Alors que le journal a fait l’objet de condamnations pour provocation à la haine envers les juifs, il continue de profiter d’aides publiques indirectes, dénoncent, dans une tribune au « Monde », une trentaine d’historiens et de personnalités, parmi lesquels Beate et Serge Klarsfeld.
A l’occasion des 75 ans de la découverte des camps d’Auschwitz-Birkenau, le 27 janvier 2020, le président de la République Emmanuel Macron a adressé cette belle question aux survivants : « Comment parler après vous ? », puis d’assurer : « Nous traquerons l’antisémitisme, le racisme sous toutes ses formes, la haine qui s’affiche au grand jour comme celles qui se tapissent dans l’ombre et l’anonymat des réseaux en ligne… Ne rien céder… C’est la promesse de la République française. C’est notre serment face à l’histoire. »
Et, en effet, s’il revient aux historiens de relever les défis de l’écriture de la vérité historique et de la transmission des savoirs, il est de la responsabilité de l’Etat d’édicter les règles de droit garantissant la sécurité, la paix et la concorde.
Ainsi, la déclaration d’Emmanuel Macron, son engagement à intensifier la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et le négationnisme, ne peut qu’être salué. Et pourtant, tandis que la France se trouve pour six mois à la présidence du Conseil de l’Union européenne, avec par conséquent le regard de l’Europe braqué sur la France, notre pays continue de manière incompréhensible à accorder un financement public indirect à l’hebdomadaire le plus raciste, le plus antisémite et le plus négationniste qui soit, Rivarol.
Exclu de l’éducation nationale
Créé en 1951 par René Malliavin, Rivarol s’inscrit dans un courant « national-catholique » qui cherche aussi bien à réhabiliter le régime de Vichy qu’à banaliser les crimes du IIIe Reich, ou à exhaler une certaine nostalgie de l’Algérie française. Véhiculant des idées racistes et antisémites, l’hebdomadaire promeut très tôt le négationnisme.
Le journal et son directeur depuis 2010, Fabrice (dit Jérôme) Bourbon, un enseignant exclu de l’éducation nationale, ancien du FN, accusent une vingtaine de condamnations pour contestation de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, provocation à la haine envers les juifs et incitation à la haine raciale.
Or, malgré ces condamnations, Rivarol est distribué par les Messageries lyonnaises de presse (MLP) et bénéficie donc d’une large distribution sur notre territoire : en kiosque, dans les Relais H, à Carrefour, à Monoprix, ainsi qu’aux rayons « presse » de certaines supérettes, alors même que la distribution de la presse imprimée en France est encadrée par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui inclut son article 24 bis contre le négationnisme. Condamné à plusieurs reprises pour ce motif, Rivarol devrait être exclu du catalogue des MLP.
En dépit de ces décisions judiciaires, Rivarol a aussi vu son adhésion renouvelée en 2018 par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP).
La CPPAP est « une instance composée à parité de représentants de l’administration de l’Etat et de professionnels de la presse » qui dispose d’un réel pouvoir. Les dossiers de demande d’inscription qu’elle examine sont soumis aux votes de ses vingt-deux membres dont plusieurs représentants de ministères.
Une fois un numéro d’immatriculation acquis, celui-ci ouvre droit aux avantages du régime économique de la presse : TVA à taux réduit de 2,1 % (au lieu de 20 %), tarifs postaux préférentiels et accès aux aides à la presse.
Rivarol, qui bénéficie d’une immatriculation à la CPPAP depuis des années, profite de facilités assimilables à des aides publiques indirectes estimées, par M. Bourbon lui-même, à l’équivalent de 100 000 euros par an. Si la CPPAP a accordé ces facilités à Rivarol, c’est parce que le journal prétend appartenir à la catégorie « publications d’information politique et générale (IPG) », qui « couvre en principe tout le champ de l’actualité » pour autant que ces informations tendent à éclairer le jugement des citoyens. Or, Rivarol n’a jamais satisfait à de telles exigences ! La charte de la CPPAP, qui précise que « les publications négationnistes, incitant à la haine raciale, à la xénophobie » ne sauraient être acceptées, contient heureusement l’obligation de refuser ou de retirer un de ses agréments en cas de non-respect des critères réglementaires.
