En annonçant la reprise des exploitations de champs gaziers, Israël vient en aide à l’Union européenne, via l’Égypte, pénalisée par la guerre en Ukraine.
Un tournant à 180 degrés, une volte-face déconcertante. Peu importe l’expression utilisée. En annonçant, le 30 mai dernier, qu’elle allait accorder des permis pour de nouvelles recherches de gaz dans les eaux territoriales israéliennes, la ministre israélienne de l’Énergie a créé la surprise et tiré un trait sur ses déclarations de décembre dernier : « Dans les prochaines années, nous allons nous concentrer sur les énergies renouvelables et nous mettrons de côté le développement du gaz naturel, qui est une solution de court terme. »
Désormais, son nouveau leitmotiv s’écrit ainsi : « La crise énergétique globale offre de véritables opportunités à l’État d’Israël en matière d’exportations de son gaz, avec aussi la préoccupation sincère et réelle pour ce qui se passe en Europe. » Nul besoin d’en dire plus pour expliquer ce changement de cap. En six mois, avec la guerre en Ukraine, on assiste à une crise énergétique globale. Et Israël l’a compris : grâce à son gaz, le pays peut passer d’un statut de protagoniste régional à celui d’acteur marquant au plan international.
Une nouvelle ambition pour Israël
Aujourd’hui, Israël exploite trois champs gaziers offshore. Découvert en 2009, Tamar est situé à environ 90 kilomètres à l’ouest d’Haïfa, dans la partie nord des eaux territoriales israéliennes. Au moment de sa découverte, on a estimé ses réserves à 240 milliards de mètres cubes. De quoi assurer la consommation domestique pendant plusieurs décennies. Un an plus tard, la découverte de Léviathan, à 30 kilomètres à l’ouest de Tamar, allait tout changer. Avec ses 500 milliards de mètres cubes, c’était non seulement la plus grosse découverte de gisement gazier dans le monde, mais cela signifiait pour Israël une nouvelle ambition : celle d’exportateur de gaz, au moins sur le plan régional. À cela s’est ajoutée récemment la découverte de deux autres champs gaziers offshore : ceux de Karish et Tanin, avec leurs 100 milliards de mètres cubes.
Déjà exportateur de gaz vers deux pays voisins, l’Égypte et la Jordanie, Israël a-t-il les moyens de sa nouvelle politique, celle de partenaire énergétique de l’UE ? « Oui », répond le ministère de l’Énergie, qui évoque des réserves proches des 1 000 milliards de mètres cubes, alors que les besoins en matière de consommation intérieure ne devraient pas excéder dans un avenir prévisible 500 milliards de mètres cubes. Israël bénéficierait donc d’une réserve de 500 milliards de mètres cubes destinés à l’exportation. Un chiffre qui pourrait doubler, au cas où les compagnies gazières, qui se pressent au portillon pour recevoir des licences de prospection, faisaient de nouvelles découvertes.
De fait, pour Israël, le défi se résume à cette question : comment acheminer son gaz vers l’Europe ? Le projet du pipeline de Méditerranée orientale (EastMed), connectant les champs gaziers au continent européen en partenariat avec Chypre et la Grèce, a été abandonné après le retrait des États-Unis pour, ont-ils dit, « des raisons économiques et environnementales. Reste donc l’exportation via les deux usines égyptiennes de liquéfaction de gaz ; le produit étant ensuite transporté par tanker vers l’Europe.
Israël-Égypte-UE : tout le monde y gagne
Cette formule a conduit à l’accord tripartite Israël-Égypte-Union européenne, signé au Caire à la mi-juin. Du win-win pour les trois partenaires. L’Égypte, qui aimerait bien devenir un hub énergétique régional, y voit surtout l’occasion de réaliser « un saut qualitatif dans le partenariat égypto-européen ». Pour les Européens, c’est bien entendu la réduction, en matière d’énergies, de sa dépendance vis-à-vis de la Russie. Pour Israël, c’est la promesse de davantage de coopération entre les membres du Forum du gaz de la Méditerranée orientale, qui regroupe la Jordanie, Israël, Chypre, la Grèce, l’Égypte, l’Autorité palestinienne, la France et l’Italie. Autrement dit, un élargissement à l’Europe de la diplomatie du gaz.
Des discussions sont en cours sur la mise en place d’un troisième gazoduc entre Israël et l’Égypte. À plus long terme, d’autres options sont examinées pour augmenter les livraisons vers l’Union européenne. On évoque par exemple la construction d’un important gazoduc qui relierait la Méditerranée orientale à un terminal européen. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, propose que cela passe par son territoire. Il s’est récemment réconcilié avec Israël.
Danièle Kriegel