Le comédien drôle, tchatcheur et populaire, s’épanouit dans des rôles de bêtas attachants, de Serge le Mytho à Marc du «Flambeau».
Pour évaluer la notoriété d’un acteur, il est facile de compter le nombre de ses abonnés sur Insta ou ses apparitions dans les pages people. Mais l’installer à la terrasse d’un restau parisien est un moyen encore plus révélateur et fascinant. Pourtant, ce jour-là, Jonathan Cohen, bientôt 42 ans, n’est pas très reconnaissable. Entre la veste kaki, les poches sous les yeux à cause du rush final du montage de sa nouvelle série le Flambeau et le temps gris qui pose sur le recoin de la rue un voile de brouillard, il faut avoir l’œil pour le remarquer. Or, ça n’arrête pas. Les passants l’aperçoivent, sourient, sautillent, hésitent, puis osent s’approcher pour demander une photo. Jonathan Cohen accepte de bonne grâce : «Ça reste une célébrité relative, je ne suis pas Pierre Niney ou Omar Sy.»
Un homme l’invite dans sa salle de combat, proposition qui plaît au comédien amateur de MMA. Un autre raconte à quel point son humour lui fait du bien, qu’il ne doit pas arrêter, que c’est important. Et puis ce gamin, mal dégrossi, les cheveux courts et les boutons encore de l’adolescence, qui bafouille : «Salut, je suis choqué, je suis arrivé depuis deux jours à Paris, je suis grave fan.» Comme si, dans sa montée récente à la capitale –pour un travail ?un amour ? vivre ?– le rencontrer était le signe que tout est possible.
Autant que de l’admiration, on perçoit une forme d’identification. Jonathan Cohen, en apparence, c’est monsieur Tout-le-Monde à qui tout réussit. En ce moment, même ses vieilles blagues entre copains, comme son gag sans prétention «Weeee Weeee, ceci est une descente de police», deviennent virales. Ce n’est pas le fils de, le jeune premier, l’intello agaçant, c’est le petit rondouillard rigolo au langage familier qui a mis longtemps à dépasser ses complexes physiques. Il confie : «Je voulais être le gars qui sauve : un héros. Je ne me sentais pas beau gosse et je ne me le sens toujours pas.» Désormais, il sait qu’il plaît, mais «le regard de l’enfant sur soi, il est dur à changer».
A sa manière, il en est pourtant devenu un, de héros. D’abord, en s’inventant une vie, avec Serge le Mytho, qui a fait décoller en 2016 une carrière jusque-là honnête et fournie mais discrète. Dans ces petites pastilles, entouré le plus souvent d’Orelsan et de Gringe, il incarne un mec débitant des histoires plus énormes que lui pour s’échapper de son quotidien morne d’une ville de province. Carton : tout le monde a un pote mythomane, aussi agaçant que fascinant. Encore : «Quand tu as 12 ans, que tu te rêves en héros et que tu ne l’es pas du tout, c’est d’une grande violence. Serge, sa fêlure, c’est l’enfant que j’étais.»
Ensuite, voilà Marc, le personnage principal de la série la Flamme, parodie du Bachelor, puis du Flambeau… reprise de Koh-Lanta diffusée à partir de lundi sur Canal +, où Cohen écrit, dirige, joue. Le pilote d’avion insupportable, mâle toxique surtout pour lui-même, est d’une bêtise crasse. Entre potacherie française, absurde anglo-saxon et blagues ratées, la série d’humour est un bonbon réjouissant, créatrice à la volée de mèmes et ritournelles (ah ! la désormais fameuse Jean-Guile). Sans oublier le casting all-stars, signe de sa popularité auprès de ses pairs, de Leïla Bekhti à Kad Merad, en passant par Pierre Niney, Gérard Darmon, Ana Girardot, Adèle Exarchopoulos et Laura Felpin. «J’aime les idiots, les gars qui sont restés avec un regard de môme dans un corps d’adulte. Ils ont leur système de croyance et ils n’en dérogent pas, explique Jonathan Cohen en parlant de Marc. En plus, ils arrivent à gagner. C’est un peu le reflet de notre époque. On n’est pas dans une idiocratie totale mais il y a un truc assez intéressant : les idiots ne se posent pas de question, ne s’excusent pas de ce qu’ils font, même quand ils se prennent des bâches. Ils arrivent à se raconter une histoire qui fait qu’ils ont raison à la fin… Un peu quand même…» Il dit «un peu quand même», en pinçant des lèvres, secouant la tête. En un instant, il se transforme en celui qu’on a l’habitude de voir sur l’écran.
