Mälmo, la grande ville du sud de la Suède, a fait les gros titres ces dernières années en raison de l’antisémitisme qui s’y manifeste.
Le journaliste David Stavrou raconte la lente prise de conscience des pouvoirs publics locaux et nationaux et les dispositifs mis en place pour faire face au problème. Surtout, il s’interroge sur la valeur de cette expérience pour l’ensemble de l’Europe où de nombreuses grandes villes sont confrontées à des problématiques similaires.
Ceux qui croient au vieil adage « Il n’y a pas de mauvaise publicité » feraient bien d’étudier le cas de Malmö, la troisième plus grande ville de Suède. Forte de 350.000 habitants, la ville n’est pas particulièrement grande, elle n’est pas non plus particulièrement belle, ou particulièrement ancienne, ou particulièrement chère… A priori, elle n’a rien de particulier. Pourtant, ces dernières années, Malmö a réussi à faire beaucoup parler d’elle au niveau international ; mais sans doute pas pour les raisons que ses dirigeants espéraient. Plutôt que d’être félicitée pour « Västra Hamnen », qui se présente comme le premier quartier neutre en carbone d’Europe, plutôt que d’être louée pour son multiculturalisme, plutôt que d’être admirée pour son « Turning Torso », le plus haut gratte-ciel de Scandinavie, Malmö est connue dans le monde entier pour…son antisémitisme.
L’antisémitisme nouveau de Malmö
Il est difficile de dire quand et où l’antisémitisme a commencé en Suède. À coup sûr, le phénomène n’est pas nouveau. En fait, on trouve des traces d’antisémitisme avant même l’installation des premières communautés juives du pays, à à Stockholm et à Marstrand, près de Göteborg, à la fin du XVIIIe siècle. À partir de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, comme ailleurs en Europe, les restrictions et les discriminations étatiques ont lentement disparu, mais parallèlement l’idéologie et la propagande antisémites ont continué à imprégner l’establishment politique dont une partie a fini par se radicaliser dans les nouveaux mouvements néonazis et fascistes durant l’entre-deux-guerres. À ce titre, la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui laisse une Suède restée neutre relativement indemne, ne marque pas la fin du nazisme suédois. Au contraire, la Suède devient alors l’hôte de nombreux mouvements racistes, nationalistes et fascistes. Parallèlement à l’adoption progressive, par l’élite politique suédoise, des valeurs universalistes et au développement d’un État-providence social-démocrate, l’extrême-droite s’épanouit dans les marges de la société. Si bien que jusqu’à aujourd’hui, les skinheads néonazis, les maisons d’édition antisémites et les mouvements du nationalisme chrétien suprémasciste font partie intégrante de la société suédoise.
Malmö, en particulier, a joué un rôle intéressant dans cette histoire durant les dernières années de la Seconde Guerre mondiale et celles qui ont suivi. D’un côté, à partir de 1943, la ville est devenue un refuge pour les Juifs danois arrivés sur la côte suédoise après avoir traversé le détroit de l’Öresund, et c’est également à Malmö que les « bus blancs » de la Croix-Rouge suédoise transportant des survivants des camps de concentration nazis sont arrivés en 1945. Mais c’est aussi dans cette ville qu’est né le « Mouvement de Malmö[1]», lequel a joué un grand rôle dans la réhabilitation de l’extrême droite européenne à partir des années 1950. Le leader du mouvement, Per Engdahl, a été un acteur clef de ce projet visant à relier les restes des mouvements fascistes et nazis de toute l’Europe et qui a mis sur pied une « internationale néofasciste », a diffusé de la littérature, organisé des conférences et facilité la fuite vers l’Amérique du Sud des anciens nazis recherchés. Malmö, où Engdahl vivait et travaillait, a été le principal nœud de ce réseau.
