Poutine, la guerre, l’Europe, l’Occident, la dissuasion nucléaire, le destin de la France, les Français, la vie, l’amour, la mort… Confidences au long cours. Etienne Gernelle pour Le Point.
Les gens changent-ils ? Il y a presque cinq ans, pour son premier grand entretien de président de la République, accordé au Point, Emmanuel Macron faisait encore très jeune homme : visage lisse et frais, œil malicieux de celui que la vie encourage. En ce mois d’avril 2022, les traits sont plus tirés, des rides se creusent, les mains se font plus noueuses. Mais qui ne vieillit pas ? Un Macron mûri, sans doute, qui réfléchit plus longuement avant de répondre, observe des silences. Au cours de cet entretien, réalisé en trois fois, pour près de trois heures en tout, et achevé au lendemain du premier tour, nous avons essayé de lui faire dire ce qu’il avait en tête, dans les tripes, voire dans le cœur.
Qui est Emmanuel Macron ? Le jeune fonctionnaire de l’Inspection des finances qu’il était il y a quinze ans a paru à l’auteur de ces lignes assez libéral, le banquier d’affaires de Rothschild plutôt social, et le collaborateur de François Hollande à l’Élysée de nouveau libéral. Esprit de contradiction ? Alors qu’il semble plus étatiste désormais, lui assure qu’il n’a pas changé sur ce point depuis qu’il avait qualifié le programme de Hollande de « Cuba sans le soleil ».
Le Point : Quelle France se dessine après le premier tour ? Qu’avez-vous appris (ou pas) sur elle ?
Emmanuel Macron : C’est une France fatiguée par les crises qui se sont accumulées et inquiète des crises et des défis qui viennent qui se dessine. Mais en même temps une France optimiste. Car si un tiers des électeurs se sont tournés vers l’extrême droite et son projet de repli, une majorité a fait le choix de candidats qui portent un projet d’ouverture, d’indépendance et de progrès comme je le fais. Je crois donc que, malgré le contexte difficile et malgré les peurs, l’esprit français, celui de l’humanisme, des Lumières et de 1789, est bien là.
En 2017, le total des scores des candidats dont le programme aurait mené, directement ou indirectement, à une sortie de l’euro atteignait 48 %. Aujourd’hui c’est entre 55 et 60 %. Qu’est-ce que ça vous inspire ?
Que des Français, parce qu’ils sont inquiets voire en colère, aient voté pour des candidats favorables à la sortie de l’euro, c’est vrai. Mais qu’une majorité de Français soit favorable à la sortie de l’euro, je ne le crois pas. Et donc un des enjeux de ce second tour est de mettre en lumière la vérité du projet de la candidate d’extrême droite. Projet de soumission à l’étranger, projet de sortie de l’Europe, projet de division des Français, projet de régression climatique, projet qui menacerait nos retraites, notre épargne, nos emplois. J’y mettrai toute mon énergie. Comme je mettrai toute mon énergie à convaincre que c’est par l’Europe que nous pourrons relever les défis des temps et défendre nos valeurs.
Les dernières années ont beaucoup été marquées par une demande de limites : à propos de l’immigration, des valeurs, des sujets de société… Cela aboutira-t-il, un jour ou l’autre, à une bascule de type Trump, Brexit ou Le Pen ?
Il ne faut jamais rien exclure. D’abord parce qu’il y a dans notre société cette idée que quelque chose doit être possible, que l’on doit pouvoir changer de système. Et puis parce que ce besoin de limites existe. C’est pour cela que je parle de progrès du quotidien et non plus vraiment de progressisme. Parce que le progressisme brandi comme étendard peut parfois apparaître comme une fuite en avant sans borne, comme une dépossession de ce qui est. Or les sociétés occidentales ne veulent pas de cela, être dépossédées. Les gens veulent avancer dans leur vie, qui est trop contrainte, trop empêchée, et le pouvoir d’achat en est le symbole ultime. Mais ils ne veulent pas de progrès pour le progrès. À l’échelle de la nation, c’est pareil. Oui au neuf, à l’optimisme, à la conquête. Mais non au renoncement à notre Histoire et à nos racines. Cette tension entre tradition et modernité est au cœur de l’histoire française. C’est ce que raconte Péguy : entre le sacre de Reims et les Fédérés, entre l’enracinement et la projection, il faut sans cesse trouver le point d’équilibre. C’est ce que j’essaie de faire et ce que je veux continuer à faire. Ce n’est pas facile. D’autant que la bête de l’événement, comme disait La Tour Dupin, est revenue dans l’Histoire…
Justement. « Cela s’est passé en une heure, et nous avons vieilli de cent ans », écrivait Anna Akhmatova en 1914. Assistons-nous à une bascule historique depuis le début de la guerre en Ukraine ? Avons-nous vieilli de cent ans ?
C’est encore trop tôt pour le dire, mais je pense, oui, qu’on est au début d’un changement d’ère. D’abord, la guerre, la violence de la part d’un État, revient sur le sol européen, ce qui n’était pas arrivé depuis la Yougoslavie. Pour nos nations, c’est un ébranlement intime : on peut mourir à nouveau. Ensuite, le fait qu’une puissance dotée de l’arme nucléaire puisse, pour des raisons territoriales, agiter la menace atomique est un changement dans la grammaire de la dissuasion. S’ajoute à cela le fait que les grandes puissances sont défiées pour la première fois par un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. C’est de tout cela qu’il faut prendre la mesure.
Alors que jusqu’à présent, en 2008 en Géorgie et en 2014 en Ukraine, la Russie était intervenue dans un cadre, avec certaines limites, et en réaction à d’autres événements, elle a fait cette fois-ci le choix assumé de la guerre. C’est une vraie rupture.
Comment cette rupture est-elle arrivée ?
Il y a eu de la part de Vladimir Poutine un mouvement progressif depuis 2008. À son interprétation géopolitique de l’extension de l’Otan s’est ajouté ensuite le constat de la faiblesse occidentale en Syrie.
La faiblesse de l’Occident a donc encouragé Vladimir Poutine ?
Oui. Il y a une double explication à cela : d’abord le constat de la dépendance européenne aux États-Unis d’Amérique, et le choix de ceux-ci de ne pas faire respecter la ligne rouge lorsque les armes chimiques ont été utilisées en Syrie en 2013.
Et son « interprétation géopolitique », quelle est-elle ?
Il y a cette obsession, ce récit, qui s’est installé chez Vladimir Poutine d’une trahison des accords de 1990, d’une extension de l’Otan et d’une volonté d’anéantir son pays. S’ajoute à cela le sentiment d’avoir été abandonné par l’Occident face aux crises du Caucase, essentielles pour lui, notamment en raison du terrorisme islamiste. Et puis bien sûr il y a les révolutions ukrainiennes, à propos desquelles il a complètement réinventé l’histoire en expliquant qu’il s’agissait de manipulations occidentales.
Tout cela a déterminé l’évolution du comportement de la Russie. On n’en a pas tiré toutes les conséquences en 2014 après l’annexion de la Crimée et la sécession du Donbass, parce qu’après la situation s’était stabilisée. Vladimir Poutine avait lancé une offensive, réussie, et il en a déduit que les Occidentaux, qui se sont résolus à des sanctions modérément efficaces, étaient faibles. Tout cela n’arrive pas en un jour. Mais c’est là, aujourd’hui.
