Pour la linguiste Yana Grinshpun, les milieux universitaires favoriseraient outrageusement les travaux qui critiquent Israël, et censureraient tout ce qui est jugé « sioniste ».
On ne compte plus les conférences des philosophes, linguistes, historiens, psychanalystes annulées à cause de leur non-conformité à la morale universitaire. Les médias le font savoir, certains collègues universitaires protestent, d’autres subissent en attendant l’heure du départ à la retraite. Ainsi va ce brillant monde universitaire censé produire des savoirs et former des élites intellectuelles.
Mais voilà qu’il y a un point qu’on n’aime pas du tout aborder à l’université. On fait tout pour éviter de publier les travaux d’analystes du discours, d’historiens, de spécialistes des médias ou de sociologues qui montrent comment l’antisémitisme s’est travesti dans les habits humanistes et vertueux de l’antisionisme. Certains experts responsables de revues de communication et d’analyse du discours, de collections universitaires respectables font des pieds et des mains pour censurer tout travail qui montre comment pendant des décennies les médias et le système éducatif français ont construit la représentation négative d’Israël et des Juifs qui y vivent. Et qui ont revisité l’histoire de ce pays.
Seuls sont considérés comme « respectables » les Juifs morts dans les chambres à gaz ou ceux qui produisent des textes accusateurs de tout ce qui se fait en Israël. Sur un corpus de quatre cents articles de presse de ces dernières années, analysé par nos soins, aucun article ne dit quoi que ce soit de positif à propos d’Israël. Bien au contraire, on n’y voit que des clichés éculés sur le « meurtre des enfants palestiniens » (Mohammed Merah l’a bien appris des médias), sur la « puissance occupante » (de sa propre terre …), sur « Jérusalem occupé », alors qu’il s’agit de la capitale de l’état d’Israël, sur « l’arrachage des oliviers » (quand il s’agit des conflits de voisinage) , sur « l’apartheid » alors que les Palestiniens travaillent et étudient en Israël et que certains appellent même à boycotter les universités, ils sont inscrits. Sacré apartheid ! Une étudiante en master m’a raconté qu’en travaillant pour un quotidien communiste, elle était censée, en guise d’exercice de stage, écrire un article sur l’arrachage d’oliviers par les « colons ». Elle ne connaissait de colons qu’en Algérie, et n’avait aucune idée des plantes ni d’Israël, ni d’ailleurs, mais telle était la consigne de la rédaction.
Les universitaires sont des lecteurs et des usagers actifs des médias. Parmi ceux qui vilipendent sans cesse Israël en l’accusant de tous les maux, la grande majorité n’a jamais mis les pieds en Israël sous le prétexte « humaniste » que c’est un pays d’ « apartheid ». C’est tout à fait leur droit, d’être dans la haine identitaire ou dans le déni. C’est même leur jouissance. L’on ne peut pas la leur dénier. Mais ils n’aiment pas qu’on la perturbe.
« Mémoire d’Auschwitz »
En 2017 s’est tenu à Cerisy-la- Salle un colloque important sur les « Discours meurtriers ». Il était consacré à Victor Klemperer, un philologue juif qui a survécu à l’extermination et laissé un journal important sur la nazification de la langue allemande pendant la période nazie. Il y avait beaucoup de spécialistes de la Shoah, et de Klemperer. On y a lu des récits des rescapés, on y communiait avec ferveur dans le devoir de mémoire. Et il y avait un exposé sur la manière dont le conflit israélo-palestinien est construit par les médias. Sur la manipulation du lexique, des faits, des procédés discursifs. Dans le sillage de Klemperer. Le travail était fondé sur un important corpus d’articles ; l’analyse de corpus montrait les choix lexicaux, argumentatifs et idéologiques des médias. Le dispositif d’argumentation était fondé sur les discours des terroristes français qui justifiaient leurs actes soit oralement, soit par écrit, soit en laissant des vidéos. Notamment sur celui de Mohammed Merah, qui expliquait au Raid pourquoi il tuait les Juifs. Ce texte, le seul parmi tous les textes présentés aux colloques, n’a pas été publié, car les experts relecteurs ont décidé qu’il « n’y avait pas d’argumentation sérieuse qui étayait les propos », et que cette analyse relevait de « l’avis militant et biaisé ».