Depuis plus de dix ans maintenant, c’est pourtant d’un nouveau type d’antisémitisme que Malmö est devenue, aux yeux de beaucoup, le symbole. Ces dernières années, un antisémitisme importé du Moyen-Orient et des milieux islamistes a pris le dessus sur le traditionnel antisémitisme d’extrême-droite, qui demeure néanmoins. Le phénomène inquiète dans toute la Suède, mais c’est Malmö qui est considérée comme son épicentre. En 2012, une explosion a frappé le centre communautaire juif local. Déjà, en 2009, des cocktails Molotov avaient été lancés sur le funérarium juif de la vile[2]. La même année, Malmö avait surtout été le théâtre de ce que l’on appelle désormais « les émeutes de la Coupe Davis ». Alors qu’Israël et la Suède disputaient un match de tennis officiel, des milliers de manifestants anti-israéliens sont descendus dans la rue. La manifestation s’est rapidement envenimée, donnant lieu à des attaques physiques et verbales contre les Juifs de la ville et les forces de l’ordre. Le maire de l’époque, IImar Reepalu, fut accusé de faire partie du problème plutôt que de la solution après qu’il ait déclaré à un quotidien local : « Nous n’acceptons ni les sionistes ni les antisémites, qui sont des extrêmes qui se placent au-dessus des autres groupes. » Reepalu a quitté son poste en 2013 mais les problèmes ne se sont pas arrêtés pour autant. Certains manifestants pro-palestiniens, en particulier pendant les périodes de conflit à Gaza, ont continué à arborer des slogans, des signes et une rhétorique fortement antisémites.
Lorsque j’ai visité la ville en 2015 dans le cadre d’un reportage pour « Haaretz », j’ai parlé à quelques membres de la communauté juive locale. C’était l’époque où des centaines de demandeurs d’asile arrivaient chaque jour, principalement de Syrie et d’Afghanistan, en traversant le pont qui relie Copenhague à Malmö, devenue la porte d’entrée en Suède. Alors que les autorités suédoises s’efforçaient de relever les défis de logement, d’emploi, d’éducation et d’intégration des immigrants, beaucoup de Juifs de Malmö étaient inquiets. « La peur et le harcèlement sont quotidiens », m’avait alors dit une femme arrivée d’Israël plusieurs décennies plus tôt. Elle affirmait que les autorités ne faisaient rien face à ce harcèlement et aux provocations des mosquées locales. « Je ne suis pas contre l’acceptation des demandeurs d’asile », me dit un autre membre de la communauté, « il ne faut pas fermer la porte aux personnes qui ont besoin d’aide, mais il ne faudrait pas que la résolution d’un problème en engendre un plus grand. Nous devons utiliser nos têtes, pas seulement nos cœurs ». Après 2015, je suis retourné dans la ville à plusieurs reprises et les témoignages recueillis sont devenus de plus en plus inquiétants. Certains affirmaient que les familles juives quittaient la ville parce qu’elles ne se sentaient plus en sécurité. En 2021, un rapport commandé par la municipalité est venu corroborer certaines de ces impressions en décrivant les écoles de Malmö comme un environnement peu sûr pour les élèves juifs qui y subissent des attaques verbales et physiques, tandis que les enseignants préfèrent éviter le conflit avec les agresseurs. D’autres rapports affirment que les survivants de la Shoah ne sont plus invités à raconter leur histoire dans certaines écoles de la ville car les élèves musulmans leur manquent de respect.
Malmö au centre du monde
C’est dans ce contexte que la communauté juive de Malmö, qui existe depuis les années 1870, fréquente deux synagogues, un centre communautaire, réalise diverses activités éducatives mais ne compte plus aujourd’hui qu’un peu de moins de 500 membres, a décidé de prendre la parole. Les alertes qu’elle a lancées ont conduit la presse suédoise à s’intéresser au problème. Les rapports se sont alors multipliés, faisant état d’enfants juifs forcés de supporter certains camarades de classe qui profèrent des insultes, brûlent des drapeaux israéliens et font l’éloge d’Hitler, mais aussi d’adolescents qui subissent des brimades et des menaces de viol et de meurtre sur les réseaux sociaux. Quant aux enseignants juifs, il leur est demandé de tolérer le harcèlement et de faire profil bas. Tous ces faits sont bien documentés. Ils reposent sur des témoignages d’habitants, des informations recueillies par des journalistes, des ONG et les autorités, ainsi que sur des études menées par des chercheurs. Les faits sont graves et suffisants, pourtant, une couche de mythologie s’y est surajoutée. C’est cette mythologie qui a conduit Malmö à recevoir les titres peu flatteurs de « capitale suédoise de l’antisémitisme » ou même de « ville la plus antisémite d’Europe ». Ces dernières années, principalement dans la presse internationale, les reportages sur Malmö sont devenus pleins d’histoires sur les prétendus crimes d’honneur, les mariages forcés, la polygamie, les mutilations génitales féminines, les sociétés parallèles, les émeutes, le crime organisé des clans ethniques et les zones interdites dans lesquelles les criminels locaux auraient pris le dessus et où la police et les autorités ne pourraient plus agir. C’est à ce moment-là que Malmö est entré dans la liste des sujets favoris de ceux qui se font les relais internationaux d’histoires et de théories du complot selon lesquelles la charia s’emparerait de la Suède, de la ville qui deviendrait la « capitale mondiale du viol » et la preuve de la « théorie du grand remplacement ».