Il y a donc quelque chose que nous n’avons pas vu ? Ou raté ?
On n’a sans doute pas pensé jusqu’au bout l’architecture de sécurité européenne à la fin de la guerre froide, en laissant l’Otan la structurer, alors qu’il n’y avait plus de pacte de Varsovie. On a laissé un doute, on a permis au sentiment d’humiliation qui était là de prospérer. Le ressentiment s’est ensuite métabolisé en paranoïa. Et l’isolement de Poutine n’a fait que renforcer les choses depuis les sanctions de 2014. Il ne faut pas sous-estimer non plus le rôle du Covid, qui a réduit pour beaucoup de dirigeants qui étaient déjà à la limite de la solitude le coût d’opportunité de se couper vraiment du reste du monde. Il s’est retrouvé à Sotchi pendant des mois, il s’est enfermé, il s’est moins frotté à d’autres raisonnements… Cela n’excuse rien, bien sûr, j’essaie de retracer son cheminement. Pourquoi je continue à lui parler ? S’il ne parle plus à personne, alors on ne sait pas jusqu’où il peut aller. C’est mon obsession avec lui, je lui dis à chaque fois. Quand on entre dans le cycle de la violence, le plus dur, c’est d’arrêter. Le danger, c’est la bascule dans l’irréversible.
Qu’est-ce que l’« irréversible » ? La destruction de Marioupol et le massacre de Boutcha par exemple ?
La crainte collective est depuis le début de la guerre celle de l’arme nucléaire ou chimique, mais oui, il y a déjà là de l’irréversible. Ce sont des scènes atroces, des civils tués, des femmes violées, des corps mutilés. Et donc je pense, contrairement à ce que certaines ou certains disent, que cela rend un retour rapide à la normale de moins en moins possible.
Comment la situation peut-elle évoluer maintenant ?
Soyons clairs, je pense que Vladimir Poutine a décidé il y a quelques semaines qu’il n’arrêterait pas. Il n’a pas fait de concession dans le nord de l’Ukraine, il s’est enlisé. Il a été surpris par la résistance ukrainienne, et comme, compte tenu de la saison et du terrain, il est très compliqué de manœuvrer, il a donc opéré un repli tactique pour se concentrer sur l’est du pays. Peut-être pour obtenir une victoire dans cette zone et viser un défilé militaire glorieux le 9 mai, date très importante pour lui et pour la Russie Je crois assez peu à notre capacité collective à le mettre autour d’une table de négociation à court terme. Il a besoin pour lui-même d’une victoire militaire. Il a sans doute pris conscience que l’Ukraine n’allait pas se soumettre. Le récit auquel il avait peut-être fini par croire – c’est-à-dire qu’un clan de gangsters et de néonazis tenaient une Ukraine dont le peuple était, lui, entièrement tourné vers la Russie – s’est effondré. Je pense qu’il a fini par le comprendre. Marioupol est peut-être un point de fixation pour lui, parce que c’est un symbole de l’Ukraine qui se refuse à lui. Quant à nous, Occidentaux, la question qui nous est posée est de savoir comment l’empêcher, le bloquer, sans que cela devienne un conflit mondial.
Que pensez-vous au fond de cette question du sentiment d’humiliation de la Russie ?
L’histoire nous enseigne qu’on ne construit jamais une paix durable en humiliant, mais cette question de l’humiliation se pose en premier à Vladimir Poutine. Mon argument, c’est de lui dire : « Tu n’auras jamais la paix et la stabilité en humiliant le peuple ukrainien. » Il s’agit pour lui de comprendre comment trouver un terme à sa guerre, et quels équilibres sont encore possibles compte tenu des crimes qui sont en train d’être commis et qui, chaque jour, rendent plus difficile voire impossible le retour en arrière.
Ça, c’est pour l’Ukraine. Et pour nous, Européens ?
Il faudra bien réfléchir à la façon dont nous reconstruirons demain nos relations avec la Russie, qui a vocation à être arrimée à l’Europe. Mais nous n’en sommes pas là. C’est trop loin dans l’horizon. Dans l’immédiat, il y a une mécanique que nous subissons – parce que c’est Poutine qui en est le premier responsable – qui pousse la Russie vers l’est, vers la Chine. Et c’est très mauvais pour nous comme pour eux d’ailleurs, car elle en deviendrait très rapidement le vassal. Alors, tout n’est pas nouveau, notre relation à la Russie depuis la chute de l’URSS était déjà compliquée avant cette guerre. En tant qu’Européens, nous avons des anticorps. Il y a des anciens pays satellites de l’URSS qui ont un ressentiment à l’égard de la Russie. Ils en ont d’ailleurs un autre vis-à-vis de l’Europe de l’Ouest, car ils considèrent que nous les avons abandonnés de l’autre côté du rideau de fer. C’est ce que disait Kundera admirablement quand il parlait de « l’Occident kidnappé ». D’où le fait qu’ils s’en remettent souvent aux Américains, qui sont le garant en dernier ressort là où nous autres, Européens, ne les aidions pas jusque-là. Et, côté russe, il y a le traumatisme de l’amputé. Ils ont mal aux membres qui ne sont plus là.
La fin de l’URSS n’aurait donc pas été complètement digérée ?
La chute du mur de Berlin a été un magnifique envol de liberté, mais nous n’avons peut-être pas assez vu ce que représentaient des décennies de totalitarisme sur ces sociétés du bloc soviétique. Elles n’avaient plus les mêmes fondamentaux. Même celles qui sont aujourd’hui dans l’Union européenne sont traversées par des nationalismes très forts, en République tchèque, en Slovénie, en Hongrie, en Pologne… Des mouvements très traditionalistes et antieuropéens. De son côté, la Russie a vécu la fin de l’URSS comme une humiliation, même si elle a ensuite essayé de s’en relever. Aujourd’hui, il faut regarder sa situation : c’est le plus grand pays du monde géographiquement, en déclin démographique, qui comprend au sud des minorités musulmanes parfois très dures, et qui vit à côté de la Chine. C’est un pays qui craint son déclassement. Quand on en est là, et qu’on en a la conscience, tout est possible.
Comment Poutine vous perçoit-il selon vous ?
Ce n’est pas à moi d’en juger. Je pense d’abord qu’il respecte la France et qu’il fait une distinction avec le reste de l’Occident. Il sait ensuite que j’ai pris le temps de lui parler, avec évidemment un discours exigeant et toujours franc. Enfin, il sait que je ne suis pas faible, puisque quand je lui ai dit que nous avions une ligne rouge sur les armes chimiques en Syrie, et que les troupes de Bachar l’ont franchie, j’en ai tiré des conséquences et j’ai ordonné des bombardements. C’était en avril 2018, l’opération Hamilton. Une fois que l’on a dit ça, je pense qu’il a vraiment la conviction, qui est dans l’esprit russe depuis des décennies, que son sujet principal est avec les Américains.
L’équilibre du monde s’en trouve-t-il modifié ?
