Le second tour de la présidentielle, le face à face désormais classique d’une opposition Macron/Le Pen ne doit pas faire oublier l’émergence d’un nouveau parti fasciste sur l’échiquier politique et son ambition : celle de l’union des droites.
Maintenant qu’on s’est posé un peu, que Marine Le Pen est battue et que les législatives sont en vue, il est temps de revenir sur le score d’Éric Zemmour et les perspectives de son parti, Reconquête. Son score national, en deçà de ses attentes comme des projections des sondages, constitue en effet un point de départ non négligeable pour celui qui ne s’est lancé qu’en novembre dernier et ne dispose d’un parti que depuis janvier : 7,07 % des suffrages exprimés, c’est un socle et cela permet, non accessoirement, d’être remboursé des frais de campagne.
Pour ainsi dire, si le vote RN est quasiment un vote de classe, celui des ouvriers qui votent encore, des plus pauvres et des ruraux, le vote Zemmour l’est aussi, mais à l’inverse. Un vote de la classe moyenne, voire moyenne supérieure, diplômée et séduite par la figure de « l’intellectuel », un vote d’adhésion (81 % de ses électeurs adhèrent à son logiciel, et en particulier à ses propositions sur l’immigration). Un vote qui a capté 14 % des électeurs de Marine Le Pen en 2017 mais 12 % de ceux de François Fillon, ce qui conforte l’idée qu’il existe une droite radicalisée sur les questions identitaires et la nostalgie de la France des Trente Glorieuses, et que ce vote a fait défaut à Valérie Pécresse.
La carte de France des fachos
Examinons la carte du vote Zemmour. Il franchit la barre des 10 % dans de nombreuses communes du Var, du Vaucluse, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône et de Corse, avec des pointes à 22 % à Saint-Tropez ; 15,44 % à Grimaud ; des scores supérieurs à 13 % dans la partie des Alpes-Maritimes autour de Villefranche, Beaulieu, Èze, Mandelieu. Un vote aisé, dans la plupart de ces villes, traduisant sans doute une volonté de préserver un îlot d’entre-soi dans une Côte d’Azur de carte postale où la « ligne Ciotti » donne le ton chez les Républicains.
Ce vote bourgeois se manifeste aussi en région parisienne : à Neuilly (+ de 15 %), Marnes-la-Coquette (13 %) et Saint-Cloud (10,63 %, légèrement devant Pécresse). Dans la capitale, ce sont les 7e (11,24 %) ; 8e (12,11%) et 16e (13,66 %) arrondissements qui le placent en meilleure position au point que l’essayiste peut devenir le casse-tête de la droite dans l’ouest de la ville. Tout comme dans les Yvelines où ses appels du pied répétés à la bourgeoisie catholique en font le premier de la droite à Versailles (14,6 %), au Chesnay (12,53 %), Mareil-Marly (11,07 %), Louveciennes (10,99 %) et Maisons-Laffitte (8,42 %). Clairement l’appui de Sens Commun, de Jean-Frédéric Poisson et de la jeune génération venue à la politique avec la Manif pour tous a pesé.
Mais comme à Paris 16e (et dans certains bureaux du 19e arrondissement où vote une grande communauté juive), l’impact de Zemmour à Saint-Mandé (12,56 %) ; Charenton (9,7 %) ; Saint-Maurice (9,19 %) ; Nogent (7,96 %, devant Pécresse, comme à Saint-Maur avec plus de 8 %), voit sans doute se rejoindre le déterminant social du vote et celui de l’inquiétude face à la montée de l’antisémitisme, même quand l’ascension sociale permet de déménager pour s’en protéger.
Arithmétiquement et sociologiquement, les votes Le Pen et Zemmour s’additionnent et se complètent, dans l’optique de l’union des droites voulues par Marion Maréchal et Reconquête !, qui veulent l’élargir aux Républicains « droitards ». Marine Le Pen a-t-elle intérêt à une telle alliance, qui irait contre les attentes de sa base populaire ? Sûrement pas. Mais après une troisième défaite, peut-être une partie de son mouvement y verra-t-elle la seule porte de sortie vers la victoire future et ce seuil des 50 % qu’elle ne peut atteindre. Tel est sûrement le pari d’Éric Zemmour.
Jean-Yves Camus