Israël s’est très rapidement mobilisé pour accueillir des Ukrainiens juifs sur son sol, avec plus ou moins de succès et de critiques dans un pays où la question démographique relève de l’existentiel.
Depuis une semaine, le Caesar Hotel, petit établissement de 150 chambres près de la gare de Jérusalem, accueille 27 familles juives ukrainiennes. Elles sont parmi les premières à avoir rejoint Israël, accueillies avec entrain par l’État hébreu. Ils étaient 400 environ à atterrir à l’aéroport Ben-Gourion le 6 mars, en provenance de plusieurs pays limitrophes de l’Ukraine. Depuis, plus de 1 500 personnes les ont rejoints.
Passage par la Moldavie
Anya Shramenko, 37 ans, est venue avec sa fille et ses parents du port d’Odessa. Dès le début de la guerre, elle s’est réfugiée avec sa famille chez ses parents, dans la banlieue de la ville. Elle décrit quatre jours de bombardement intense, incessant. « Nous faisions des tours de veille en s’attendant à ce qu’une bombe nous tombe dessus à tout instant », dit-elle, en regardant sa fille Viktoria, 15 ans, visage fermé et pâle, portant un T-shirt Metallica.
Les hommes, mari, frère et neveu, qui a tout juste 19 ans, tous en âge de se battre, sont restés en Ukraine. Ils sont en contact permanent et suivent de loin l’avancée des forces russes vers leur ville. Elles se sont enfuies, au milieu de la nuit, avec 300 autres personnes.
Le trajet de 60 kilomètres vers la Moldavie a duré onze heures. Là-bas, elles ont été accueillies par des bénévoles de l’Agence juive pour Israël. Cette organisation para-gouvernementale encourage et accompagne l’immigration des juifs vers Israël depuis 1929. Depuis le début du conflit, elle facilite l’exfiltration des citoyens israéliens et des Ukrainiens juifs, avec des dizaines de millions de dollars d’aide en provenance de plusieurs organisations communautaires à travers le monde.
Une « alya » pas si simple
Selon la loi du retour, toute personne dont l’un des grands-parents est juif, leur conjoint, ou une personne convertie par un rabbin homologué peut faire son alya, sa « montée » en Israël. Pour Anya et sa famille, le processus n’a duré que quatre jours. « Nous avions déjà fait nos papiers pour venir en 2013 », explique-t-elle. Pour les autres, les démarches ne seront pas si simples. Prouver ce droit généalogique s’avère souvent complexe ; un « purgatoire » selon certains témoignages, malgré des aménagements. Ainsi, beaucoup de compagnons de voyage d’Anya ont finalement décidé de se diriger vers l’Allemagne, la Pologne ou encore l’Italie.
Les conditions de l’alya se sont durcies ces dernières années, en partie, par crainte de l’immigration. Si Anya et les membres de sa famille ont été accueillis de manière ostensible dans les couloirs de l’aéroport Ben-Gourion, certains de ses concitoyens, venus par leurs propres moyens, ont dû s’acquitter d’une caution de près de 3 000 € pour garantir qu’ils ne resteraient pas sur le territoire israélien. Plusieurs dizaines de personnes, la plupart venant en Israël pour rejoindre des amis ou de la famille, ont ainsi été renvoyées en Europe, provoquant la colère de l’ambassadeur d’Ukraine.
Par ailleurs, Israël a accepté d’accorder un asile temporaire à 25 000 Ukrainiens non-juifs – dont 20 000 sont déjà sur le territoire de manière illégale. Ils ne seront pas expulsés « jusqu’à ce que la situation s’améliore ». Dans le pays, la question démographique est un combat existentiel : les personnes sans papiers sont souvent perçues comme des « infiltrés » qui mettent en danger le caractère juif de l’État.
Fortes demandes venant de Russie
Au Caesar Hotel, des bénévoles entrent toutes les cinq minutes pour faire des dons ou proposer leurs services. Danielle Ginzburg, fille d’un couple russo-ukrainien venu dans les années 1970, y passe aujourd’hui la moitié de son temps pour faire l’interprète. « Ils ont tous des histoires incroyables », témoigne-t-elle, les larmes aux yeux.
Ces réfugiés auront accès aux mêmes aides que tous les autres nouveaux arrivants juifs, les olim : cours de langue, aide financière, orientation professionnelle. Leur avenir ne sera pas à Jérusalem : ils se verront sans doute proposer un logement à la périphérie, jusque dans le Golan ou même en Cisjordanie.
S’ils font le choix de rester, ils grossiront les rangs d’une communauté russophone en Israël qui subit encore des discriminations, surtout sociales. En Israël, la religion dicte l’administration des cycles de la vie, de la naissance à la mort. Or la définition de l’identité juive selon la loi du retour ne coïncide pas avec celle du grand rabbinat : beaucoup d’immigrés de l’ex-URSS se retrouvent dans l’impossibilité de se marier ou d’être enterrés près de leurs proches.
Aujourd’hui, les autorités israéliennes assurent se préparer fièrement à une nouvelle « vague d’alya ». Pour l’instant, loin de la centaine de milliers de personnes attendue, l’estimation tourne autour de 6 000 demandes. Toutefois, un autre signe attire l’attention : dans les antennes consulaires israéliennes en Russie, les demandes explosent. Les conséquences économiques et politiques de la guerre en Ukraine pourraient inciter à l’exode des centaines de milliers de Russes, et Israël est une destination privilégiée.