ENTRETIEN. La trilogie des « 9 », bientôt adaptée par Costa-Gavras, se clôt avec « Noa » : 9 hackeurs contre un dictateur et un renversement au profit du peuple.
Les « Neuf », la trilogie de Marc Levy, ce sont neuf hackeurs engagés dans la défense des démocraties. Une poignée de cyber-Robin des Bois, des accros de la tech intelligence artificielle possible, comme le mouvement hacktiviste des Anonymous, pour faire tomber les escrocs planétaires du XXIe siècle, que l’auteur appelle des « criminels à col blanc ». Despotes, oligarques, tycoon des médias ou de la finance manigançant leur enrichissement sans fin au détriment des populations. C’est arrivé la nuit (2020), Le Crépuscule des fauves (2021) et, ce printemps, Noa sont traversés par les thèmes de la résistance, de l’engagement politique et de l’amour.
On y croise de vrais-faux personnages, tels le Premier ministre britannique rebaptisé Jarvis Borson, le mania américain Steve Bannon, Baron, la famille Berdoch, des oligarques russes installés dans des palais londoniens, un milliardaire anglais acheté par le Kremlin pour financer des campagnes de désinformation massive dans son propre pays. Nigel Farage est encore appelé Nigel Garbage, mais on replonge dans l’affaire Pegasus, les intrigues du média d’extrême droite américain Breitbart News, les collectes de data par ciblage pour influencer les élections, le journaliste assassiné Jamal Khashoggi, ancien chroniqueur au Washington Post. L’intrigue, entre thriller et roman d’espionnage, est une fiction, mais l’arrière-plan se révèle authentique. Marc Levy, de passage à Paris – il vit à New York –, nous a accordé un entretien pour évoquer une clôture de cette trilogie plus vraie que nature, en cours d’adaptation en série télé par Costa-Gavras.
Le Point : N’êtes-vous pas tenté de donner une suite à cette trilogie ?
Marc Levy : Je suis incapable de vous le dire. Je m’étais promis d’écrire une trilogie, mais aussi que le tome III soit à la fois indépendant et en même temps une vraie conclusion à l’aventure des Neuf. C’est chose faite. Mais qui dit que je n’aurais pas envie de retrouver ces personnages ? Je pense qu’ils vont beaucoup plus me manquer que je ne l’imaginais parce que j’ai passé énormément de temps avec eux. Ils m’ont accompagné durant trois ou quatre ans, je ne sais plus, avec la pandémie !
Justement, quels ont été les effets de la pandémie sur votre écriture ?
Un effet très favorable. D’abord, parce que ceux qui écrivent étaient psychologiquement assez préparés, peut-être beaucoup plus que d’autres, et ont probablement moins souffert de la pandémie. Structurellement, on n’a pas de bureau, on ne va pas au travail, rarement avec des collègues, on était donc plutôt bien armés. Et puis c’est vrai qu’il fallait occuper le temps. Et comme les loisirs avaient disparu, les possibilités de vacances aussi, il ne restait qu’à écrire, et je n’ai jamais autant écrit que pendant la pandémie.
La cyberguerre est-elle, selon vous, l’avenir de la guerre ?
La guerre digitale est déjà, aujourd’hui, indissociable de la guerre physique. Si vous regardez ce qui se passe dans le conflit ukrainien, vous voyez, d’une part, la façon dont la résistance utilise la technologie pour communiquer. D’autre part, voyez la façon dont la dictature de Poutine, grâce aux outils technologiques de communication, crée une réalité parallèle dans son propre pays, pour se maintenir au pouvoir et justifier ses actes de barbarie. La population russe est soumise à un embargo de communication et à des moyens de répression très importants, interdisant aux gens non seulement de s’informer, mais d’informer.
La cyberguerre précède-t-elle la guerre ?
Oui, et la cyberguerre a commencé depuis très longtemps. La manipulation, la désinformation systématique entreprise par les uns et les autres, comme les oligarques et les autocrates. Pas seulement les Russes, puisqu’ils ont leurs alliés par exemple aux États-Unis. C’est une des choses que je raconte dans la trilogie, et dont on parle peu, mais aujourd’hui un des meilleurs alliés des dictateurs, quoi qu’on en dise, est Lachlan Murdoch, fils du magnat des médias australo-américain Rupert Murdoch, qui vit actuellement en Australie.
Votre trilogie étale au grand jour ce que peu de gens savent. Quelle mission vous donnez-vous ?
