Dans les années 1970, la photographe Meryl Meisler a pris pour modèles les membres de sa famille juive et leurs amis, à Long Island, dans l’Etat de New York. Nouvel An, bar-mitsva, mariages… Ses clichés esquissent le portrait d’un clan uni et heureux, reflet d’une époque libre et insouciante. Un roman familial exposé dans le cadre du festival Portrait(s), à Vichy.
Dans les photos de famille de Meryl Meisler, présentées au festival Portrait(s), à Vichy, jusqu’au 4 septembre, une évidence saute aux yeux : la photographe américaine n’est pas allée beaucoup plus loin que sa ville de Massapequa, un hameau situé à Long Island, dans les environs de New York. Elle n’avait pas besoin de se rendre ailleurs pour découvrir un sujet unique, fantastique et visuellement fort.
Ce monde qu’elle illustre, c’est celui de sa propre famille, juive, avec ses rites et ses traditions. Comme ce soir de Roch Hachana, le Nouvel An juif, qui se déroule, selon le rythme du calendrier hébraïque, en septembre ou en octobre. Cette fête est religieuse : il n’est pas question de cotillons, de déguisements et de débordements, mais de célébrer la création du monde.
Les personnes familières de ces rituels identifieront dans les clichés de Meryl Meisler la nappe dentelée de rigueur dans les familles juives les soirs de fête, avec ce vin sucré casher que l’on consomme uniquement dans les foyers juifs américains. Il suffit de goûter ce breuvage au goût de sirop de pharmacie pour comprendre pourquoi il ne s’est pas diffusé dans d’autres communautés…
Un sens aigu de l’hédonisme
Cette soirée raconte autant la poursuite d’une tradition ancestrale qu’une époque : les années 1970. « Je ne vais pas prendre des photos, je prends des photos là où je vais », explique Meryl Meisler, née en 1951. Or, le monde que photographie cette enseignante d’une école publique de New York entre la fin de la décennie 1970 et le début de la suivante gravite entre deux univers distincts, a priori irréconciliables : la cellule familiale, donc, avec ses traditions et son ancrage à Long Island, et l’expérience nocturne de la scène disco new-yorkaise, dont Meryl Meisler était une habituée.
Comment, en regardant la mère de la photographe, Sunny Meisler, au milieu d’une piste de danse, à l’occasion d’une bar-mitsva, ne pas voir un lien avec le monde des boîtes de nuit à la mode ? Comment, devant cet homme en costume trois-pièces qui fait le grand écart lors d’un mariage, ne pas penser à l’exubérance des night-clubs fréquentés par la jeune Meryl ? D’autant que la famille Meisler pose avec excentricité, exhibant un goût pour les chemises bariolées et les motifs baroques. Tout, dans ces photos souligne, un sens aigu de l’hédonisme : un Roch Hachana qui durerait toute l’année.
A cela s’ajoute un élément plus difficile à capturer en images. Celui de l’histoire. Les grands-parents de Meryl Meisler avaient quitté l’Europe centrale et ses pogroms pour l’Amérique. Ses parents s’étaient extraits de la crise économique de 1929 et, profitant de la croissance au début des années 1950, avaient acheté une ferme tenue par des Chinois dans un hameau de Long Island où personne ne s’était encore installé. Par la suite, Long Island deviendra un lieu prospère.
Les drôles de soirées du club mystère
Les parents Meisler y ont fondé la synagogue de Beth-El, près de leur hameau, et créé le Mystery Club. Ce « club mystère » était composé d’une quinzaine de couples de leurs amis, tous juifs et vivant à Long Island. Pendant des décennies, ils se sont réunis une fois par mois jusqu’à ce que la plupart d’entre eux déménagent en Floride au moment de leur retraite.
A chaque « séance », une invitation, parfois sous la forme d’un poème, était envoyée, demandant aux membres de prévoir une tenue particulière. Le point de rendez-vous pouvait être un centre commercial ou un cimetière, et, tous ensemble, ils partaient en goguette dans divers lieux : une maison « hantée », une plage de nudistes, un sauna gay (pour assister à un spectacle de cabaret), un restaurant chinois (où ils prenaient des cours de cuisine), un studio de musique (pour enregistrer un disque)…
« Mes frères et moi étions fascinés par le récit des soirées de nos parents », raconte Meryl Meisler. « Quand j’ai commencé à travailler, j’ai tout de suite su que je ne voulais pas photographier simplement ma famille, mais tous les groupes qui s’amusaient, comme dans le Mystery Club de mes parents. »
Meryl Meisler a regroupé ses photos dans un recueil intitulé Purgatory & Paradise : Sassy’70s. Suburbia & the City, (Bizarre Publishing, 2015). Le purgatoire et le paradis, comme les deux faces d’une même pièce. Le paradis est évidemment celui de la fête, des rires, des moments partagés en famille et entre amis. Sur ces clichés, le purgatoire et ses douleurs sont absents, mais Meryl Meisler est hantée par l’histoire. Comme si le bonheur qu’elle montre était fragile, fugace, toujours prêt à basculer.