A l’âge de 68 ans, l’artiste israélien Ra’anan Levy est décédé le 3 juin dernier à Paris. Un artiste cosmopolite qui interroge la fugacité du temps et traque la réalité ordinaire.
Né en 1954 à Jérusalem en Israël, Ra’anan Levy grandit au sein d’une famille juive plutôt influente dans le pays. Son grand-père est rédacteur en chef de l’un des principaux quotidiens de Damas. Après avoir combattu en 1973 durant la guerre du Kippour, le jeune intellectuel se défait de ses obligations militaires et quitte les siens pour partir étudier à l’Académie des Beaux-Arts de Rome. Puis il déménage à Florence pour suivre les cours dispensés dans l’atelier des frères Tovarelli. En 1987, il s’installe à Paris après avoir reçu une bourse de la Fondation de France. Depuis, Ra’anan Levy vagabonde entre Paris et Florence, illustrant l’ampleur de la diaspora des artistes israéliens des années 1970.
Ra’anan Levy laisse derrière lui une oeuvre foisonnante qui trouve un écho dans le monde entier. Paris, Londres, Tel Aviv, Jérusalem, Saint-Pétersbourg, Zurich et New York. Découvert par le public français lors de sa première rétrospective en France au Musée Maillol à la fin de l’année 2006, ses peintures sobres aux couleurs pures rencontrent rapidement un grand enthousiasme, ce qui lui vaut le titre de Chevalier des Arts et des Lettres décerné par le ministère de la Culture en 2013.
La fugacité du temps qui passe
L’artiste cosmopolite se démarque de la peinture moderniste. Il ne rompt pas tellement avec les règles et les canons de l’art classique notamment concernant la figuration. Quelque part entre Balthus, Freud et Hopper, Ra’anan Lévy s’inscrit dans la tradition des peintres figuratifs. Mais, dans son travail, la figure disparaît au profit de l’essence même de la matière. Il affiche l’obsession de capter les traces laissées par l’homme sur les objets du quotidien. Lavabos, espaces vides, bouches d’égout, servent à s’interroger sur la fugacité du temps qui passe. D’un coup de crayon, l’artiste semble réussir à capter une réalité fuyante.
Une aventure obsessionnelle
Ses intérieurs déserts révèlent sa solitude et son regard sur le monde qui l’entoure. Seul avec lui-même, il fait de chacun de ses tableaux un espace habitable. Il observe les lieux et les êtres avec une acuité extrême. Chaque gravure, chaque papier, chaque toile est le résultat d’une aventure obsessionnelle marquée par un tel degré d’engagement et de passion que Ra’anan Levy finit par s’incarner lui-même dans sa peinture. Son fameux Self-Portrait exposé dès 2014 à la Crane Kalman Gallery transpire la vie, dans sa réalité la plus crue. Un visage boursouflé, des traits tirés, un oeil hagard qui nous scrute du regard. On dirait presque un portrait naturaliste, scientifique, à la Zola. Une mise à nu des névroses de l’artiste. Une représentation de la passion à l’état pur.
Une esthétique de l’ambiguïté
Finalement, on retiendra de l’artiste israélien cette esthétique de l’ambiguïté. D’un côté les oeuvres qui représentent la plénitude jusqu’à la boulimie comme les ateliers pleins d’objets utiles et négligeables ou les bibliothèques dans lesquelles on peut se noyer sous des piles de livres jetés dans tous les sens. De l’autre côté, les sujets maigres voire anorexiques comme des pièces et des appartements vides, ou des fragments de miroirs. L’élément qui lie des sujets si opposés est simple : il y a toujours une ouverture qui invite les spectateurs à entrer.