On voit bien que la Chine hésite à mettre la pression sur la Russie, que dans les pays du Golfe s’installe une attitude de neutralité par scepticisme à l’égard des Américains, que plusieurs pays africains rejouent une forme de non-alignement. C’est une recomposition totale du monde : non pas sous la forme d’un duopole avec une part de non-alignés, mais sous la forme d’un monde multipolaire où des puissances – certaines d’entre elles étant dotées de l’arme nucléaire – comme la Russie, l’Iran et la Corée du Nord, par exemple, peuvent se muer en forces de déstabilisation. Et l’on ne peut exclure que la Chine utilise un jour ces puissances de déstabilisation pour rééquilibrer le rapport de force avec l’Occident. Le risque, c’est donc une réinvention par le bas du système de 1945 et à la fin de laisser saper les valeurs que nous avions réussi à installer.
Est-ce à dire que l’Occident, entre la reprise en main de Hongkong par la Chine, la débâcle en Afghanistan et l’Ukraine, ne sait plus se faire respecter ?
La question, c’est de savoir si l’Occident est encore prêt à se battre, jusqu’où et pourquoi. Je ne défendrai pas la guerre d’Afghanistan. L’Occident s’est parfois engagé dans des conflits qui, allant au bout de la logique du droit d’ingérence, consistaient à imposer nos valeurs malgré les peuples, et à changer les dirigeants qui n’allaient pas dans ce sens : c’est le cas de l’Irak et de l’Afghanistan. En Ukraine, c’est différent, puisqu’il s’agit de venir en aide à un peuple qui a fait par lui-même le choix de défendre ses valeurs et son intégrité. Mais oui, on peut dire que les sociétés occidentales ont de plus en plus de mal à accepter la guerre. Cela me fait penser à ce magnifique texte de Soljenitsyne, son discours à Harvard sur le déclin du courage… C’est ça, la question qui nous est posée.
Je ne serais pas aussi définitif, mais ce qui est vrai, c’est qu’il peut y avoir un facteur émollient dans une société où l’on ne sait plus vraiment ce que c’est que de mourir pour ses idées, et de se battre pour être libre. Cette guerre nous réveille, car elle nous montre la précarité et la vulnérabilité de notre condition, de notre liberté, de nos valeurs. Cela dit, les Français, pour l’essentiel, restent très attachés à leurs valeurs. Quand je vois que nos armées continuent à recruter sans problème, je me dis qu’il y a ce sel.
Vraiment ?
Vous savez, à propos de l’Ukraine, tout le monde se pose cette question : « Est-ce qu’on peut laisser ces gens se faire anéantir ? » On n’ose pas la formuler, mais elle est là. J’étais il y a quelques semaines dans le Maine-et-Loire, c’était bouleversant. Il y avait des familles ukrainiennes que l’on accueillait. Parmi elles, un enfant de 6 ans. Je lui demande : « Comment ça va ? » Il se frotte la tête, il me dit : « Ça va pas. Mon père est là-bas, il se bat. ». À ce moment, je vois cette question dans le regard du maire : « Est-ce qu’on doit aller se battre avec eux ? » C’est ça que se demandent sans toujours le formuler aussi nettement les Français. Évidemment ! Et ils savent combien la question est lourde. C’est pour ça d’ailleurs qu’ils n’aiment pas les va-t-en-guerre.
Mais nous, Occidentaux, partisans de la démocratie libérale, sommes-nous prêts à mourir pour notre modèle ? Peut-on mourir pour Alexis de Tocqueville et Raymond Aron ?
(Il coupe). Nous ne sommes pas que cela ! Pas qu’une société d’individus. La France, c’est une nation de citoyens. Je pense que la nation française a encore ce rapport au sacré, aux soldats de l’an II, à quelque chose qui vient d’avant, à cette cohorte à laquelle je suis si sensible, dont j’ai parlé quand nous avons accompagné Germain puis Cordier dans l’au-delà, et qui fait référence à des combats qui datent des siècles et des siècles. C’est quelque chose qui est profondément en nous. Et oui, nous sommes prêts encore à mourir pour la patrie. Regardez nos armées, elles continuent à engager. Cela m’a frappé quand je suis allé en Polynésie, et que j’ai rencontré ceux qui font le service militaire adapté. Vous savez, la Polynésie fournit autant de militaires chaque année que la région Île-de-France. Ils vivent par-delà les mers et ils sont prêts à mourir pour la patrie. Ils m’appellent « mon président », comme on dit « mon colonel ». C’est d’ailleurs là l’une des différences avec beaucoup d’autres nations européennes.
Mais globalement, et au-delà des patriotismes, la faiblesse de l’Occident ne vient-elle pas, comme le disait Carlo Strenger, de notre difficulté à défendre l’héritage des Lumières ?
Si, parce que ce qu’il y a derrière, c’est une crise de l’universalisme. Ce concept ne commence d’ailleurs pas à la Révolution – je suis très péguiste à cet égard –, il commence à la Renaissance. Cet universalisme est une valeur européenne. Il est le génie de la France et de l’Europe, il est ce qui nous a faits et ce que nous avons donné au monde.
Mais aujourd’hui, c’est une philosophe contestée…
L’universalisme a mené à des erreurs et des fautes, bien sûr. Cela renvoie au débat Ferry-Clemenceau sur la colonisation à la fin du XIXe siècle, et, plus récemment, à la question que j’ai évoquée à propos des néoconservateurs et des excès de la logique d’ingérence. Mais il ne faut pas confondre la reconnaissance de nos erreurs – qui ne remet pas en cause l’universalisme lui-même – avec une politique de honte. C’est tout le problème. L’Occident aujourd’hui est percuté par les deux extrêmes qui sont chacun des facteurs d’anéantissement de ses valeurs. D’un côté, il y a ceux qui proposent le grand rabougrissement qui disent : « Nous sommes confrontés à une perte de la culture et de la civilisation. » Pour eux, l’universalisme est une dissolution. Ils ont la fierté de ceux qui ne veulent pas voir leurs erreurs, et donc prônent la crispation sur une identité fantasmée et un nationalisme étriqué. De l’autre côté, il y a ceux qui n’arrivent pas à dépasser leurs erreurs, même reconnues, et se consument dans une forme de honte de soi. Ceux-là abandonnent l’universalisme et finissent par renvoyer aux mêmes particularismes que ceux qu’ils prétendent combattre. C’est cela que je rejette avec force dans le wokisme et chez les partisans de la « déconstruction » : ils réassignent les gens à leurs origines, ils nient au fond la liberté de s’extraire de sa condition, essentialisent. Et ce faisant ils nient l’universalisme.
Mais quelles sont les origines de cette crise d’identité occidentale ?
Là, je serais assez marxiste : nos valeurs occidentales ont prospéré sur une philosophie – les Lumières – mais aussi sur les progrès des classes moyennes et l’économie sociale de marché.
