques
Autre symbole: Alrosa, la compagnie de diamants bruts dépendante de la Fédération de Russie, premier pays exportateur mondial, continue à approvisionner les ateliers de taille disséminés autour de la bourse du diamant de Ramat Gan, dans la banlieue de Tel-Aviv. Ces ventes ont rapporté l’an dernier plus de 400 millions de dollars à Alrosa, dirigé par le fils d’un proche de Vladimir Poutine. Pour les caisses russes, ce circuit emprunté par les pierres précieuses présente un immense avantage. Une fois taillés en Israël, les diamants ne sont plus considérés comme originaires de Russie et peuvent entrer librement aux États-Unis, le premier client mondial pour la joaillerie. Toutes ces activités reflètent un délicat exercice d’équilibriste du gouvernement de Yair Lapid qui fait tout pour ne pas se mettre à dos Vladimir Poutine.
Parmi les raisons avancées figurent non pas tant des considérations économiques, mais plutôt des questions géostratégiques. Israël redoute que des sanctions contre le Kremlin poussent l’armée russe présente en force à sa frontière en Syrie à intervenir pour empêcher les avions, les missiles et les drones israéliens de lancer des attaques incessantes contre des objectifs militaires de l’Iran, l’ennemi numéro un de l’État hébreu, et les alliés de Téhéran tel le Hezbollah libanais, sur le territoire syrien.
Résultat: malgré les discrètes pressions exercées par le grand allié américain, Israël se refuse de se joindre au concert des sanctions. Très discret sur ce dossier, un porte-parole du ministère de l’Économie se contente d’affirmer qu’Israël «n’impose pas de restriction aux activités des entreprises internationales opérant conformément à la loi». Un seul changement est intervenu. Depuis le début de la guerre, Israël n’accorde plus de garantie pour les crédits aux exportations destinées à la Russie. Mais cette mesure n’a eu qu’un effet dissuasif marginal.
De leur côté, certaines entreprises israéliennes de haute technologie installées en Russie, notamment dans le secteur des jeux informatiques, ont plié bagage. Mais une centaine d’autres sociétés sont restées sur place sans état d’âme. En sens inverse, des avocats d’affaires et conseillers financiers évoquent jusqu’à 10 milliards de dollars d’investissements potentiels de Russes souhaitant mettre leurs économies à l’abri.
«Désormais ce ne sont plus seulement des oligarques qui cherchent à sortir leurs capitaux, mais plutôt des chefs d’entreprise de haute technologie, des cadres supérieurs, des épargnants qui veulent se prémunir contre l’apparition d’un nouveau rideau de fer qui bloquerait leurs avoirs», explique un cadre d’une banque israélienne. «Ils sont tous à la recherche de rachats ou de prises de participation dans des start-up, des projets immobiliers, alors que les prix des logements en Israël battent tous les records», ajoute-t-il. Mais, selon lui, Israël est loin d’être la seule alternative dans la région avec Dubaï et Chypre qui accueillent les investisseurs russes à bras ouverts.