Cette propagande salit le travail des historiens
Le 16 novembre 2021, à l’Assemblée nationale, le député LRM Jean-Louis Touraine a soumis à Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture, une question écrite, mentionnant son incompréhension des aides attribuées à Rivarol et soulignant les critères de refus inscrits dans le règlement de la CPPAP. Or, à ce jour, aucune réponse n’a été apportée par la ministre à la représentation nationale et Rivarol continue de bénéficier des aides à la presse.
Conformément au règlement de la Commission paritaire des publications et agences de presse, Mme Roselyne Bachelot et Mme Laurence Franceschini, présidente de la CPPAP, auraient dû demander la réunion extraordinaire des membres de ladite commission pour acter l’exclusion de Rivarol, comme ce fut le cas en 2015 pour Valeurs actuelles, condamné pour racisme anti-Roms.
Dans une démocratie comme la France, où l’antisémitisme et le négationnisme sont reconnus comme des délits, il n’est pas admissible que cette propagande entrave la mission de l’Etat et salisse le travail des historiens. En niant les faits historiques, Rivarol fait le lit des génocidaires, insulte les rescapés, les familles des victimes et leur mémoire. Le travail éducatif qui incombe à l’Etat et aux historiens ne peut souffrir de laisser Rivarol diffuser ses appels à la haine. Il est grand temps que le président de la République, Emmanuel Macron, honore sa parole. Nous appelons donc la CPPAP à prendre ses responsabilités en réexaminant dans les meilleurs délais le certificat d’IPG et l’immatriculation de Rivarol.
Premiers signataires :
Stéphanie Share, historienne, spécialiste du négationnisme, chercheuse associée à The Institute for the Study of Global Antisemitism & Policy (ISGAP), New York, Etats-Unis ; Xavier Truti, chargé de projet d’éducation ; Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch ; Emmanuel Debono, historien, rédacteur en chef du DDV.
Signataires :
Cécile Alduy, professeure, université Stanford ; Guillaume Ancel, ancien officier supérieur et écrivain ; Rachel et Daniel Barnon, dirigeants de Sleeping Giants France ; Annette Becker, professeure des universités émérite ; Timothée Brunet-Lefèvre, doctorant à l’EHESS ; Jean-François Cahay, ingénieur et militant antinégationniste ; Delphine Cerisuelo, enseignante, chercheuse en histoire contemporaine à l’EHESS ; Johann Chapoutot, professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne Université ; Raphaël Doridant, enseignant, rédacteur à Billets d’Afrique et membre de Survie ; Jean-François Dupaquier, journaliste, écrivain et expert auprès du Mécanisme du TPIR ; Cécile Gonçalves, politiste, historienne et chargée de cours à l’université Lumière-Lyon 2 ; François Graner, physicien, directeur de recherche au CNRS, auteur et membre de Survie ; François Heilbronn, professeur associé à Sciences Po ; Valérie Igounet, historienne spécialiste du négationnisme et directrice adjointe de Conspiracy Watch ; Gilles Karmasyn, directeur de PHDN ; Beate et Serge Klarsfeld, présidents de l’association Fils et filles des déportés juifs de France (FFDJF) ; Audrey Kichelewski, maîtresse de conférences en histoire contemporaine, université de Strasbourg, et codirectrice de la Revue d’histoire de la Shoah ; Samuel Kuhn, enseignant, historien ; Marie-Anne Matard-Bonucci, historienne, université Paris 8 ; Tristan Mendès France, responsable de l’initiative Stop Hate Money ; Guillaume Origoni, journaliste indépendant ; Nicolas Patin, maître de conférences en histoire contemporaine, université Bordeaux-Montaigne ; François Robinet, historien, université Paris-Saclay/UVSQ ; Iannis Roder, enseignant, historien et directeur de l’observatoire de l’éducation de la Fondation Jean Jaurès ; Frédéric Sallée, enseignant et historien ; Dominique Sopo, président de SOS Racisme ; Ilana Soskin, avocate à la cour ; Mario Stasi, président de la Licra.