L’immobilier de luxe français, une perle rare très convoitée. Châteaux, hôtels particuliers, duplex… Il suffit parfois d’une seule visite pour que ces biens se vendent. Les acheteurs français profitent de taux d’intérêt encore bas, les étrangers de la valorisation du dollar.
C’est bien connu, le luxe et l’hyper-luxe ne connaissent pas la crise. De là à cartonner autant en ce début d’année, peu de professionnels de l’immobilier n’osaient l’imaginer. Châteaux, manoirs, hôtels particuliers, maisons de campagne, duplex… Les ventes s’enchaînent à un rythme soutenu en Île-de-France, et rien ne semble les faire faiblir. À tel point que 2022 pourrait bien être meilleure ou au moins comparable à 2021, un millésime record pour l’immobilier haut de gamme.
« On n’a jamais connu une activité au premier trimestre aussi forte que cette année, lance Alexander Kraft, président de Sotheby’s International Realty France. Après une année 2021 exceptionnelle, on pensait ralentir en janvier comme on en a l’habitude chaque année, mais pas du tout. » Même étonnement chez Féau. « Tout va bien, de façon assez hallucinante », sourit Nicolas Pettex-Muffat, directeur général des groupes Daniel Féau et Belles Demeures de France. Axé sur Paris et l’Ouest parisien, lui aussi misait sur une accalmie en 2022 mais vit tout le contraire.
« Sur les quatre premiers mois de l’année, on enregistre une progression de 188 % du nombre des transactions à plus de 3 millions d’euros par rapport à la même période de 2019, on triple presque nos ventes alors qu’on détient déjà 50 % des parts de marché sur ce segment, se félicite-t-il. Les ventes sur les biens entre 2 et 3 millions d’euros augmentent de 53 % par rapport à la même période de 2019, et celles entre 750 000 euros et 2 millions d’euros, de 6 %… Le plus dingue, c’est que nos acheteurs sont essentiellement Français. »
Les Français n’ont jamais autant été actifs à l’acquisition. « Beaucoup ont déménagé et surclassé leur résidence principale pour avoir soit une meilleure qualité de vie dans Paris, soit plus grand ou mieux localisé avec des aménagements intérieurs particuliers comme des salles de sport », explique Alexander Kraft.
Des surenchères à peine croyables
Avec toujours dans le viseur la recherche d’extérieurs. Les jardins, rez-de-jardin et terrasses restent très demandés. Jusqu’à donner lieu à des situations ubuesques comme ces surenchères pour remporter une villa dans une allée privée du XVIe arrondissement de Paris. « En vingt-quatre heures, on a atteint des niveaux de prix inimaginables, jamais je n’avais vécu cela », confie, encore surpris, Nicolas Pettex-Muffat. Dans le XVe arrondissement, il vient de vendre un triplex avec terrasse arborée plus de 3 millions d’euros.
« Le leitmotiv de nos clients ? Du charme à une heure autour de Paris », résume de son côté Marc Foujols, président du groupe éponyme. Rien qu’en ce début d’année, il a vendu trois châteaux et huit manoirs en Île-de-France entre 800 000 euros et 2 millions d’euros chacun, ainsi que le château d’Ermenonville (Oise) à un groupe d’industriels français pour plus de 10 millions d’euros.
Le groupe revendique une hausse de plus de 25 % du chiffre d’affaires au premier trimestre par rapport à celui de l’an passé. « La demande est toujours aussi vive en résidence principale, secondaire ou tertiaire, c’est-à-dire en habitation principale en région parisienne avec un pied-à-terre à Paris pour trois ou quatre jours par semaine », ajoute-t-il.
Les Yvelines restent, comme en 2021, très demandées « grâce à leurs espaces verts et leur proximité de Paris, mais les Hauts-de-Seine nord : Colombes, Bois-Colombes, Asnières, La Garenne-Colombes, Clichy… ont, c’est nouveau, beaucoup de succès cette année », remarque Richard Tzipine, directeur général de Barnes.
À la fin du mois de mai, il doit annoncer « un chiffre d’affaires en hausse de 10 % par rapport aux cinq premiers mois de 2021, année de tous les records ». Dans Paris intra-muros, il assiste au retour en grâce des quartiers Montmartre et Marais, délaissés durant le Covid.
Les acquéreurs étrangers de retour
Après deux ans d’absence, les acheteurs étrangers amorcent leur retour. « 5 à 10 % de nos transactions sont réalisées en ce moment par des étrangers contre 50 % d’habitude », remarque Alexander Kraft. En tête desquels on trouve les Européens frontaliers (Belges, Luxembourgeois, Allemands, Suisses) et Scandinaves.
« Les Américains commencent à revenir en force depuis six semaines », selon le président de Sotheby’s, qui y voit « le début d’une vague qui pourrait soutenir le marché si la demande française ralentit ». Chez Féau, on compte déjà une quinzaine d’acquéreurs nord-américains depuis le début de l’année, contre deux seulement l’an passé. « La forte appréciation du dollar par rapport à l’euro depuis deux mois permet aux Américains de gagner 20 % de pouvoir d’achat lors de leurs achats en euros et ils en profitent, surtout que beaucoup étaient déjà en recherche avant le Covid… Ils entrent même en concurrence avec les Français ! », analyse-t-il.
Seul Sotheby’s note une montée en puissance depuis quelques semaines d’investisseurs d’Europe de l’Est, « des Hongrois, Tchèques, Polonais qui souhaitent sécuriser leurs fonds dans la pierre française, mais sans créer une réelle tendance ». Pour beaucoup de professionnels, c’est moins la guerre qui a un impact sur leur activité — le poids des Russes étant résiduel — que ses conséquences, avec la montée de l’inflation. « Le spectre de la hausse des taux crée une forme d’urgence pour les acquéreurs, qui anticipent des taux plus hauts dans les mois à venir… Du coup, la cadence de nos ventes dépasse la cadence de nos offres », conclut Nicolas Pettex-Muffat.
Signe ultime de l’effervescence du marché, les acheteurs ne pinaillent pas et se décident très vite, parfois en quelques heures. « Je viens de vendre, en une visite, à un Égyptien, un appartement à refaire entièrement de 180 m2 avenue Foch (XVIe) à 2,75 millions d’euros », souligne Charles Daireaux, directeur de l’agence Mercure Forbes Global Properties de Paris Ouest.
Une seule visite a suffi aussi à cet appartement, pourtant en premier étage, avenue d’Eylau (XVIe), de 260 m2 (2,9 millions d’euros), pour trouver preneur, comme pour cet appartement de 335 m2 boulevard de Beauséjour (XVIe, plus de 5 millions d’euros). À peine rentrés, les biens trouvent preneurs. Est-ce que ça va durer ? Les professionnels veulent y croire.
Delphine Denuit