Or notre capitalisme et la mondialisation ont sorti beaucoup de pays et de populations de la pauvreté, mais ont produit chez nous de nouvelles inégalités, ce qui a affaibli notre rapport à l’universalisme et à la démocratie. Ce dérèglement du capitalisme érode les bases de ce que nous sommes. Affaiblissement à l’intérieur, donc, mais aussi à l’extérieur : des puissances autoritaires ont pris ce que l’économie de marché pouvait leur apporter mais sans accepter la totalité des valeurs qui l’accompagnaient. Et elles ont fait une démonstration d’efficacité. La Chine en est le parfait exemple. Elle est devenue ainsi un modèle très attractif pour de nombreux pays, au Moyen-Orient, en Afrique ou ailleurs. La crise de la démocratie, c’est aussi une crise de l’efficacité de la décision, c’est une crise du courage. La vraie question ce n’est donc pas de savoir si un président devrait être un peu plus horizontal… C’est de savoir si on accepte que des décisions soient prises avec, bien sûr, le principe de responsabilité qui va avec.
Que va changer la guerre en Ukraine pour l’Europe ?
Pour notre Europe, le bouleversement majeur, c’est le retour du « transfert d’empire », selon le concept d’un des auteurs du Point, Peter Sloterdijk, qui est d’ailleurs devenu l’un de mes amis. L’Europe, qui est un vieux concept médiéval, a construit la paix parce que l’on a mis fin au « transfert d’empire », qui consiste pour des puissances du continent à « rejouer » à l’infini l’Empire romain. L’un des trésors de l’Europe que nous construisons réside précisément dans son caractère non hégémonique. Poutine, lui, a fait revenir le rêve d’empire. Il bouscule donc l’intégrité territoriale, qui était un dogme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, parachevé en 1990 avec la Charte de Paris, et qui n’avait connu qu’une exception, en Yougoslavie. Ce qui se passe en Ukraine est d’ailleurs un énorme facteur de déstabilisation pour les Balkans occidentaux.
Vous parlez beaucoup des Balkans…
Oui. Parce que cette question redevient cruciale pour nous : l’Union européenne enserre les Balkans mais ils sont soumis aux influences turque, russe, chinoise. Par ailleurs, l’histoire des Balkans me touche. C’est le malheur des peuples. Ils ont produit plus d’histoire qu’ils ne pouvaient en consommer, disait Churchill. Les Balkans m’ont donné aussi parmi les plus beaux moments que j’ai passés ces dernières années.
Racontez-nous…
Je me souviens notamment d’un voyage en Serbie, en juillet 2019. J’étais parti avec Enki Bilal. Je m’étais dit « je vais faire un discours en serbe ». Enki m’avait fait répéter, en phonétique. C’était sur la plus grande place de Belgrade et j’ai fait une demi-heure de discours en serbe, devant 100 000 personnes. C’était très émouvant. Ils adorent la France. Après, on a dîné dans une ancienne datcha de Tito, il y avait l’un des acteurs fétiches de Kusturica, copain d’Aleksandar Vucic [le président serbe, NDLR], que j’aime beaucoup. Un orchestre, tout droit sorti des films de Kusturica, justement, jouait des airs français d’accordéon. Ils ont sorti des vins qui, paraît-il, venaient de la cave de Tito. On est partis à 4 heures du matin… L’Europe, c’est aussi cela. Pensez aux cafés chers à George Steiner et qui, selon lui, représentaient un des jalons essentiels de la « notion d’Europe »…
Justement, la guerre en Ukraine sera-t-elle, comme on le dit souvent, le catalyseur, d’une conscience européenne ? L’écrivain Olivier Guez, dans son livre Le Grand Tour, se demande à propos de notre identité et de nos valeurs si nous ne sommes pas « trop paresseux pour les définir et les assumer »…
Je suis en train de le lire, c’est formidable. Il y a plusieurs aspects dans votre question. Politiquement, je crois quand même que l’Europe a fait de formidables progrès ces deux ou trois dernières années. Nous avons décidé d’investir ensemble, nous nous sommes endettés ensemble pendant la pandémie, nous avons fait des progrès ensemble en matière de défense alors que c’était un serpent de mer. Et là, avec la guerre, l’Europe a réagi de manière unie. Est-ce qu’elle saisira ce moment pour aller plus loin ? Les jours et les semaines qui viennent nous le diront. Ce sont des décisions intimes de peuples. Et puisque vous parlez de l’Europe et de son identité, il faut faire attention : elle ne se résume pas et ne doit pas surtout pas se résumer à Bruxelles.
Pourquoi dites-vous cela ?
Cela fait partie de mes obsessions : je suis le premier président français à être allé dans les 27 pays membres. L’Europe est dans chacune de nos capitales. Vous savez, les gens le comprennent ou non, mais j’ai passé du temps avec Viktor Orban. Pour lui, Bruxelles est le nouveau Moscou… Il renvoie tout à une capitale unique, bureaucratique, technocratique, décérébrée. Il faut donc accepter que ce soit beaucoup plus réticulaire. Cette diversité est constitutive de notre identité. « La langue de l’Europe, c’est la traduction », comme disait Umberto Eco dans une formule que j’adore. Sa richesse, c’est aussi les intraduisibles, les malentendus. Vingt ans de désaccords franco-allemands peuvent s’expliquer par le fait que le mot « dette » en allemand, c’est aussi la faute. Nos histoires ne sont pas les mêmes, nous nous sommes fait la guerre pendant mille ans… Normalement, on n’avait pas dix années de paix entre nous. On a réussi à trouver un système pour y mettre fin. L’Europe est en train de s’inventer, et est plutôt dans un moment de dynamique.
Mais quels seraient les objectifs à atteindre désormais pour l’Europe ?
Il faut penser d’abord la limite. Notre périmètre. L’Europe doit réconcilier ses géographies. L’Union européenne est trop large pour fonctionner comme un système vraiment intégré, et trop étroite par rapport a la réalité géographique. Il ne faut donc pas de mouvement uniforme, mais plusieurs cercles. Il y a en premier lieu l’Europe lotharingienne – l’Europe des Six élargie, si vous voulez – dans laquelle nous sommes, celle qui a commencé à avancer mais qui doit s’intégrer toujours plus. Il y a ensuite les pays de l’Europe de l’Est et des Balkans, qui veulent vivre cette aventure européenne mais dont le rapport au fait national est différent. Il faut tenir compte, notamment, du traumatisme des anciens satellites soviétiques. Mais l’Europe doit aussi imaginer un espace plus large, de paix, de coopération économique et de libre circulation. Enfin, il est important qu’elle repense ses relations avec la Turquie et la Russie, sinon elle ne pourra pas vivre en paix. C’est une manière aussi de les arrimer à nous. La Russie regarde désormais vers le Grand Est, la Chine. La Turquie, elle, est obnubilée, d’un côté, par le monde sunnite, par l’Arabie saoudite, et par la sphère chiite et l’Iran, de l’autre côté. Elle est, par ailleurs, dans une tension entre traditionalisme et ouverture. Il ne faudrait pas, à long terme, qu’elle tourne le dos à l’Ouest, elle aussi.
Dans l’Europe lotharingienne, il y a d’abord l’Allemagne. Or le fait que Berlin vienne d’acheter des avions F-35 américains fait douter certains de son engagement en faveur de la défense européenne…
Non, il ne faut pas comprendre cette histoire à l’envers. L’acquisition de F-35, cela veut dire une chose simple : l’Allemagne a besoin d’une ombrelle nucléaire, et ces avions sont les seuls homologués pour porter les armes américaines. L’Allemagne, sous l’impulsion d’Olaf Scholz, a fait récemment le choix de se réarmer, et dépense déjà beaucoup dans des programmes de défense avec nous. Mais Angela Merkel avait déjà entamé le processus.
