Michel Scheffer, rescapé de la Shoah, né en Alsace et dont une grande partie de la famille a été décimée, est parti entouré des siens, le 3 juin, lucide et serein.
Petit-fils d’un scientifique biélorusse et d’un médecin lituanien, Michel Scheffer est issu d’une famille d’immigrés juifs réfugiée en France au début du XXe siècle. Son père, Alexandre Scheffer installe sa famille à Strasbourg où Michel, le cadet des trois frères, naît en 1931. La famille vit ensuite à Paris, où elle assiste à la montée de l’antisémitisme.
Conscient du danger, Alexandre Scheffer quitte la capitale en 1939 pour conduire sa famille dans le Sud de la France. Il reprend une modeste entreprise d’électricité en difficultés, rue d’Angiran, à Mende. L’affaire fonctionne jusqu’au 19 janvier 1944. Ce jour-là, en fin d’après-midi, sur dénonciation, Alexandre Scheffer et son fils aîné, André, 16 ans, sont raflés chez eux et déportés. Ils ne reviendront jamais. Michel, 12 ans, doit sans doute sa survie aux devoirs qu’il effectue à la même heure chez un copain. Heureusement, la Lozère compte aussi des Justes, qui protègent le temps nécessaire Mme Scheffer et ses deux jeunes fils, Michel et Raymond. En 1945, cette dernière rouvre son affaire.
Après ses études, en 1954, le jeune ingénieur crée aussitôt Scheffer électricité, à Mende, avec des ambitions nouvelles. Après trente années en centre-ville, la TPE et sa trentaine de salariés s’installent, dans les années 1980, rue de l’Expansion, à Chabrits. L’entreprise s’attaque à des chantiers sensibles et compliqués : le parc de 200 ascenseurs lozériens de l’époque ; dans les années 1980, plusieurs installations photovoltaïques en Cévennes, la fibre optique…
L’entreprise mendoise se développe à international. Elle fournit en boîtiers électriques le Cameroun, puis, dès 1982, en pleine guerre des Malouines, l’Argentine et la Grande Bretagne, simultanément. L’exportation la plus importante est sans doute celle des armoires antidéflagrantes du gazoduc transsibérien (deux ans de travail). Pourtant, la plus emblématique est la réalisation du système de retraitement des huiles de moteur du prestigieux paquebot de croisière The Legend of the Seas.
Responsable associatif
Durant toutes ses années, Michel Scheffer est un employeur unanimement apprécié, comme il l’est aux prud’hommes, où il siège longtemps, ainsi qu’à la CCI, où il est élu. Pionnier du lancement des premières remontées mécaniques de ski du mont Lozère, il défend aussi avec passion la petite ligne aérienne qui relie, un temps, quotidiennement, Mende à Clermont-Ferrand, puis à Paris dans les années 1970.
En 1995, à 65 ans, il cède son entreprise à un grand confrère, qui prend bien garde d’en conserver le nom. Les fourgons Scheffer sont pour l’heure à proximité du vaste chantier du musée du Gévaudan, au cœur de Mende, dont il attendait, lui aussi, avec ses nombreux amis de la Société des lettres, la réouverture.
À la retraite, Michel Scheffer reste toujours aussi occupé : visiteur de malades dans les hôpitaux, visiteur de prison aussi, vice-président exécutif de l’association des Amis de la Providence… Durant deux décennies, il œuvre à pérenniser avec succès les deux établissements de la structure, la Maison de l’enfant à Mende et le centre de postcure au château du Boy.
Récemment, avec les Amis de la Providence, a eu lieu une manifestation du souvenir en sa mémoire. À l’initiative de sa famille, des proches ont pris la parole. Tous ont décrit le même homme de bien, l’humaniste, l’ami fidèle, cultivé, curieux et toujours empreint d’humour, le patron entreprenant et estimé, le responsable associatif attentif et rigoureux.
Michel est parti entouré des siens, le 3 juin, lucide et serein. L’entreprise Scheffer a plus de 80 ans. Voilà pourquoi, à l’image d’un autre Alsacien de naissance, Albert Schweitzer (Nobel de la Paix 1952), qui écrivait « l’exemplarité n’est pas une façon d’influencer les autres, c’est la seule », il fallait rappeler, pour l’exemple et pour l’Histoire, qui était Michel Scheffer.