Gabriel Bach, procureur du procès en 1961 du tristement célèbre nazi Adolf Eichmann, est décédé à l’âge de 94 ans, a annoncé l’Autorité judiciaire israélienne.
Au cours du procès très médiatisé d’Eichmann à Jérusalem, M. Bach a été procureur de l’État, travaillant à la collecte de preuves dans l’affaire sous la direction du procureur principal Gideon Hausner. Gabriel Bach a pendant des mois mené l’enquête préliminaire, à la tête d’une équipe d’environ 40 policiers déployés dans une prison du nord d’Israël, dédiée à Eichmann, tandis que le procureur général Gideon Hausner a dirigé les poursuites judiciaires.
Eichmann a été jugé à Jérusalem en 1961 et reconnu coupable de crimes contre l’humanité, de crimes contre le peuple juif et de crimes de guerre. Il a été exécuté par l’État israélien en 1962. « Si quelqu’un méritait la mort, c’était lui », a déclaré M. Bach dans une interview donnée en 2017 lors de la Marche internationale des vivants.
Le juge est né en Allemagne en mars 1927 et a fui le pays avec sa famille en 1938, l’année précédant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. M. Bach a immigré sous mandat britannique pour la Palestine en 1940. En 1982, il est devenu juge à la Cour suprême d’Israël, où il a siégé pendant 15 ans. La présidente de la Cour suprême Esther Hayout a prononcé son éloge funèbre, le qualifiant d’un des « plus grands juristes » du pays. Il est inhumé au cimetière Har HaMenuchot de Jérusalem.
Procès Eichmann : les souvenirs du procureur Gabriel Bach
Quelques jours après la capture spectaculaire du nazi Adolf Eichmann, Gabriel Bach a reçu un coup de fil qui a changé sa vie. Sa mission: mener l’enquête pour le procès en Israël d’un des architectes de la «Solution finale». Gabriel Bach est adjoint au procureur lorsque l’ex-lieutenant-colonel de la SS Adolf Eichman est enlevé le 11 mai 1960 par des agents du Mossad près de Buenos Aires, puis emmené, drogué, en Israël via un vol de la compagnie El Al.
L’annonce de la capture d’Eichmann, douze jours plus tard par le Premier ministre Ben Gourion, fait l’effet d’un séisme en Israël comme à l’étranger. A 33 ans, Gabriel Bach est alors appelé par le ministre de la Justice, Pinhas Rosen. «Il m’a dit: M. Bach, j’imagine que vous allez être un des procureurs dans ce dossier, mais j’ai une demande spéciale pour vous: pouvez-vous vous occuper de l’enquête Eichmann», a t-il raconté à l’Agence France Presse (AFP) par téléphone, à l’occasion du soixantième anniversaire de l’enlèvement du criminel nazi.
En avril 1961, le procureur général Gideon Hausner dirige les poursuites judiciaires contre Eichmann, jugé pour son rôle dans la Shoah, l’extermination de millions de juifs par l’Allemagne nazie, lors du procès à Jérusalem devant les caméras du monde entier et des envoyés spéciaux de renom comme Joseph Kessel et Hannah Arendt. Mais c’est Gabriel Bach qui, pendant des mois, a dirigé l’enquête préliminaire, à la tête d’une équipe d’environ quarante policiers déployés dans une prison du nord d’Israël, intitulée pour l’occasion «Camp Iyar» et spécialement dédiée au prisonnier Adolf Eichmann.
Soixante ans plus tard, Gabriel Bach n’a rien oublié: «Pas un jour ne passe sans que je ne me souvienne d’un élément en particulier, d’une pièce à conviction, ou d’un moment précis du procès Eichmann.» Avant de rencontrer le nazi, certains récits de ses victimes étaient déjà gravés dans son esprit. Comme celui où Eichmann force des détenus des camps d’extermination à écrire des cartes postales à leurs proches pour vanter la «beauté» d’Auschwitz pour encourager le plus de Juifs possibles à monter dans des trains les acheminant vers leur propre mort.
A sa première rencontre avec Eichmann, Gabriel Bach l’informe qu’il mène l’enquête. «Je lui ai dit que s’il avait un problème particulier, physique ou autre, ou concernant sa famille, je serai disposé à lui parler», dit-il. Il restreint ensuite ses contacts directs avec le nazi pour être sûr de ne pas lui divulguer des éléments de l’enquête. Gabriel Bach se souvient d’un rare moment où Eichmann a perdu son sang-froid, pour une raison pour le moins inattendue. L’accusé était amené au tribunal pour voir des images des camps de la mort. Durant la projection, Eichmann a semblé agité. M. Bach lui a alors demandé ce qui le tiraillait. «Malgré la promesse qu’il serait toujours amené en salle d’audience en costume bleu, on lui avait donné un costume gris», aurait déclaré Eichmann, selon M. Bach.
Eichmann n’était pas le premier nazi rencontré par Gabriel Bach. Lorsqu’il était enfant, ce dernier vivait à Berlin et fréquentait une école près d’une place alors baptisée Adolf-Hitler. Face à la montée de l’antisémitisme, sa famille quitte Berlin à l’automne 1938, deux semaines avant la «Nuit de cristal» du 9 novembre lors de laquelle des synagogues ont été incendiées et des dizaines de Juifs tués à travers l’Allemagne. A la gare de Berlin, courant pour attraper son train en direction des Pays-Bas, Gabriel Bach se souvient encore d’un coup de pied donné par un officier nazi, sur la plateforme d’embarquement. «J’ai été littéralement botté hors d’Allemagne», reconnaît-il.
Après un passage aux Pays-Bas, la famille s’embarque pour la Palestine. Alors sous colonie britannique, une partie de la Palestine devient Israël en 1948. A la même période, Eichmann obtient une autorisation pour se rendre en Argentine où il arrivera en août 1950 et travaillera dans une entreprise de construction, puis comme contremaître aux usines Mercedes-Benz sous une fausse identité jusqu’à ce que son passé le rattrape.
Le 15 décembre 1961, la sentence tombe: pendaison. Eichmann fait appel mais la demande est rejetée. Il ne lui reste plus comme seul espoir la grâce du président Itzhak Ben-Zvi. Fin mai 1962, les procureurs apprennent que le président est sur le point de trancher. Une nouvelle question surgit et divise les magistrats: quand exécuter Eichmann si la sentence est confirmée? Certains disaient qu’«il ne fallait pas se presser», se souvient Gabriel Bach. Lui n’est pas d’accord: le jeune procureur craint qu’un sympathisant nazi à l’étranger ne prenne un enfant juif en otage et menace de le tuer pour tenter de faire annuler l’éventuelle pendaison.
Si la demande de grâce est «refusée à 23H00, nous devons exécuter (Eichmann) à minuit», plaide-t-il. Et «c’est ce qui s’est produit», dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1962. «La police m’a invité sur place. Mais je ne voulais pas être présent. Notre boulot était déjà fait.»