Le Vatican a mis en ligne jeudi 23 juin des milliers de lettres adressées au pape Pie XII (1939-1958) par des Juifs demandant de l’aide face aux persécutions nazies pendant la Seconde Guerre mondiale.
Au total, quelque 40.000 fichiers numérisés répartis en 170 fonds seront consultables sur le site du Saint-Siège, dont la majorité ont été publiés dès jeudi. En mars 2020, le Vatican avait déjà ouvert aux chercheurs 120 fonds et séries d’archives historiques sur Pie XII, accusé par certains d’avoir gardé le silence durant l’extermination de six millions de Juifs.
Cette nouvelle publication, voulue par le pape François, permettra aux descendants des expéditeurs «de trouver des traces de leurs proches dans n’importe quelle partie du monde», a expliqué Mgr Paul Gallagher, en charge des relations avec les États, dans un article publié par L’Osservatore Romano, le quotidien du Vatican.
Des décennies de pressions
Les demandes, provenant de toute l’Europe, visent à obtenir des visas ou des passeports, trouver l’asile, aider à réunir des familles ou chercher des informations sur les personnes déjà déportées. Certains en appellent à l’aide pour être libérés des camps de concentration. Mais dans la plupart des cas, le sort de ceux qui demandent de l’aide demeure inconnu, a précisé le Vatican.
Dans une lettre écrite en 1942, un étudiant allemand de 23 ans explique qu’il cherche à fuir un camp de concentration en Espagne. «Il y a peu d’espoir pour ceux qui n’ont aucune aide extérieure», écrit-il. Les archives ne dévoilent aucune autre information sur lui mais selon des recherches effectuées par le United States Holocaust Memorial Museum de Washington, il a été libéré un an après sa lettre et s’est finalement installé en Californie, a indiqué le Vatican.
Cette publication, qui intervient au lendemain de l’audience du pape avec une organisation internationale juive, fait suite à des décennies de pressions de la part d’universitaires et d’historiens divisés sur le rôle du pape italien durant l’Holocauste. Le Vatican défend Pie XII, affirmant qu’il a sauvé de nombreux juifs en les faisant cacher dans des institutions religieuses et que son silence visait à ne pas aggraver leur situation.
Archives dévoilées
La consultation de ces fichiers permet notamment d’accéder aux demandes adressées aux nonces et aux échanges engagés par le Saint-Siège. « Il s’agit essentiellement de demandes exprimées par ceux que l’Église appelait alors les catholiques non-aryens, c’est-à-dire d’origine juive, ou des juifs convertis au catholicisme », explique l’historienne Nina Valbousquet, membre de l’École française de Rome.
« Après les lois raciales adoptées en Italie en 1938, le Vatican constitue ce dossier “juifs”, contenant les demandes de tous ceux qui se tournent vers le pape pour qu’il appuie leur demande de visa afin de quitter leur pays », poursuit-elle, en expliquant que ces demandes émanent en fait en majeure partie de catholiques.
C’est d’ailleurs dans ce contexte que le Vatican délivrera 959 visas à des catholiques d’origine juive afin de leur permettre d’émigrer au Brésil. « Cette filière brésilienne est le fruit d’un accord entre le Saint-Siège et le Brésil. L’une des conditions était que les demandeurs soient des catholiques d’origine juive s’étant convertis au plus tard en 1935 », développe Nina Valbousquet, qui souligne aussi que les archives mises en ligne par le Vatican « ne peuvent pas être bien comprises sans accéder à d’autres fonds concernant cette période ».
Les archives de la Secrétairerie d’État ne sont en effet qu’une partie de celles qui contiennent les dossiers de l’activité passée du Saint-Siège. D’autres, contenus dans les « archives secrètes », concernent les papes eux-mêmes : les dossiers du pontificat de Pie XII ont d’ailleurs été ouverts aux chercheurs début 2020.
La mise en ligne de ces dossiers confirme, selon l’historienne, le « rôle humanitaire » du Saint-Siège à cette période, mais également que l’aide à l’émigration concernait principalement des catholiques d’origine juive. « Le Vatican rechigne alors à s’occuper de juifs non convertis au catholicisme, car cela est perçu à l’époque comme une ingérence dans la politique de pays étrangers », selon Nina Valbousquet.
Un effort incomplet
Cet effort de transparence du Saint-Siège est louable, selon Nina Valbousquet, mais reste incomplet si l’on veut se faire une idée plus précise du rôle véritable de Pie XII et du Saint-Siège vis-à-vis des juifs.
« On ne peut pas refaire l’histoire de ces personnes-là, si on ne va pas chercher ailleurs, dans les autres archives du Vatican, les autres dossiers qui correspondent. C’est-à-dire qu’il y a les fonds de la nonciature de France, par exemple, aux archives apostoliques. Ce ne sont pas les mêmes archives et elles ne sont pas numérisées. Donc si l’on prend juste ce fond tout seul, disons que ça ne sert pas à grand-chose. »
Le reste des archives de ce « fonds juifs » devrait bientôt être accessible, a promis le Vatican. Les chercheurs du monde entier continuent, eux de plonger dans les documents du pontificat de Pie XII, ouverts il y a deux ans, pour faire la lumière sur l’un des pontificats les plus controversés de l’histoire.
Environ 70 % des documents de ce fonds sont d’ores et déjà accessibles. Les 30 % restants le seront dans les prochains mois, promet le Vatican.
Sources lacroix, rfi, lefigaro