La France a-t-elle proposé son parapluie nucléaire à l’Allemagne ?
Sur les sujets de dissuasion, il faut s’exprimer avec précaution. Disons que l’Allemagne n’est pas une puissance nucléaire, mais elle dispose aujourd’hui de l’ombrelle des États-Unis. Il y a une disponibilité de la France, mais le choix de l’Allemagne a été de garder cette ombrelle parce qu’elle est plus dissuasive à ses yeux, et parce qu’elle est un élément de continuité. Cela évite aussi de reposer la question à des familles politiques allemandes pour lesquelles il ne serait pas facile de répondre.
La géopolitique est aussi beaucoup numérique actuellement. Pour vous, c’est un sujet de civilisation ?
C’est d’abord un sujet anthropologique. Le numérique, c’est une formidable accélération de l’accès au savoir, de diffusion du progrès humain, de la technologie et de la science. Sans lui, par exemple, l’exploit de trouver un vaccin contre le Covid en quelques mois n’aurait pas été possible. Il change aussi en profondeur le fonctionnement de nos sociétés. Il accroît notamment la solitude, et mange du temps de cerveau disponible.
À vous aussi ?
Comme tout le monde. Cela dit, je me sépare de mes appareils assez souvent, je ne suis pas tellement drogué à cela. J’ai mes heures ! Le problème de l’addiction aux écrans, c’est qu’elle désapprend le désœuvrement et l’ennui. Or l’esprit humain a besoin de divagation, de temps perdu. Elle détruit aussi la véritable amitié. Et la dialectique, l’art de la discussion : elle enferme, provoque un recroquevillement sur des cercles de followers. Il n’y a rien de plus désespérant que des gens qui pensent tous de la même façon. Cela vaut pour moi aussi ! Et puis il y a la violence par l’anonymat. Dans une société démocratique, il ne devrait pas y avoir d’anonymat. On ne peut pas se promener encagoulé dans la rue. Sur Internet, les gens s’autorisent, car ils sont encagoulés derrière un pseudo, à dire les pires abjections. Autre changement : la déconstruction de la frontière entre le public et le privé. Enfin, il y a des conséquences très graves sur la société de l’information, qui joue un rôle très important dans la démocratie. On entre dans une phase où il va falloir réguler davantage.
Réguler les plateformes, vous y arriverez ?
C’est une vraie aventure politique et démocratique, mais c’est nécessaire. D’abord, parce que, sur les réseaux sociaux, on peut tuer des réputations, propager des fausses nouvelles, pousser des gens au suicide. Les plateformes viennent utiliser nos libertés antiques ou post-révolutionnaires pour les détourner de leur essence. Il faut créer un ordre public, comme dans la rue. Ce n’est pas l’état de nature ! Ensuite, c’est la première fois qu’un bouleversement de cette ampleur est provoqué et contrôlé par des acteurs privés, lesquels ont d’ailleurs, pour certains, des fins assez politiques. Quand on lit ce que pense Mark Zuckerberg par exemple, ou même Elon Musk, qui est devenu actionnaire de Twitter et qui est libertarien, on se rend compte qu’ils ont aussi une vision du monde. Or la société qui se dessine ainsi n’est pas toujours démocratique…
Que faire, alors ?
Les directives DMA, sur la régulation des plateformes, et DSA, sur la régulation des contenus, sont un début de réponse. Par le règlement général sur la protection des données, les Européens ont été les premiers à créer un standard. L’Europe n’a pas été naïve ces cinq ou six dernières années. C’est vrai sur la concurrence : la Commission a infligé de lourdes amendes ; c’est vrai aussi sur la fiscalité minimale, à propos de laquelle on a obtenu des résultats après trois ans et demi d’efforts. Sur ce point, comme sur les droits d’auteur et les droits voisins [droits accordés à ceux qui participent à la création d’une œuvre sans en être l’auteur principal, NDLR], la France a d’ailleurs été aux avant-postes. Mais il faut aller plus loin.
Comment ?
On n’a pas encore fini sur l’impôt minimal. Il faut les rattraper en demandant de payer en fonction de leur chiffre d’affaires mondial. Mais cela ne marchera que s’il y a une coopération entre États. Sinon, les plateformes jouent sur les divisions en payant le maillon faible. C’est d’ailleurs la même chose en matière de droits voisins, avec les éditeurs de presse. Mais si tout le monde voit que c’est une question de conscience démocratique, qu’on est unis, on va y arriver. Notons tout de même que les États-Unis ont une responsabilité historique sur le sujet. Ce sont eux, par exemple, qui les ont autorisés à accumuler leurs avoirs dans les paradis fiscaux. L’une des conséquences de cette situation, c’est que ces gens-là, qui ont été des innovateurs, deviennent des tueurs d’innovation, car ils sont si riches qu’ils rachètent tous les challengeurs qui pourraient menacer leur modèle…
Mais n’est-il pas trop tard ? Les plateformes ne sont-elles pas déjà trop puissantes ?
Non, il n’est pas trop tard. Mais il ne faudra pas exclure un démantèlement si cela se révélait nécessaire. Il y a des précédents. Tout le monde l’a oublié, mais il y a eu le moment Theodore Roosevelt, il y a peu plus d’un siècle. Roosevelt a renforcé la législation antitrust et poursuivi la Standard Oil, ce qui a mené à son éclatement. Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris que les trusts étaient devenus tout simplement trop gros, trop puissants, et qu’ils allaient tuer le modèle de l’État. Roosevelt a fait des choses extraordinaires de ce point de vue. Ce fut un moment très important de l’histoire démocratique américaine. Et il va revenir, là-bas et en Europe. Les sociétés démocratiques ne peuvent accepter que des plateformes soient en situation de monopole. Je suis favorable à ce que les régulateurs européens de la concurrence se réarment face à ce risque, en complicité, en compagnonnage, avec leurs homologues américains.
Justement, parlons géopolitique du numérique. Comment réaliser cette « souveraineté européenne » en la matière et tenir tête aux Américains et aux Chinois ?
Il y a d’abord le sujet des réseaux sociaux. Beaucoup sont aujourd’hui américains. Il ne faut pas hésiter à envisager le démantèlement de ceux qui sont en situation de monopole et réguler. Ensuite, il y a la question de la protection et du stockage des données. À propos du cloud, soyons clairs, nous n’avons pas, en Europe, l’équivalent des entreprises américaines. Il nous manque plusieurs strates. Nous bâtissons progressivement des solutions, mais il n’est pas vrai que l’on aura quelque chose de 100 % français ou européen tout de suite, cela prendra du temps, et représentera un investissement énorme. Assurer notre souveraineté dans les domaines des plateformes, des applications mobiles, des métavers, du cloud de la cybersécurité nous prendra dix ans. En attendant, il faut assumer le fait que, pour partie, l’on va faire avec du cloud américain, que l’on peut en revanche réguler. Notamment sur le respect de la vie privée.
Comment réaliser ce rattrapage ?