«Jonathan prend la comédie comme une forme d’art, sans aucun cynisme», souligne David Caviglioli. Le réalisateur est l’un des scénaristes du Flambeau… et l’a fait jouer dans son film Terrible Jungle : «Sur le tournage, tout le monde est tombé amoureux de lui. Il connaît son texte, contrairement à pas mal d’acteurs. Il est là le premier, il part le dernier.» Son ami est impressionné par la charge de travail qu’il s’impose. Entre sa paternité, avec la DJ Piu-Piu, ses projets, ceux des autres et le temps passer à mater des séries et des sketchs, en fan absolu, avide de toutes nouveautés, il n’arrête jamais. En ce moment, le binge-watcher nous conseille Dave (aka Lil Dicky) et The After Party, considérant qu’en humour les Américains «restent nettement au-dessus».
Ado, il avait un faible pour les séries du samedi soir sur M6. Il regrette qu’on n’ait jamais vu Code Quantum : «C’est que 96 épisodes.» Et il admire pour l’éternité le Club Dorothée, Max et Compagnie en tête. «Un grand dessin animé d’un keum tout discret amoureux d’une meuf et qui ne remarque pas l’autre meuf trop belle faite pour lui. Il avait trop peur de dévoiler ses sentiments. Il n’était jamais naturel. Je m’identifiais tellement au personnage…» Gamin, il vit avec sa mère, divorcée, employée de banque. Son père est commercial. De sa ville de la petite couronne, Pantin, il garde un souvenir ému, lui, le juif universaliste, attaché au mélange des cultures et des religions, soulagé de la défaite de Le Pen. «Je ne pourrais pas être communautariste.»
Elève distrait, il rate son bac STT et se met à vendre des fenêtres. Un jour, il suit son copain l’acteur Olivier Rosemberg à un cours de théâtre. Par hasard. Déclic. «Tout de suite, il était très à l’aise. Il avait des facilités, un grand monde intérieur», se souvient son meilleur ami, rencontré dans une colo à 14 ans. Ensemble, ils ont passé «au moins dix mille nuits» à se faire des blagues. Jonathan Cohen entre ensuite au prestigieux Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD), du premier coup, tout en étant serveur. Il en garde une admiration pour Shakespeare, Tchekhov, Racine et rêve de jouer Néron dans Britannicus. Il cite : «J’entendrai des regards que vous croirez muets…. C’est le meilleur rôle de la Terre.» A égalité probablement avec le fantasme d’apparaître dans Matrix, dont il reste 23 ans après «chamboulé», cinématographiquement et philosophiquement.
Devenir célèbre relativement sur le tard lui a permis de prendre du recul. Cela n’a pas toujours été le cas. «Le début de ma trentaine a été un peu hardcore. Et à 35, quelque chose s’est apaisé. Je me suis dit : “J’ai des amis en or, je vais être heureux malgré mon métier, quoi qu’il se passe.”» Notez-le «malgré». Le comédien a su dire au revoir à la négativité. Ou, comme répète Marc du Flambeau en italien : «Ciao mozzarella !»
Je rajoute parce que j’ai adoré la saison 1 : en 2019, il déchire Netflix avec la saison de Family Business, avec les deux fabuleux anciens, Gérard Darmon et Liliane Rovère.
Juin 1980 Naissance.
2016 Serge le Mytho.
2019 Family Business .
2020 La Flamme.
23 mai 2022 Le Flambeau, les aventuriers de Chupacabra (Canal +).
Quentin Girard