L’humanisme universitaire concernant les Juifs est d’une nature particulière : il est inspiré par « la mémoire d’Auschwitz », il s’en réclame. C’est au nom de « la mémoire d’Auschwitz », par exemple, qu’un collègue linguiste a refusé de faire le compte rendu de l’ouvrage de Georges-Elia Sarfati, philosophe du langage, auteur du livre : Six leçons sur le sens commun. Esquisse d’une théorie du discours Ayant découvert que l’auteur, Sarfati, est par ailleurs un analyste du phénomène antisioniste, il s’est ravisé et lui a fait savoir que, compte tenu de sa position « sioniste », il était obligé de se dédire, assumant de reprendre à son compte les principes du boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) et justifiant sa décision par le fait que l’échec de « la solution à deux Etats » était du fait des « sionistes » comme Sarfati. On voit l’absurdité de la situation, il s’agit d’un contexte d’échanges scientifiques. L’ouvrage à recenser ne porte d’aucune manière sur des questions d’actualité politique, son objet est la philosophie du langage. Par ailleurs, appeler un citoyen franco-israélien « sioniste » n’a guère plus de sens que de qualifier un citoyen français de « jacobin ». Quant à la « mémoire d’Auschwitz », elle est devenue l’argument pervers des boycotteurs moralisateurs.
Le sionisme, un mouvement de gauche
Il est également étonnant que le « sionisme » soit pour nombre d’universitaires un mouvement « d’extrême droite ». Les Juifs qui défendent le droit à l’existence d’Israël et son droit de se défendre contre les attaques incessantes de ses voisins seraient-ils des « fascistes »? On en déduit une position paradoxale : c’est seulement lorsqu’ils ne se défendent pas et meurent comme victimes souffrantes, comme à Auschwitz, qu’ils sont dignes d’exister, d’être considéré comme des « bons Juifs » ou des « Juifs fréquentables ». Au demeurant, il faut vraiment ne pas connaître l’histoire des siècles passés pour s’enliser dans une telle ritournelle. David Ben Gourion, fondateur de l’état d’Israël, Golda Meïr, femme d’état israélienne, tous les deux de gauche et sionistes convaincus, ne sont plus l » pour rire aux éclats en entendant ces représentants du « savoir »
Le sionisme est une philosophie politique, inspirée des Lumières, qui a permis l’existence de l’état juif. Israël est son aboutissement et le « sionisme » fait aujourd’hui partie intégrante de l’histoire universelle. Se dire « antisionistes », comme bien des universitaires, c’est contester l’existence de cet état. Et c’est au nom de cette contestation parée de toutes les vertus et de toutes les qualités morales, qu’ils se permettent de discriminer des collègues avec l’approbation générale et le haussement d’épaules silencieux de nombreux témoins. Mais peut-être ignorent-ils que l’antisionisme s’enracine d’abord dans la doctrine du « complot juif »? .
L’existence d’Israël actuel n’est pas le résultat de la Shoah, elle n’est pas non plus le résultat des horreurs d’Auschwitz et de tant d’autres camps d’extermination, elle n’est pas non plus une concession magnanime du gouvernement britannique, ni de sa politique extérieure. L’état d’Israël est l’aboutissement de l’idée sioniste, qui précède d’un siècle « la mémoire d’Auschwitz » qu’aiment tellement nos collègues, les mêmes qui abhorrent la réalité d’Israël.
