Pour le chanteur israélien, Asaf Avidan, le dimanche est synonyme de reprise après le repos du shabbat. Encore plus quand l’artiste est en tournée comme ces jours-ci.
Il prévient d’emblée, la question du dimanche le concerne assez peu. Comme beaucoup de musiciens, Asaf Avidan vit dans un espace-temps où les jours se confondent et se mélangent dans un flou artistique total. « Si vous me dites que nous sommes jeudi, je vous crois sur parole car je n’en ai pas la moindre idée », s’amuse le guitariste et chanteur israélien dans le studio de répétition de la région parisienne où il s’est enfermé avec ses musiciens pour les ultimes répétitions de son Anagnorisis Tour. Un périple sur les routes qui abolit un peu plus encore ses repères. « On passe d’une ville à une autre, on joue souvent le week-end ; à part le shoot d’adrénaline le soir du concert, les jours se suivent et se ressemblent », souligne Asaf Avidan, ravi de retrouver enfin son public après deux ans de pause forcée pour cause de pandémie. « J’en étais même venu à augmenter mes séances de psy tellement j’étais en manque ! » confesse le songwriter à la voix androgyne qui était hier soir au Zénith de Paris.
Outre son statut de saltimbanque, une autre raison explique le rapport singulier d’Asaf Avidan à la journée dominicale. « En Israël, le week-end débute le vendredi soir avec le shabbat et se termine le samedi soir ; le dimanche est le premier jour de la semaine, l’équivalent du lundi dans les pays de tradition chrétienne », rappelle le chanteur, né un dimanche de mars 1980 à Jérusalem au sein d’une famille de gauche, « la plus antireligieuse au monde ». Et d’expliquer : « Mes grands-parents ont survécu à la Shoah. Comme beaucoup de rescapés, la foi les avait abandonnés. »
Des samedis de son enfance dans le berceau des trois religions monothéistes, il se souvient du « silence absolu » : « Tout était fermé, les commerces, les restaurants, aucune voiture ne circulait. » À l’époque, ses week-ends se déroulaient sans les rituels et repas du shabbat. « Mes parents se levaient tard, nous n’allions évidemment pas à la synagogue, on regardait la télé sur des chaînes câblées et l’après-midi je sortais jouer avec mes copains, c’était la liberté », se souvient-il.
Brassage jamaïcain à la piscine
À l’âge de 7 ans, il découvre une autre forme de dimanche à Kingston, en Jamaïque, où ses parents avaient été mutés. « Nous habitions une maison avec une piscine, tous les enfants du coin venaient pour se baigner. Des gamins de toutes origines, canadiens, indiens, australiens… On passait aussi nos après-midi enfermés dans une maison abandonnée pour s’inventer mille histoires en jouant à Donjons et dragons. Cette expérience m’a ouvert au monde et à la différence. »
Quatre ans plus tard, de retour à Jérusalem, il passe ses journées sur les terrains de basket. « Je ne rêvais pas d’une carrière professionnelle, j’étais trop petit, mais ce sport représentait toute ma vie », raconte ce fan absolu des Knicks de New York. Le jeune Asaf savoure surtout le shabbat car il le libère du calvaire de l’école. « J’avais le blues tous les soirs, et pas seulement la veille de la reprise. J’étais solitaire, bagarreur, je me sentais bridé, avec l’impression de me faire voler mon enfance. Ma mère m’a heureusement sauvé en m’inscrivant dans une école d’art. »
Puis, durant le sacro-saint service militaire, l’athée Asaf Avidan bénit avec encore plus de ferveur le repos sabbatique. « Dès le vendredi soir, nous pouvions rentrer à la maison, une libération tellement je détestais l’armée : l’autorité, la discipline, les armes et l’uniforme… Vous n’êtes plus une personne, juste un numéro. » Il est finalement exempté au bout de dix mois (contre les trois années réglementaires) pour cause de dépression. Il surmonte d’autres épreuves, plus redoutables, comme ce lymphome diagnostiqué à 21 ans et terrassé après une année de chimiothérapie « encore plus douloureuse que le cancer lui-même ».
Cafés de Jérusalem fermés le week-end
Après sa rémission, il finit par se consacrer à la musique au gré de concerts donnés dans les rares cafés de Jérusalem ouverts le week-end. « Le poids de la religion était devenu si écrasant qu’ils ont tous fermé, explique-t-il. C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis installé à Tel-Aviv à 23 ans. » C’est dans la « petite Miami israélienne » honnie par les religieux orthodoxes qu’Asaf Avidan s’est fait un nom. « Ma carrière a vraiment commencé dans les pubs de Tel-Aviv, quand je jouais seul avec ma guitare. La musique me permettait de partager mes émotions de façon rapide et interactive. » Depuis cinq ans, il partage sa vie entre Israël et sa ferme dans la campagne de Bologne. Plus pour très longtemps manifestement : le globe-trotteur envisage de s’installer dans le sud de la France. « J’aimerais restaurer une vieille bâtisse pour la transformer en résidence d’artistes, mais aussi en sanctuaire pour animaux, confie le musicien végétarien. Un lieu à l’abri du tumulte du monde, où tous les jours seraient des dimanches, ou des samedis… »
Par Eric Mandel