C’est une question d’investissement, de l’État, de l’Europe, et des acteurs privés, mais il nous faut aussi un vrai marché unique du numérique. Le marché européen aurait la taille du marché américain, plus même, si nous étions vraiment intégrés. Pourquoi nos entreprises grandissent-elles moins vite ? Parce que nous avons encore 27 barrières… Mais nous avons aussi des atouts. Par exemple, nos ingénieurs sont moins chers que ceux de la Silicon Valley. Nous avons aussi, en Europe, un rapport au sens et une capacité de réguler les dérives du capitalisme, qui sont des facteurs d’attractivité aujourd’hui. Je suis donc optimiste.
Vous avez parlé de métavers tout à l’heure. Culturellement, ils sont façonnés en bonne partie par l’univers du jeu vidéo, par des gamers. Vous connaissez ce monde-là ? Vous jouez, vous-même ?
Je n’ai jamais été très joueur, mais j’ai toujours suivi cela. Cela fait des années que les gamers sont de grands innovateurs. Nous avons d’ailleurs plusieurs licornes françaises dans le secteur. C’est un atout pour la France, avec beaucoup de jeunes qui sortent par exemple de l’école de Valenciennes ou des Gobelins. Ce secteur est d’autant plus intéressant qu’il est hybride, à la confluence de la technologie et de plusieurs formes de créativité. C’est pour cela aussi qu’il faut reconnaître et protéger la création : c’est un levier de souveraineté numérique.
Mais l’économie numérique fonctionne aussi sur le risque et son corollaire, la possibilité de gagner beaucoup d’argent. Notre problème culturel avec l’argent n’est-il pas un handicap ?
Je pense que c’est un point sur lequel j’ai fait évoluer les choses, notamment sur la fiscalité, ce qui a permis aussi à ceux qui ont gagné de l’argent de réinvestir dans l’économie ensuite. Cela a été critiqué, mais je l’ai assumé. J’ai aussi été élu sur cette promesse de libération. Après, je pense qu’on a un sujet collectif – mais c’est celui des patrons d’abord – qui est celui du partage de la valeur. On a le droit de s’enrichir, mais les salariés doivent aussi avoir un retour.
Dans le dernier roman de Houellebecq, Anéantir, il y a un personnage nommé « le président » qui vous ressemble un peu et qui, une fois réélu, a « délaissé les fantasmes de la start-up nation » pour retrouver « les charmes de l’économie dirigée à la française »… Houellebecq a-t-il vu juste ? Vous êtes plus étatiste qu’avant ?
Il faut tenir les deux bouts : d’un côté, les forces vives, la France de l’édit de Nantes, celle qui reconnaît la vitalité des protestants, du commerce et, de l’autre, un État fort. La « start-up nation », je continue totalement de l’épouser, c’est une chance pour la France, mais j’ai toujours assumé en même temps une forme d’étatisme. Je pense que les deux se marient très bien. Nous sommes un pays qui se tient par l’État. Un pays conquis par les Romains, structuré par le catholicisme, ensuite porté par des rêves d’empire puis par un double étatisme, gaulliste et communiste… Le rapport à l’État est dans la psyché française. Profondément. Et puis un État fort qui sait décider, protéger, agir dans le temps long, c’est essentiel. Surtout dans les crises aiguës. On l’a vu avec le Covid, malgré des ratés au début. L’État planificateur sait aussi faire des choses simplement. Certes, on a un sujet de dépense publique, de taille de l’État, mais c’est aussi une époque où il faut investir. Sans doute, l’État gagnerait à savoir dire : « Ça, je ne peux pas le faire. »
Non, je considère toujours que les incitations dans une société sont déterminantes. Je n’ai d’ailleurs pas arrêté d’en donner : j’ai baissé de 50 milliards d’euros les impôts pendant ce quinquennat.
En revanche, vous n’avez pas baissé les dépenses publiques…
J’ai baissé les dépenses publiques avant la crise, de manière inédite dans notre pays. Ce qui s’est passé après, pendant la pandémie, je l’assume, c’était la meilleure dépense publique possible, en réalité, une politique d’investissement. J’aurais pu faire ce qui a été fait il y a dix ans, droite et gauche confondues : pas de réaction immédiate pendant la crise, puis relance par la demande alors que l’on ne produisait plus. Résultat, on a affaibli notre tissu industriel et on s’est surendettés par rapport aux Allemands. Quand je regarde ce qui se passe aujourd’hui, nous n’avons pas décroché par rapport aux Allemands : sur les cinq dernières années, nous avons même réduit l’écart avec eux en déficit courant, en compétitivité, en taux d’emploi et de chômage. Sur la dette, nous avons décalé ensemble pendant le Covid, cars ils ont investi aussi sur le chômage partiel. Cette dette est une très bonne dette : on a financé les entreprises pour qu’elles gardent les salariés, qu’elles fassent tourner les usines, et on a donc évité un financement curatif du chômage si on avait laissé faire. Au bout du compte, la dette a moins progressé que lors des récessions comparables précédentes.
Sur l’énergie et les carburants, vous avez quand même eu le chéquier facile…
Non. Sur les prix de l’énergie, on a mis en place un bouclier temporaire : il fallait le faire dans ce contexte, je pense. Pour le pouvoir d’achat des ménages. Pour la compétitivité de nos entreprises. Et parce que cela est bien plus rapide et pertinent que de baisser de manière permanente la TVA sur les carburants, ce qui est tout à la fois moins efficace et complètement contraire à nos intérêts économiques et climatiques.
Cela dit, il faut assumer de dire que l’on ne peut pas tout faire ! Marine Le Pen, en particulier, raconte n’importe quoi. Elle propose de raser gratis en abaissant les prix de produits de première nécessité. Si on fait ça, on est fous ! Je suis surpris que si peu de gens dénoncent cette imposture. Parce que tout ça, c’est du transfert de richesse entre le contribuable d’aujourd’hui et le contribuable de demain. Marine Le Pen, son discours peut se résumer ainsi : « Ce monde vous inquiète ? J’ai une solution immédiate. On va fermer les frontières, virer les immigrés, interdire les musulmans et vous donner de l’argent. On vous expliquera plus tard comment on finance le tout. Dormez. »
Les Allemands ne râlent-ils pas sur la dette et les déficits français ?
Pas tellement, parce qu’ils ont aussi beaucoup dépensé pendant la période. Et les Allemands sont plutôt dans une phase où ils augmentent beaucoup leurs salaires. Et puis, nous allons, si les Français me font confiance, réformer les retraites. Mais avant même cela, je crois pouvoir dire que les réformes que j’ai faites depuis 2017 – travail, fiscalité, attractivité économique, assurance-chômage – et le fait de n’être pas revenu dessus durant les crises est un élément de notre crédibilité. C’est aussi pour cela que nous avons pu convaincre les Allemands d’accepter la mutualisation de dettes à venir pendant la pandémie.
On a retrouvé du Macron de 2017. Vous disiez que « le grand sacrifié » était « le jeune, le peu qualifié, l’immigré ou le descendant d’immigrés ». Est-ce que ce discours de l’émancipation, antirentes, anticastes, ne s’est pas mis en sourdine ?