Bref, par un mélange de faits corroborés et d’autres extrêmement exagérés et hautement politisés, l’attention du monde en général, et du monde juif en particulier, s’est tournée vers la Suède. Si bien qu’en 2010, le Centre Simon Wiesenthal, basé à Los Angeles, a commencé à conseiller aux Juifs de ne pas visiter Malmö. Le renforcement de la droite populiste en Suède ayant rendu l’intégration des immigrants du Moyen-Orient de plus en plus difficile et les phases violentes du conflit israélo-palestinien se répétant, la petite communauté juive de Malmö est soudainement devenue, à son corps défendant, un symbole de tous les problèmes du monde.
Les pouvoirs publics réagissent
Il reste difficile de dire si la situation à Malmö est vraiment aussi catastrophique qu’elle est parfois décrite dans les médias étrangers, et si elle est vraiment si différente de celle des autres villes suédoises ou d’autres villes européennes multiculturelles. Toujours est-il qu’à un moment donné, les autorités locales et le gouvernement de Stockholm ont réalisé qu’ils avaient un sérieux problème. La situation à Malmö, exagérée ou non par la presse, donnait une mauvaise image de la Suède. Mais il y avait plus que cela. Ces deux dernières années, j’ai parlé d’antisémitisme avec le maire de Malmö, avec le ministre suédois de l’éducation, le ministre des affaires étrangères et l’ancien premier ministre (tous sociaux-démocrates) et il ne fait aucun doute qu’ils étaient tous sincèrement troublés par l’antisémitisme et désireux de s’engager dans la lutte contre celui-ci. Le problème ne s’est jamais résumé, pour eux, à celui de l’image de leur ville et de leur pays. Cela ne signifie pas pour autant que leurs efforts aient été nécessairement efficaces, mais au moins leur préoccupation était sincère. En octobre dernier, lorsque j’ai interviewé Katrin Stjernfeldt Jammeh, maire de Malmö depuis 2013, elle a déclaré qu’elle se rendait compte que Malmö n’était pas vaccinée contre l’antisémitisme : « C’est un problème que nous abordons, nous en parlons davantage aujourd’hui. Il est vrai que depuis qu’on en parle, le problème semble pour certains être devenu encore plus important que lorsqu’on n’en parlait pas. Mais peu importe l’image de Malmö que cela renvoie. La seule chose qui m’importe, c’est de s’attaquer au problème et de changer les choses ».