Les travaux d’universitaires juifs sont publiés quand ils signent les pétitions anti-israéliennes ou quand ils renient leurs origines, comme le très médiatique historien Shlomo Sand, qui confond l’histoire avec la biologie, la biologie avec la religion, et la religion avec ses fantasmes, et qui annonce urbi et orbi que le peuple juif n’existe pas. Alors, ils reçoivent des prix et des invitations de la presse, les salles universitaires les accueillent à bras ouverts, France Culture les écoute attentivement, l’école Normale leur ouvre ses portes.
l est très utile de lire quelques pages de Shmuel Trigano sur les larmes de crocodile des adorateurs antisionistes d’Auschwitz. Le philosophe a bien décrit le phénomène dans Les frontières d’Auschwitz (2005): « Malheur à la victime née si elle s’affirmait comme un sujet autonome ; elle passerait alors pour le bourreau! Les prêtres de la mémoire ne sont là que pour défendre des victimes. Elles doivent donc rester dans leur rôle. On comprend pourquoi. En compatissant pour des victimes sans défense, ils s’identifient à elles contre le bourreau qu’ils pressentent en eux et dont ils se distinguent alors. Le destin subi des victimes réelles se voit alors crédité d’une vocation expiatoire. Par le sacrifice de leur subjectivité, elles assurent le salut moral de la société européenne. Mais en se rebellant contre leur sort, elles portent atteinte à l’existence collective et deviennent monstrueuses. Les philosophes de l’abus de mémoire identifient ainsi systématiquement les Juifs à un danger majeur pour la démocratie ».
Il faudrait peut-être poser une question à ces collègues, drapés dans leur humanisme et leur « objectivité » doxique : faut-il être mort, et de préférence à Auschwitz, pour avoir le droit d’être recensé ou celui de publier dans les ouvrages et les revues universitaires sur le sujet du conflit israélo-arabe, sans risquer les indignations unilatérales des virtuoses de la double morale adoubés par l’institution universitaire?
Yana Grinshpun
Bonjour. Il ne reste plus maintenant à Yona Grinshpun qu’à effectuer une étude sur le thème : « Le philosémitisme politicien : une profanation de la « mémoire d’Auschwitz ».
Nous sommes quelques-uns qui n’avons pas oublié la rage qui était la nôtre au vu des manuels scolaires que le prof d’histoire nous faisait utiliser en fin d’année quand il avait eu le temps de terminer le programme et dans lesquels l’extermination du peuple juif faisait l’objet, à la fin du chapitre sur la seconde guerre mondiale, de… un paragraphe, sous-titré : « bilan matériel et humain ». Et comme pour se faire pardonner de ne pas plus parler de ce qui ne peut se comparer à rien ces manuels plaçaient une photographie -le plus souvent la même- montrant des détenus faméliques sur les lits superposés d’une infirmerie.
(pour ma part j’en disais quand même un peu plus aux élèves, quand il m’arrivait de faire des remplacements : j’ai même le souvenir ému d’un petit groupe qui à la fin d’un cours me remercia d’avoir parlé de… ce-dont-leurs-parents-ne-leur-avaient-pas-parlé, sic)
Les plus âgés se rappellent aussi l’interdiction du film ‘Nuit et brouillard’ d’Alain Resnais et sur intervention au plus haut niveau, au festival de Cannes.
Le quasi-silence devint toutefois de plus en plus difficile à maintenir à la faveur du succès mondial rencontré par le film Shoah de Claude Lanzmann ; de plus en 1985, quarante ans étaient passés depuis la libération des camps et ils étaient de moins en nombreux, ceux et celles qui auraient pu demander des comptes ; et puis, malgré le verrouillage des archives publiques, celles-ci commençaient à s’ouvrir. Et ce fut LA -mais alors LA, seulement- que les tenants de l’idéologie dominante firent soudain une miraculeuse découverte : « la démocratie » (avec ici des guillemets, comme toujours lorsqu’elle ne tient plus lieu que de feuille-de-vigne) n’avait pas exterminé les juifs -elle les avait juste… laissé massacrer !
Et c’est ainsi que sans transition ou presque il n’y en eut plus que pour le mot ‘Shoah’, prononcé de préférence, la bouche en cul-de-poule : y compris -et surtout- par des politiciens dont rien ne prouve qu’en ce temps ils se seraient comportés différemment de ceux qui firent partir à la mort les juifs et autres victimes.