Je ne crois pas. Le projet que je porte reste un projet pour les outsiders. Ce qu’on a fait sur l’école, sur les petites classes, CP, CE1, le dédoublement, c’est pour les outsiders du système scolaire. Ce que je veux faire pour les années à venir est un projet de correction des inégalités à la racine. Par exemple, en permettant aux enseignants et aux directeurs d’école de bâtir un projet pédagogique adapté pour mieux répondre aux problèmes des quartiers ruraux comme des quartiers en difficulté des villes. C’est aussi le sens de mon projet sur l’orientation : permettre aux jeunes, dès la 5e, de connaître les métiers. Ça, c’est essentiel, parce que les familles qui ne connaissent pas les choix disent parfois à leurs enfants : « Bah, tu feras le même métier que moi »… C’est aussi le but de la refonte complète du lycée professionnel pour que le stage soit rémunéré et pour ouvrir des filières qui donnent des débouchés. Et puis, par ailleurs, pourquoi j’ai assumé en sortie de Covid de faire quand même la réforme de l’assurance-chômage ? C’est pour ça ! Je me suis pris toute l’extrême gauche et une bonne partie de la gauche et des syndicats sur la figure. Bilan des courses, on a continué à créer des emplois. Pardon, mais face à ces mots, je mets un bilan : on a baissé de plus de deux points le taux de chômage national. On est passé de 9,6 % à 7,4 %. Le chômage a encore plus baissé dans les territoires les plus déshérités. En Guadeloupe et en Martinique, il a baissé de 5 points. Le taux de chômage des jeunes n’a jamais été aussi faible depuis 1981. L’apprentissage, la réforme du RSA, c’est aussi cela. Une société du plein-emploi, ce n’est pas que des chiffres : c’est une société où ça brasse.
Enfin, cela ne brasse pas tant que ça. La France reste quand même le pays du « reste à ta place », pour reprendre le titre du livre de Sébastien Le Fol, directeur de la rédaction du « Point »…
Je sais, c’est précisément contre cela que je me bats et que je vais continuer à me battre : les vies empêchées. Le sujet est que, dans une famille d’ouvriers, on ne mette pas six générations à parvenir dans la moyenne des revenus comme c’est le cas actuellement. Les obstacles sont multiples. Par exemple, il y a la complexité. L’une des réformes les plus justes, les plus importantes c’est la solidarité à la source, comme le prélèvement à la source. Parmi les économies les plus abjectes, il y a les économies sur le non-recours, les prestations non perçues. Cela ne doit plus être le parcours du combattant pour avoir accès à ce que la société donne. Il faut simplifier à tous les étages. C’est là où Gaspard Koenig a raison. Je veux d’ailleurs le faire travailler. Il a de très bonnes, intuitions, Koenig, notamment ce qu’il a dit sur le « Cerfaland ». La simplification libère, elle enlève de la frustration. Le paradoxe français, c’est que notre passion pour l’égalité ne nous a pas empêchés de bâtir une société de statuts et de castes. La réforme de la haute fonction publique est une vraie révolution à cet égard. Elle explique peut-être la détestation à mon égard d’une partie des chefs à plume qui pensaient que l’État était à eux, quelles que soient les alternances…
Jean-François Revel dénonçait « l’absolutisme inefficace » français, avec un président aussi « omnipotent » qu’« impotent » et surtout « irresponsable »… Quelle est votre expérience de cela ?
Comme souvent chez lui, il y a une part de très grande justesse mais aussi de l’excès. D’abord, le président de la République est responsable devant le peuple ! Les gens le choisissent directement. C’est quand même autre chose que d’être élu à la tête d’un parti. Je pense que c’est dans la psyché du pays et que de Gaulle avait raison. Je constate que les systèmes parlementaires ont moins bien marché chez nous. Il faut un exécutif fort, et un Parlement fort. En revanche, il faut sans doute un calendrier différent. Le fait de ne pas avoir de respiration démocratique pendant cinq ans n’est plus adapté à notre époque. Il faudrait peut-être avoir quelque chose qui ressemblerait à des élections de mi-mandat, comme aux États-Unis. Ce sont là mes réflexions libres, j’ai dit que je voulais mettre en place une commission transpartisane sur ce sujet. Je pense aussi que le quinquennat est sans doute trop court pour un temps présidentiel en France. Un septennat avec des midterms séparerait par exemple mieux l’exécutif gouvernemental de la part d’exécutif présidentiel. Cela dit, je ne crois pas du tout que la Ve République soit un mauvais régime, au contraire. La crise actuelle est surtout une crise d’efficacité. Dans le monde d’aujourd’hui, il faut pouvoir décider vite, fort et clair.
Le mot « protéger » est de plus en plus présent dans le discours politique, y compris le vôtre. Et le risque ? Nicholas Nassim Taleb dit lui que faute de « jouer sa peau », le système n’apprend pas. A-t-on un problème de valorisation du risque ?
J’ai beaucoup porté cet élément-là et j’ai parfois été mal compris. On a cru que j’étais, comment dire, impavide devant les souffrances de l’autre. Moi, je crois qu’il y a, dans les quartiers en particulier, cette énergie, cette volonté de prendre des risques et d’entreprendre. Il y a cinq ans, j’avais un triptyque : libérer, protéger, unir. J’ai toujours utilisé aussi le mot « protéger » parce que c’est le rôle de l’État quand les grands risques reviennent. On ne peut pas dire aux gens, quand une pandémie survient, qu’il faut « jouer sa peau »… Le vrai défi, c’est que la protection ne soit jamais étouffante. Et le risque, quand les crises se multiplient, c’est qu’il y ait une rétractation sur soi et sur le temps court. Or je crois que ce qu’on est en train de vivre est une opportunité unique pour nous projeter et apporter des réponses profondes. Je reviens sur les 15 centimes de remise sur les carburants… Cela revient à protéger sur le court terme pour faire respirer, mais il faut tout de suite nous projeter. Il y a cinq ans, je réunissais les constructeurs automobiles. Ils me disaient « n’allez pas trop vite sur l’électrique ». Véridique… Parce que nous ne produisons pas les batteries électriques, on dépend des Coréens, des Chinois. Cinq ans après, nous avons trois giga-usines de batteries électriques en France. Donc c’est possible. Il faut aussi promouvoir l’acquisition de véhicules électriques, qui est une solution de long terme aux problèmes de la dépendance aux hydrocarbures et du coût de l’essence. Là où les extrêmes sont un peu désespérants, c’est qu’ils confondent l’avenir avec l’immédiateté. Vous avez des colères, vous avez des peurs, mais pas d’après.
Et Dieu dans tout ça ? Vous y pensez ?
Bien sûr, souvent. D’abord, je le fréquente régulièrement dans mes fonctions, en tout cas je fréquente les religions ! Les temps sont marqués par un retour du religieux et donc une tension croissante entre le religieux et la vie civique séculaire. Je l’ai vécu en particulier après le discours des Mureaux sur le séparatisme. Il y a eu une très forte tension, on a brûlé mes portraits au Pakistan, au Bangladesh… Également à l’automne 2020, quand j’ai défendu la mémoire de Samuel Paty et les caricatures. Je ne regrette rien de ce que j’ai dit lors de ces discours. Cela a permis de protéger les religions et leur libre exercice en s’attaquant aux pratiques inacceptables.