Lorsque je lui ai demandé de détailler ce que la ville avait fait pour affronter le problème au cours de ses huit années de fonction, Katrin Stjernfeldt Jammeh a déclaré qu’elle s’était engagée dans la lutte contre l’antisémitisme et le racisme dès le jour de son élection en « travaillant avec nos citoyens, en travaillant avec la communauté juive pour cartographier le problème, pour en créer une compréhension et, aujourd’hui, nous avons un engagement à long terme ». Elle ajoutait que la ville a investi plus de 2 millions d’euros sur quatre ans sur ce sujet : « Il ne s’agit pas seulement d’un petit projet cette année ou l’année prochaine, c’est un engagement à travailler sur le long terme pour créer de meilleures conditions de vie pour la communauté juive, pour renforcer sa sécurité et développer nos connaissances. Nous travaillons également au sein de notre système scolaire, en recensant le problème là aussi, et en créant différents moyens d’y prévenir les désagréments. »
Au niveau national, l’ancien Premier ministre, Stefan Löfven, a lui aussi fait de la lutte contre l’antisémitisme et pour la mémoire de la Shoah une partie déterminante de son héritage politique. Et là-aussi, Malmö a joué un rôle crucial. En octobre dernier, Löfven et la ville de Malmö ont accueilli une conférence spéciale : le Forum international de Malmö sur la mémoire de la Shoah et pour la lutte contre l’antisémitisme. Bien que les conférences aient traité de questions bien plus larges que les problèmes concrets de la communauté juive de Malmö, elles ont attiré l’attention de nombreuses personnes dans le monde entier et, à la suite du Forum, des chefs d’État et de gouvernement, des chercheurs et des représentants d’organisations privées et de la société civile se sont engagés dans ce que le gouvernement suédois a appelé un programme « orienté vers l’action ». L’idée du Forum était notamment que les délégations du monde entier viennent présenter des promesses de « mesures concrètes pour faire avancer le travail sur la mémoire de la Shoah et la lutte contre l’antisémitisme ». Le gouvernement suédois, par exemple, a promis de construire un nouveau musée de la Shoah, de criminaliser le racisme organisé, de contribuer à la Fondation Auschwitz-Birkenau, de nommer une commission d’enquête gouvernementale sur une stratégie de promotion de la vie juive en Suède et « d’augmenter de manière significative » le financement des « mesures de renforcement de la sécurité pour la société civile, y compris la communauté juive, à partir de 2022 ».
Le Forum de Malmö s’est tenu un peu plus de vingt ans après le premier Forum international de Stockholm, initié par l’un des prédécesseurs de Löfven, l’ancien Premier ministre suédois Göran Persson. Ce forum avait marqué le début d’un partenariat international visant à lutter contre l’antisémitisme et à promouvoir la mémoire de la Shoah. Il avait débouché sur la « Déclaration de Stockholm », qui est le document fondateur de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Lorsque j’ai parlé à Löfven quelques semaines après la conférence, il a insisté sur le fait que pour lui le forum de Malmö était « une affaire d’engagements, pas de discours ». Il m’a ensuite expliqué qu’il y avait deux types d’engagements : « Premièrement : ne jamais oublier. C’est pourquoi différents pays ont entrepris de se doter de divers événements et sites commémoratifs. Deuxièmement, la lutte contre l’antisémitisme, qui est également une question d’engagements. Dans notre cas, cela signifie faire plus dans les écoles, investir davantage dans la recherche afin de mieux comprendre les forces qui se cachent derrière l’antisémitisme et ainsi de suite. Nous voulons étendre cela à d’autres pays, organisations et entreprises, comme les réseaux sociaux par exemple. Tout le monde peut prendre des engagements. Les écoles peuvent s’engager, davantage d’entreprises peuvent s’engager, les organisations sportives peuvent s’engager, etc. C’est ainsi que l’on doit aborder ces problèmes. »
Les limites de la mobilisation politique
