Dans une tribune au « Monde », le président israélien, qui participe, dimanche 20 mars, à Toulouse, à la cérémonie d’hommage aux victimes des attentats de mars 2012, appelle s’opposer « à la haine aveugle qui ne s’arrête jamais à un groupe, et détruit tout ».
Myriam. Arié. Gabriel. Jonathan. Quatre noms qui restent gravés dans mon esprit depuis le 19 mars 2012, jour où un vicieux meurtrier a pris d’assaut l’école Ozar-Hatorah, à Toulouse, et a tué ces quatre innocents. Myriam n’avait que 8 ans. Arié n’avait que 5 ans. Gabriel n’en avait que 3. Jonathan a été tué en protégeant ses fils.
Je n’oublierai jamais de m’être tenu au-dessus de leurs tombes lorsqu’ils ont été inhumés à Jérusalem : trois jeunes victimes et le courageux père qui est mort en essayant de les sauver. Victimes innocentes de la haine.
Cette semaine marque le dixième anniversaire de ce terrible massacre. Alors que je m’envole pour la France pour participer à ces cérémonies de commémoration, aux côtés de mon ami le président Emmanuel Macron et d’anciens présidents et dirigeants de la République, je ne cesse de me demander avec effarement : comment une telle horreur a-t-elle pu se dérouler sur le sol de la France d’aujourd’hui ?
La France est l’un des plus proches alliés de l’Etat d’Israël et c’est un pays qui fut un formidable et chaleureux foyer pour les juifs. Cette grande République a déjà prouvé son attachement à la tolérance et à la lutte contre l’extrémisme. Mais, malheureusement, le massacre de Toulouse n’est pas un incident isolé de violence radicale commis par une minorité d’intégristes.
Outre le massacre de Toulouse, on se souvient d’Ilan Halimi, enlevé dans la région parisienne et sauvagement torturé à mort en 2006. On se souvient de Sarah Halimi, violemment battue dans son appartement parisien et cruellement jetée par la fenêtre en 2017. On se souvient de Mireille Knoll, survivante de la Shoah de 85 ans qui, un an plus tard seulement, a été poignardée à mort chez elle dans le 11e arrondissement.
Et on se souvient des quatre otages juifs assassinés par un islamiste extrémiste au supermarché Hyper Cacher de la porte de Vincennes : Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab et François-Michel Saada. Cet horrible siège s’est déroulé quelques jours seulement après la fusillade de Charlie Hebdo – un rappel tragique que la paix et la sécurité de la communauté juive française sont liées à celles de la société française dans son ensemble.
Cruauté inimaginable
Il ne s’agissait pas de massacres moyenâgeux, mais d’attaques vicieusement antisémites, perpétrées avec une cruauté inimaginable, en ce moment même, au XXIe siècle.
Ici, dans la patrie des Lumières, sur la terre qui a inspiré l’amour du monde pour la raison, côte à côte et d’une même voix, auprès des dirigeants passés et présents de ce grand pays, je veux dire clairement : rien ne justifie cette haine aveugle. Rien.
L’antisémitisme, sous toutes ses formes et quelle que soit son origine, est l’expression ultime de l’irrationalité. Car le bien ne peut émaner d’une haine aveugle, jamais. Je félicite le président Macron d’avoir parlé et agi avec tant de force contre ce terrible fléau et d’avoir clairement indiqué que l’antisémitisme n’a pas sa place en France. Je le salue pour avoir fait de la lutte contre l’antisémitisme l’une des grandes priorités de la France pour sa présidence du Conseil de l’Union européenne ainsi que pour son engagement à ce que la France montre la voie dans ce noble combat.
En effet, les juifs sont organiquement intégrés et liés à la France, à sa culture et son histoire. De Rachi et des rabbins tossafistes à Adolphe Crémieux, de Léon Blum à Pierre Mendès France et de Derrida et Durkheim à Emmanuel Levinas et Simone Veil, la communauté juive française a contribué à faire de la France ce qu’elle est.
« Notre humanité commune »
Comme l’a dit le premier ministre de l’époque, Manuel Valls, après le massacre de l’Hyper Cacher : la France sans ses juifs ne serait pas la France. L’antisémitisme est un ennemi de la civilisation. C’est un ennemi des sociétés modernes et ouvertes. Et c’est un ennemi des valeurs fondatrices de la République française, valeurs qui doivent nous inspirer pour combattre l’antisémitisme, sous toutes ses formes, et quelle qu’en soit son origine.
Au nom de la liberté, les juifs doivent pouvoir vivre librement et sans peur. Au nom de l’égalité, les juifs doivent pouvoir jouir du même sentiment de sécurité que n’importe quel autre individu. Mais je crois que la lutte contre l’antisémitisme doit venir avant tout d’un sentiment de fraternité, d’un sens de la solidarité enraciné dans notre humanité commune. En effet, depuis mon investiture en tant que président de l’Etat d’Israël, je me suis efforcé d’encourager la tolérance de l’autre et le respect pour la dignité de la différence.
Au nom de la fraternité, nous devons tous déclarer : non à l’antisémitisme ! Assez ! Au nom de la fraternité, nous devons nous opposer à la haine aveugle, car la haine aveugle n’a pas de limites, et ses victimes peuvent être n’importe qui, votre enfant, votre conjoint, votre parent. La haine ne s’arrête jamais à un groupe ; au final, elle détruit tout.
Au nom de la fraternité, nous devons, tous, dire clairement : « Je suis Myriam. Je suis Arié. Je suis Gabriel. Je suis Jonathan. Je suis Ilan, je suis Sarah et je suis Mireille. Je suis Philippe, Yohan, Yoav et François-Michel. »
Un vent nouveau de fraternité souffle au Moyen-Orient avec l’avancée incroyable que représentent les accords d’Abraham. Un vent de tolérance et d’entente entre juifs, musulmans et chrétiens. Le même vent de fraternité doit inspirer notre volonté commune de combattre la haine et l’antisémitisme, où qu’ils se trouvent.
Je veux que les enfants à travers le monde voient l’image du président de l’Etat juif serrer la main des dirigeants de pays musulmans, de terres chrétiennes et de républiques laïques et qu’ils s’en inspirent pour prendre le chemin de la paix et de la tolérance, et qu’ils rejettent ainsi les voix dangereuses qui les appelleraient à la violence et aux préjugés irrationnels.
Je crois toujours que la raison peut prévaloir. Cette haine irrationnelle doit disparaître.
Isaac Herzog est le onzième président de l’Etat d’Israël. Il est le fils du sixième président d’Israël, Chaim Herzog, et petit-fils du premier grand rabbin d’Israël, Isaac Halevi Herzog. Auparavant, il a été chef de l’opposition, plusieurs fois ministre et président de l’Agence juive.