Vous parlez des religions, là. La question portait sur Dieu…
Je sais (sourire). Je vais répondre. Le rapport au spirituel et à Dieu, je l’ai tout le temps, parce que c’est précisément un rapport au temps, à quelque chose qui a échappé à la mort. Et qui lie les hommes.
Vous vantez le progrès, mais à écouter vos discours, on se demande si ce ne sont pas les hommages aux morts qui vous inspirent le plus. Et la mort, donc, dans tout ça ?
Ah ça, c’est la tension permanente entre Éros et Thanatos ! On l’a tous en nous. Mais au niveau de la société, cela existe aussi. C’est d’ailleurs le combat de cette élection. On le voit, il y a une fascination morbide pour le repli, pour l’extrême, le fracas, mais il faut garder le cap. La tension est aussi parfois entre les Français et la France.
« En France, la guillotine n’est jamais loin », a dit Peter Sloterdijk…
C’est vrai. La société politique française est d’une extrême violence. J’ai souvent eu cette discussion avec Peter. Il l’avait dit au moment des Gilets jaunes. Je suis très lucide là-dessus. Quinze jours après mon élection, une grande partie des forces politiques et des médias disaient que j’étais illégitime. Ils ont habitué le pays à ce discours-là. Puis ensuite, les mêmes n’ont pas condamné ceux qui guillotinaient des mannequins me représentant dans des manifestations de Gilets jaunes. Mais voilà. Nous sommes le pays des jacqueries, de la révolution. Cela dit, je pense que ce corps-à-corps est le seul qui bâtisse de la légitimité. C’est pour cela que je tiens à l’élection présidentielle au suffrage universel direct. C’est pour cela que j’ai fait les grands débats. De Gaulle avait raison. Il faut protéger la fonction, mais il faut en même temps exposer l’homme.
Vous avez eu peur, pour vous ?
Non, pas physiquement. J’ai vu la violence désinhibée à plusieurs reprises, mais je n’ai pas cette relation à la peur. À la mort, oui, c’est une vieille compagnonne. Mais la peur, non.
La mort, une compagnonne ?
J’y pense, bien sûr, de plus en plus, même, c’est physiologique ! C’est le cheminement de Montaigne… Mais le rapport à la mort, ces dernières années, je l’ai surtout eu comme chef des armées.
Parce que vous envoyez des soldats au combat ?
Oui. On change son rapport à la mort dans cette fonction car on la vit, on la voit, avec le terrorisme notamment. On la fréquente. Mais bien sûr, il y a la responsabilité d’envoyer des soldats dans des opérations spéciales… Cédric de Pierrepont et Alain Bertoncello, morts parce que j’avais donné l’ordre d’une opération…
Cela vous a changé ?
(Il baisse la voix). Oui. Parce qu’il faut regarder une mère en face, après. J’ai donné l’ordre. Et on a libéré des otages. On a sauvé des gens. Mais ils sont morts, eux.
Vous y pensez souvent ?
Tout le temps. Être président, c’est vivre avec ça. Pierrepont et Bertoncello, j’entends encore l’air qui a été joué pour eux par le Bagad de Lann-Bihoué lors de la cérémonie d’hommage. L’armée, c’est ça. Ce sont des hommes qui acceptent d’aller au feu. Les jeunes qui s’engagent le savent très bien. C’est pour ça que je suis un défenseur de la condition militaire, et du principe qu’il y a derrière, ce rapport à la mort. Et c’est aussi ce qui fait que dans cette fonction il y a quelque chose de sacré que je chéris et ne laisserai jamais abîmer : cette responsabilité, sachant que la chaîne de commandement ne remettra pas en question l’ordre que vous donnez, et qu’à la fin, dans l’institution militaire, chez les frères d’armes et dans les familles, ils se diront, « il en est ainsi ».
Qu’est-ce qu’ils vous disent, à vous, quand un soldat meurt ?
Ils disent : « Il en est ainsi. » Après, il y a l’irréductible part de chagrin d’une mère, d’un père, d’une compagne ou des enfants, qui ne peuvent accepter la perte.
Et l’amour dans tout ça ?
Il y en a beaucoup, en France ! Il y a l’amour intime, mais il y en a énormément ailleurs. Je l’ai vu pendant ces dernières années, il n’y a pas que de l’amertume ou de la haine. Ça s’entremêle, tout ça. Ça lutte. On est un pays de pulsions, d’emportements, mais je crois qu’à la fin, l’amour gagne. Sinon on n’en serait pas là… Et puis on est aussi le pays de Rabelais. Il y a un amour de la vie, de la chair, de la littérature, de la beauté. La période manque simplement un tout petit peu d’innocence. Tout est grave tout de suite. Je trouve que c’est ce qu’il y a de plus dur pour la jeunesse, ce manque d’innocence.
Et vous, vous en manquez, d’innocence ?
Je n’en ai plus les moyens ! J’ai perdu ça depuis très longtemps. Mais c’est très important. L’amour, c’est ça. Une chimie inexplicable, singulière, que je ne veux voir comparée à aucune autre, et qu’aucun mot ne suffit à qualifier. Ça suppose une forme d’innocence. Notre société est sans doute trop culpabilisatrice.
Un président doit-il parler d’amour, de ses amours à lui ?
Je ne sais pas. Je pense qu’il doit donner à voir ce qu’il ressent. Il peut dévoiler une part de son intimité si cela aide à vivre, si cela permet, quand on est touché par quelque chose, de pouvoir l’exprimer. Mais la pudeur est aussi une qualité.
Et l’amitié ?
Il faut la garder, comme l’amour, mais les périodes de pouvoir sont peu favorables à cela. Elles bousculent les amitiés, forcément. Et elles sont peu propices à en conquérir de nouvelles. Parce que tout est biaisé. Il y a néanmoins des compagnonnages qui peuvent devenir des amitiés avec la vie. La conquête du pouvoir et l’exercice du pouvoir créent des compagnonnages inédits et parfois très forts entre des gens qui mènent des batailles ensemble. Et ça, c’est formidable. Mais la réalité du quotidien du pouvoir, c’est celle du temps volé : c’est très dur de conserver des relations en dehors de ses compagnons de travail, et de la famille.
La famille, justement, les enfants…
J’y veille beaucoup parce que c’est un équilibre fondamental. Et parce qu’il faut toujours être prêt à faire très vite ses bagages, dans la vie. Donc il faut savoir avec qui on se retrouve le jour où on n’a plus de fonction ou de mission…
La lecture ?
Quotidienne
L’écriture ?
Moins que la lecture. Des notes… C’est pour ça que je n’ai pas fait de livre.
Vous voulez toujours devenir écrivain ?
On verra. Et en fait, je le suis. J’accumule des histoires.
Vous n’aviez pas assez vécu pour écrire ?
Mais j’ai envie de continuer à vivre ! Les deux ne sont d’ailleurs pas incompatibles. Ma vie est une écriture, c’est comme cela que je la vis. Quand je faisais d’autres métiers, j’avais besoin d’écrire, je ne l’ai pas aujourd’hui. Je prends des notes et encore, je n’y arrive pas toujours. Ma mission m’absorbe totalement. Le seul temps qu’il me reste est pour la lecture et pour les miens.