Le Forum de Malmö a fait les gros titres et a, pour une fois, attiré sur Malmö une attention positive. Mais ces initiatives nationales et internationales, décidées par des politiciens de haut rang, des chefs d’entreprise, des journalistes et des organisations internationales, font-elles une différence au niveau local ? Ont-elles un effet dans les rues, sur les places et dans les écoles de Malmö ? La réponse dépend, bien sûr, de la personne à laquelle vous posez la question. Certains politiciens de l’opposition locale, par exemple, affichaient leur scepticisme avant même le début de la conférence. « Il est évident que nous avons un énorme problème avec l’antisémitisme et qu’il affecte la vie quotidienne des gens à Malmö », m’a dit Helena Nanne, vice-présidente du parti modéré de centre-droit à l’Hôtel de ville, quelques jours avant la tenue du forum de Malmö. « Pour les parents ayant des enfants à l’école, la situation de l’antisémitisme est un problème majeur, et nous entendons des histoires de familles qui choisissent de déménager parce qu’elles ne se sentent pas en sécurité et ne peuvent pas être certaines que l’école sera sûre pour leurs enfants ». Nanne n’était pas opposée au Forum sur le principe, mais elle tenait à souligner que les sociaux-démocrates qui l’organisaient n’étaient eux-mêmes pas au clair sur la question de l’antisémitisme : « Cette ville est dirigée par un parti qui a eu un problème d’antisémitisme dans sa propre organisation. Il est difficile de prendre au sérieux leurs engagements ». Un autre politicien de l’opposition, Ilan Sadé, qui dirige depuis Malmö le parti de droite Coalition des citoyens, s’est voulu encore plus critique : « Je ne suis pas contre le fait que le forum ait lieu à Malmö, mais il pourrait n’être qu’une tentative pour améliorer l’image de la ville. Il existe un lien problématique entre les sociaux-démocrates et la population immigrée dans des quartiers comme Rosengård [un quartier de Malmö connu pour sa population immigrée et sa criminalité liée aux gangs, D.S]. Les sociaux-démocrates y bénéficient d’un très large soutien, et ils ne veulent pas le perdre ; ils doivent maintenir une forme d’équilibre. Et bien sûr, il y a aussi beaucoup de personnes originaires des pays arabes qui sont membres du parti. Il y a eu des incidents comme lorsqu’on a entendu des membres de la ligue des jeunes du parti crier des slogans tels que « Écraser le sionisme » lors de manifestations. C’est au moins à la limite de l’antisémitisme puisqu’ils ne crient jamais cela contre d’autres pays ». Sadé prétend également qu’un manque de détermination à prévenir, arrêter et poursuivre les crimes de haine à Malmö demeure : « Le dossier de la police sur les attaques contre le rabbin Chabad de Malmö est aussi épais qu’un livre de Dostoïevski. Il y a environ 160 à 180 faits enregistrés. On y trouve de tout : du crachat à l’injure et au harcèlement. C’est absurde. En Suède, un chef religieux devrait pouvoir se promener dans la rue. Les prêtres peuvent le faire, les imams peuvent le faire, alors pourquoi pas un rabbin ? Cela devrait être une priorité, et ce n’est pas le cas. »
Une autre façon d’aborder les problèmes de Malmö implique précisément un imam et un rabbin. L’imam Salahuddin Barakat et le rabbin Moshe David HaCohen, tous deux basés à Malmö, ont fondé une association qui vise à renforcer la confiance entre communautés tout en luttant contre la discrimination. L’organisation Amanah croit que l’approfondissement et la consolidation de l’identité et des racines de chacun sont des éléments clés pour atteindre son objectif de pacification, et elle se concentre sur la lutte contre l’antisémitisme et l’islamophobie à tous les niveaux de la société : écoles, universités, communautés et représentants officiels. J’ai parlé au rabbin HaCohen le premier jour du forum de Malmö et il m’a dit qu’il appréciait les efforts du gouvernement suédois. Mais il a ajouté que Malmö en tant que telle ne faisait pas l’objet d’une grande attention. Son organisation, en revanche, est plus proche de la base. HaCohen a évoqué avec moi les programmes scolaires de lutte contre le racisme qu’Amanah promeut, ainsi qu’un projet numérique qui simule la gestion de situations antisémites, et les efforts déployés par l’organisation pour lutter contre le déni de la Shoah dans les écoles et surveiller les réseaux sociaux qui peuvent potentiellement « empoisonner l’esprit des enfants de 9 et 10 ans ». Hacohen constate déjà certains résultats du dialogue interconfessionnel : « Lors du dernier conflit de Gaza (en mai 2021), il y avait une tension accrue dans la ville, comme nous l’avions déjà connu dans le passé, puisqu’il y a une grande communauté palestinienne ici. Il y avait des manifestations contre Israël, et comme d’habitude certains des manifestants ont commencé à crier des slogans antisémites. Mais cette fois, ces personnes ont été écartées par des imams qui ont quitté leur zone de confort pour protéger leurs voisins juifs. De même, nous avons été aux côtés de nos voisins musulmans lorsque les partisans d’un politicien danois d’extrême droite qui s’est vu refuser l’accès à la Suède se sont filmés en train de brûler et de frapper le Coran dans les rues de Malmö. »
