En 1909, Albert Kahn, un richissime banquier juif français, décide de consacrer sa fortune à une conviction : celle qu’en se connaissant mieux les peuples s’éloigneraient de la guerre. De cette idée est né un projet photographique exceptionnel: les Archives de la planète.
Un Alsacien devenu richissime
Ces images magnifiques ont été prises au début du XXe siècle. Avoir de tel témoignages en couleurs est rarissime pour l’époque. Cette mémoire colorée de la planète nous la devons à Albert Kahn, un Alsacien né en 1860 dans une famille de marchands de bovins.
Magali Melandri : « Il a vécu dans cette ruralité, dans une communauté juive. Il a appris auprès de son père le négoce et il a eu aussi une fracture identitaire à partir de 1870 puisqu’il devient Allemand suite à la guerre franco-prussienne. »
Cette expérience de la guerre va le hanter et par la suite, il n’aura de cesse d’œuvrer pour la paix. Cet idéal pacifiste, il le partage avec le philosophe Henri Bergson, son précepteur et ami rencontré à Paris. C’est là d’ailleurs qu’il apprend le métier de banquier et la spéculation : actions, diamants, mines d’or,… Il a du flair, fait fortune et, à 38 ans, dirige sa propre banque.
Cette fortune, Albert Kahn la consacre à ses idéaux à travers plusieurs fondations et bourses. Par exemple il finance un tour du monde à des étudiants à qui il dira : « Je ne vous demande qu’une chose, c’est d’avoir les yeux grand ouverts.”
Créer la mémoire du monde
En 1908, il se lance lui-même dans un tour du monde et fait former son chauffeur à une toute nouvelle technique de prises de vues, l’autochrome : une photographie révolutionnaire en couleurs sur plaques de verre.
Albert Kahn se forge alors une conviction : « Il faut aller saisir la vie partout là où elle est, partout dans la rue.”
Il se lance dans un projet fou : les Archives de la planète. 12 opérateurs sont envoyés sur les 5 continents pour documenter, photographier, filmer, témoigner de ce qu’ils voient. Ils ramènent grâce aux films des moments de vie uniques, et des images en couleurs de pratiques, de métiers, de tenues, de bâtiments aujourd’hui disparus. Pour structurer cette œuvre, Albert Kahn se fait aider d’un géographe, Jean Brunhes.
Magali Melandri : « Kahn et Brunhes pensent qu’un certain nombre de traits culturels sont en pleine transformation, mutation, voire sont appelés à disparaître et qu’il est important d’enregistrer cette mémoire pour à la fois la transmettre aux générations futures et montrer cette richesse et cette diversité du monde aux invités triés sur le volet que Kahn accueille à Boulogne pour créer encore davantage cette ouverture au monde, dans une optique d’entente entre les peuples, de comprendre que regarder cette diversité c’est déjà travailler en faveur de la paix et de meilleurs modes de relations internationaux.
Son domaine près de Paris est un lieu de rencontre et de bouillonnement culturel : expositions, projections, conférences… Albert Kahn reproduit son idéal de paix universelle jusque dans son jardin qui représente les cinq continents.
La gloire, la richesse puis la faillite et la solitude
Ses nombreux invités, ses salariés sont photographiés… mais lui se dérobe toujours à la caméra
Magali Melandri : « Albert Kahn a une personnalité paradoxale. Il est mondain mais il aime aussi se rendre dans la forêt de Fontainebleau, pour y dormir à la belle étoile. Il a par certains côtés un caractère solitaire : il ne sera jamais marié, il n’a pas de descendance. »
La crise de 1929 va causer sa ruine : sa banque fait faillite, sa propriété est vendue, ses meubles dispersés.
Et alors qu’il vient juste d’être recensé comme juif par le régime de Vichy en 1940, il meurt dans la solitude. Son idéal internationaliste et humaniste lui a survécu.
Magali Melandri : « C’est sans doute dans ces premières sociétés internationales comme la Société des Nations qu’il y a une forme d’héritage de cet idéal qu’il avait de paix, et dans différents organismes internationaux auxquels il était très lié et dont on connaît aujourd’hui les ramifications comme l’Unesco ou l’O.N.U. Il n’est pas la personnalité qui était au devant de ces prémices d’organisations, néanmoins il en a été un chaînon. »
Le jardin et les archives d’Albert Kahn, composées de 72 000 autochromes, ont été sauvés. Ces dernières sont aujourd’hui une richesse inestimable pour la mémoire mondiale.
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