Lutfia Zbad, Israélienne de 55 ans qui souffre de troubles mentaux, avait disparu à la sortie d’un fast food, le 8 octobre 2019. Elle a fini par donner son identité lors d’une maraude de nuit dans le XIIe arrondissement.
Le son n’est pas très bon, mais on distingue les mots « Habibti… habibti… yemma ». C’est une discussion vidéo entre deux femmes, immortalisée par un téléphone portable. Seize secondes d’un bonheur à peine imaginable, qui n’a pas échappé à la presse israélienne. En entendant ces mots tendres, « ma chérie… ma chérie… maman », prononcés en arabe, le visage de la plus âgée, coiffée d’un bonnet, s’éclaire d’un sourire. Cette voix, c’est celle de sa fille, dont le visage s’affiche aussi à l’écran du téléphone, effaçant soudain plus de 3000 kilomètres et des centaines de jours d’angoisse. La femme au bonnet, est Lutfia Zbad, touriste israélienne portée disparue en 2019 à Paris.
C’était son premier voyage hors d’Israël. Alors âgée de 52 ans, Lutfia Zbad, mère de trois enfants, divorcée, originaire de Baqa al-Gharbiya, entre Haifa et Tel Aviv, s’est volatilisée à la sortie d’un fast-food, sur l’avenue des Champs-Élysées (VIIIe), le 8 octobre 2019. Elle souffre de troubles mentaux et n’a ni argent ni téléphone. Sa famille ignore alors qu’elle a quand même sur elle un ancien passeport, au nom de son ex-mari, sous lequel elle sera admise à l’hôpital Cochin deux jours plus tard. Lorsque le recoupement est fait avec les avis de recherche, il est trop tard. La mère de famille est sortie, elle reste introuvable.
Son frère avait arpenté Paris nuit et jour, en vain
« L’hôpital l’avait enregistrée sous le nom de son ex-mari, Kardan, et elle se fait aussi appeler parfois Rauda », expliquait alors au Parisien son frère, Rasem, qui arpentait Paris jour et nuit pour retrouver celle que les autorités n’arrivent pas à localiser. Une enquête avait été ouverte à la BRDP (brigade de police judiciaire de répression de la délinquance contre la personne), qui centralise toutes les disparitions inquiétantes signalées sur la capitale et les trois départements limitrophes (Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne). L’ambassade d’Israël a alerté les médias et l’agence israélienne Magnus, spécialisée dans les opérations de sauvetage partout dans le monde, s’est mise sur les rangs.
C’est finalement une équipe du Samu social de Paris que l’on doit ce dénouement aux allures de happy end, lors d’une maraude de nuit, le 7 mars, dans le XIIe arrondissement.
« C’était une personne connue de nos équipes, mais sous un autre nom »
« C’était une personne connue de nos équipes, mais sous un autre nom, et cela faisait longtemps que les équipes ne la voyaient plus, explique-t-on au Samu social. Ce soir-là, elle a donné son identité, la vraie, après avoir entendu qu’elle était recherchée. L’équipe a vérifié avec les avis de disparition, et compris qu’il s’agissait bien de cette dame. » Le Samu social a notamment signé une convention avec l’Arpd, association d’assistance et de recherche de personnes disparues, qui transmet les avis de disparition, avec photos et noms. Ici, Lutfia Zbad.
Les équipes des maraudes parlent plusieurs langues, et peuvent toujours s’appuyer sur un service de traduction, 24 heures sur 24. Ce soir-là, un travailleur parlait l’arabe, et a même servi d’interprète au commissariat de police d’arrondissement, où les retrouvailles vidéo ont eu lieu. Un gardien de la paix a réussi à mettre la main sur le numéro de la famille en Israël, l’appel a été organisé en visio. « Cette dernière reconnaît formellement sa fille via une conversation vidéo », note le policier. Un médecin est appelé pour s’assurer de l’état de santé de cette miraculée. Elle va suffisamment bien pour ne pas être hospitalisée.
La fin de deux ans et demi de mystère
L’ambassade d’Israël indique que Lutfia Zbad a rejoint les siens en Israël. Sa famille est venue la chercher en France. « Nous étions en contact avec le service de police chargé de l’enquête (la BRDP), nous avons organisé des tournées pour la retrouver et médiatisé sa disparition », précise-t-on à l’ambassade.
Comment cette femme vulnérable a-t-elle survécu près de deux ans et demi et traversé cinq vagues de Covid, sans que personne ne fasse le rapprochement ? Au Samu social, on précise que l’aide apportée aux démunis est inconditionnelle. On ne demande pas leurs papiers aux sans-abri pour leur venir en aide : « Nous fonctionnons sur le déclaratif et la confiance, certains donnent leur nom, le leur ou pas, d’ailleurs, pour tout un tas de raison. »
Lutfia Zbad, aujourd’hui âgée de 55 ans, aurait mis plus de deux ans à donner le sien, pour une raison que personne n’explique encore.