Les membres d’Amanah ne sont pas seuls. D’autres organisations et responsables municipaux font de leur mieux pour traiter le problème de l’antisémitisme dans la ville. La communauté juive a récemment ouvert un nouveau centre de formation qui travaille avec les écoles locales. La mairie travaille avec le comité suédois contre l’antisémitisme pour organiser des voyages dans les camps de concentration en Pologne et s’associe aux clubs de football locaux pour les aider à faire face au racisme et à l’antisémitisme. La ville a également nommé un coordinateur spécial pour travailler sur le problème de l’antisémitisme dans les écoles de Malmö. La coordinatrice, Miriam Katzin, elle-même juive, avocate et politicienne de gauche, a exprimé un point de vue important lorsqu’elle a parlé au magazine suédois Expo, il y a un peu plus d’un an : « Il existe un problème d’antisémitisme dans l’ensemble de la société, qui s’exprime de différentes manières. Je pense qu’il est commode pour la majorité des Suédois de se tourner vers Malmö et de considérer l’antisémitisme comme la faute de groupes qui n’appartiennent pas à la majorité. Mais c’est se simplifier la vie en refusant de se regarder dans le miroir. L’antisémitisme avec lequel j’ai grandi était exprimé par des Suédois bien intégrés dans la société majoritaire. Cet antisémitisme est toujours vivant, mais il est souvent négligé. On veut faire de l’antisémitisme le problème des autres. » Selon Katzin, conformément à cette tendance, les groupes d’immigrants sont accusés d’être seuls responsables de l’antisémitisme, la droite accuse la gauche d’être antisémite et la gauche accuse la droite, alors qu’en réalité l’antisémitisme est un problème social général et qu’il est « profondément problématique de s’engager dans une compétition pour savoir qui sont les pires antisémites ».
C’est en effet l’un des problèmes les plus graves concernant l’antisémitisme à Malmö et dans de nombreuses autres villes européennes. Le fait de réaliser que l’antisémitisme existe encore à notre époque est déprimant en soi. Le fait qu’il ne se limite pas à un côté du spectre politique ou à un groupe social, une région ou une culture en particulier rend les choses plus difficiles encore. Lorsqu’on réalise que la haine des Juifs est un problème qui concerne aussi bien les progressistes de gauche, les conservateurs de la vieille école, les suprématistes blancs et les islamistes purs et durs, il est difficile d’imaginer une solution. De la même manière, Malmö, qui est devenue un symbole de l’antisémitisme mais qui, en réalité, n’en a jamais été la seule ou la pire expression, n’est qu’une infime partie d’un problème plus vaste. Malgré tout ce qui s’est passé à Malmö – l’attention internationale, le cirque médiatique, les dizaines de politiciens de haut niveau, les engagements, les promesses, les efforts et l’argent consacrés à l’éducation, au dialogue interconfessionnel et aux mesures de sécurité – l’antisémitisme reste un problème grave. Ce n’est pas que rien n’ait eu d’effets. Les choses vont probablement un peu mieux ces jours-ci dans cette ville de taille moyenne du sud de la Suède. Mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Maintenant, il ne reste plus qu’à arranger la situation dans le reste du monde
David Stavrou est journaliste, basé à Stockholm, correspondant du journal « Haaretz ». Sa présente contribution originale pour K. fait suite à une série d’articles sur Malmö publiées dans « Haaretz ».
Notes
- Le Mouvement de Malmö, aussi appelé Mouvement social européen, est une organisation néofasciste européenne fondée à Malmö en mai 1951. Elle vise à unifier les droites radicales européennes. Elle sera rapidement minée par les dissensions internes.
- En Janvier 2009, des cocktails Molotov ont été lancés sur le cimetière juif de Malmö. L’attaque ayant eu lieu aux premières heures du matin, elle ne fit pas de victimes. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois que cimetières juifs et synagogues furent la cible de « vandalisme ». Des tentatives d’incendies de sites juifs et des tags antisémites furent plusieurs fois relevés. En 2010, un engin explosif fut déclenché devant le centre communautaire juif de la ville et des pavés lancés sur sa façade. Les dommages matériels furent importants mais, l’attaque ayant eu lieu de nuit, aucun blessé ne fut rapporté.