Je ne me suis jamais senti investi d’un quelconque pouvoir à travers l’écriture. En fait, je crois au contraire avoir toujours été assez un peu pudique, voire timide. Mais je trouve qu’il y a dans l’écriture une force et une douceur qui se marient de façon extrêmement intelligente. Quand vous allez à la télévision exposer votre point de vue, vous entrez chez les gens et parfois à leur insu. Les gens sont devant leur télévision, et puis, tout à coup, voilà qu’on vient leur donner des leçons. Le roman, comme le cinéma, relève à l’inverse d’une démarche volontaire. Vous n’entrez pas par hasard dans une salle de cinéma et un livre ne s’ouvre pas miraculeusement sur vos genoux. Ce n’est pas une imposition, c’est un choix. J’aime ce respect dans lequel on tient celui avec lequel on partage son point de vue. Et il ne me viendrait pas à l’esprit d’écrire un livre pour donner une leçon de morale. Ce n’est pas du tout ma tasse de thé, mais raconter une histoire avec des personnages qui sont des résistants de la première heure, Mateo, Janice, Diego, et faire en sorte qu’on comprenne à travers eux qu’il faut défendre la démocratie, ça, oui.
Quel est votre hackeur favori parmi les neuf ?
Il y a toujours un personnage dans lequel on se glisse inconsciemment, et pour moi, c’est Vital. Il n’a pas vraiment de « physique ». Il travaille dans son donjon assis dans son fauteuil roulant. Sa mobilité existe davantage par le combat qu’il mène, par l’amour qu’il a envie de donner, de partager. Parce que c’est un type qui est à la fois très pudique et en même temps… Je ne sais pas, c’est très difficile, j’ai du mal à décrire pourquoi je me suis senti vraiment proche de lui. Mais il y a aussi Mateo. Je me suis senti proche de son côté étranger. Un étranger dans son propre pays, et qui le restera toute sa vie.
Et votre hackeuse favorite ?
Ekaterina, pour sa difficulté amoureuse. Une difficulté qui m’a beaucoup rappelé la façon dont j’ai moi-même découvert l’amour. C’est-à-dire que je n’avais pas le mode d’emploi, je ne comprenais rien. Quand j’avais son âge et que j’ai découvert les premiers émois, j’avais l’impression d’être submergé. Je me sentais extrêmement vulnérable. À côté de mes copains, très machos, très sûrs d’eux, qui allaient vite, moi, quand une fille me plaisait, il me fallait six mois pour traverser la salle et oser lui parler. Entre-temps, elle était mariée et avait des enfants ! Un peu comme Ekaterina.
Vous travaillez à l’adaptation de cette trilogie en série télé avec Costa-Gavras. Comment se passe cette phase de « transformation » du texte ?
Je travaille actuellement avec Costa sur la série les « Neuf », mais aussi à l’adaptation de l’un de mes romans en film avec deux scénaristes américaines. Moi, j’ai toujours pensé qu’un roman n’était jamais fini. Enfin, ceux des autres le sont, mais pas les miens. J’ai l’impression qu’ils ne sont jamais finis. Une adaptation, c’est accepter que quelqu’un se penche sur votre travail avec une bienveillance, et le laisser le refaire à sa façon. Vous découvrez alors tout ce que vous n’avez pas bien fait vous-même et tout ce que vous auriez pu mieux faire, c’est très enrichissant.
Vous n’avez jamais eu la tentation de défendre mordicus vos romans, pour qu’ils restent intacts ?
Jamais. C’est très technique ce que je vais vous dire, mais le seul danger qui existe avec une adaptation, c’est de se mettre à raconter une autre histoire sans s’en rendre compte. Parce que si c’est un choix délibéré, c’est tout à fait respectable, tant qu’on le sait. Vous avez beaucoup d’adaptations très réussies qui partent d’un fait du livre pour raconter une autre histoire. En revanche, le danger, c’est que, de modification en modification, on en arrive à raconter une autre histoire sans s’en rendre compte. Et là, l’auteur doit avoir un rôle de vigie. C’est sa seule responsabilité. Pour le reste, il faut laisser aux autres la liberté de faire leur travail.
Noa, de Marc Levy, dessins de Pauline Lévêque (Robert Lafont – Versilio, 380 pages, 21,90 €. C’est arrivé la nuit et Le Crépuscule des fauves sont réédités chez Pocket.
Propos recueillis par Julie Malaure