Le rabbin Moshe Leib Kolesnik accueille des familles venues se réfugier dans cette ville de l’ouest ukrainien. Le chef religieux continue à veiller sur une communauté réduite à quelques centaines de personnes.
C’est la seule synagogue de la ville, un bâtiment de deux étages, construit en 1899, qui se dresse comme un témoignage silencieux de l’importance de la communauté juive. Moshe Leib Kolesnik, 63 ans, reçoit dans son bureau, au-dessus de la grande salle de prière. « Dans cette période mouvementée, quand vous vous réveillez le matin et que le soleil brille, vous remerciez Dieu » lâche le rabbin, en tirant sur sa cigarette. « Ce n’est pas shabbat, je peux fumer » plaisante le natif de la cité, seul rabbin ukrainien en exercice à être né dans le pays et l’un des rares à pouvoir s’exprimer en Ukrainien. Dans un pays où la tradition juive a été presque anéantie par l’Holocauste et la persécution antireligieuse communiste, la renaissance de la tradition juive repose principalement sur des Juifs israéliens et américains.
Depuis le début de l’invasion russe, le chef religieux passe l’essentiel de son temps à aider des familles, venues d’Odessa, Karkhiv et Kiev, se réfugier dans l’ouest du pays. Chaque jour, des appels de communautés en Israël, aux États-Unis et en Europe, proposent leurs services. Chaque jour, l’homme de prière se transforme en coordonnateur de l’aide d’urgence.
300 Juifs
Environ 300 juifs, la plupart très âgés, vivent aujourd’hui à Ivano-Franivsk. Loin, très loin, de l’âge d’or de la présence juive, au XIXe siècle, quand la communauté juive de la localité, alors dénommée Stanislau, composait plus de la moitié de la population. À la fin de cette période, les Juifs dominaient la vie économique locale et ils ont continué à jouer un rôle important jusque dans les années 1930 où la cité comptait 55 synagogues. « 90 % des Juifs ont émigré, par vagues successives, dans les dernières années de l’Urss, vers Israël, les États-Unis et l’Europe » affirme le rabbin. En 1995, le rabbin a dû fermer sa petite école religieuse, faute d’élèves.
La synagogue transformée en discothèque
Élevé dans un foyer non religieux, Moshe Leib Kolesnik s’était préparé à une tout autre carrière. Après des études universitaires de philologie russe dans sa ville natale, il est devenu professeur de langues dans une école secondaire de Kolomya, une petite ville à une heure de route d’Ivano-Frankivsk, fréquentée par le rabbin Israël Baal Shem Tov, fondateur du hassidisme. Au début des années 1980, le jeune diplômé rencontre pour la première fois des juifs religieux à Kiev et à Moscou.
Un déclic qui l’amène à s’engager dans un activisme religieux clandestin : apprentissage et enseignement de la Torah, services clandestins de prière et organisation de funérailles dans le respect de la tradition juive. En 1989, deux ans avant l’indépendance, il devient le rabbin de la communauté. La synagogue, transformée, dans les années 1950, par les autorités communistes, en salle de conférences et en discothèque pour la faculté de médecine, lui sera restituée en août 1991. « En théorie, la loi autorise la restitution des lieux de culte mais la pratique est très différente » observe le rabbin. « Contrairement aux autres confessions, nous n’avons pas pu récupérer la douzaine de bâtiments qui sont des anciennes synagogues ».
Les traces laissées par les autres
Au fil des années, Moshe Leib Kloesnik a rassemblé une riche collection de livres anciens, de notes manuscrites trouvées, de documents et photographies, collectés lors de déplacements dans les localités et sur les nombreux sites juifs de la région, y compris des charniers de l’époque de la Shoah. La bibliothèque de la synagogue compte plus de 1 000 ouvrages, le plus grand nombre en hébreu. Le chef religieux aurait pu partir en Israël mais il veut continuer à veiller sur sa communauté, gardien de la mémoire et des traces laissées par les autres.
« Cette guerre n’est pas seulement le produit des idées folles de Poutine mais d’une histoire impériale. Leurs mensonges n’ont pas de limites, comme au temps du comité central du parti communiste » lâche le rabbin. « Poutine et sa clique se croient plus intelligents que tout le monde mais, à la fin, ce sont eux qui perdront ».
À savoir…
Environ 30 000 Juifs vivaient à Ivano-Frankivsk (Stanislav), sous l’occupation soviétique de 1939 à 1941, période pendant laquelle toutes les organisations juives ont été dissoutes. Suite à l’invasion allemande en 1941, la ville a d’abord été occupée par les forces hongroises qui ont violemment persécuté les Juifs. L’extermination des Juifs par les nazis a commencé à l’automne 1941, avec le meurtre, en octobre, de plus de 10 000 d’entre eux au cimetière juif. 10 000 autres sont morts au camp de la mort de Bełżec (Pologne), tandis que des milliers ont péri dans des rafles, ainsi que de la maladie et de la famine, à l’intérieur du ghetto, créé en décembre 1941 et liquidé en février 1943.
Par François d’Alançon