La condamnation à douze mois de prison avec sursis de deux responsables de l’ONG Greek Helsinki Monitor pour avoir « faussement » accusé d’antisémitisme un métropolite orthodoxe inquiète plusieurs ONG.
Procès « inquiétant », « tactique d’intimidation pour réduire en silence les défenseurs des droits de l’homme ». Amnesty International s’alarme de la condamnation, mardi 15 février, à douze mois de prison avec sursis de Panayote Dimitras, porte-parole de l’ONG Greek Helsinki Monitor, et d’Andrea Gilbert, chercheuse au sein de l’ONG sur les questions de racisme et d’antisémitisme. Les deux militants sont accusés d’avoir « calomnié » et d’avoir attribué « faussement » des propos antisémites au métropolite du Pirée, Séraphim. Ils ont fait appel de cette décision.
L’affaire remonte à avril 2017, le haut dignitaire de l’Eglise grecque orthodoxe avait été déclaré persona non grata par les autorités israéliennes alors qu’il devait participer à la traditionnelle cérémonie du « feu sacré » à Jérusalem, à la veille de la Pâque orthodoxe. Ulcéré, il avait alors publié sur son site Internet une lettre dans laquelle il décrivait le « sionisme » comme « une dictature (…) qui cherche la domination mondiale par un groupe de juifs capitalistes ». Le Greek Helsinki Monitor avait alors porté plainte contre lui pour propos « antisémites et discriminants envers les juifs ».
« Harcèlement judiciaire »
En 2019, elle a été classée sans suite, le procureur jugeant que le représentant de l’Eglise avait exprimé sa position personnelle et n’incitait pas à la persécution des juifs. Mais le métropolite Séraphim n’en est pas resté là et a poursuivi à son tour les responsables de l’ONG pour « dénonciation calomnieuse ». Le procès a donné lieu à la condamnation mardi des deux défenseurs des droits de l’homme.
« Malheureusement, les juges en Grèce sont très proches de l’Eglise et ne font pas preuve d’une grande indépendance. Il n’y a pas de doute que les propos tenus par le métropolite participent à la diffusion de préjugés néfastes sur les juifs et il a tenu ce genre de discours à plusieurs reprises. Mais au lieu de le condamner, la justice s’en prend à des défenseurs des droits de l’homme qui militent contre le racisme et l’antisémitisme, c’est absurde ! », soutient Panayote Dimitras.
L’Organisation mondiale contre la torture rappelle que « ce n’est pas la première fois que des membres du Greek Helsinki Monitor sont confrontés à un harcèlement judiciaire et à d’autres actes de représailles ». Après avoir pris la défense d’un réfugié ayant été victime d’un refoulement illégal au large de l’île de Kos, Panayote Dimitras est poursuivi dans une autre affaire, accusé d’avoir aidé à l’entrée illégale sur le territoire grec de migrants. L’ONG Human Rights Watch s’alarme d’« une tendance troublante en Grèce consistant à ce que l’Etat utilise le système de justice pénale contre la société civile ».
Stéréotypes diffusés dans la société grecque
Le métropolite s’était déjà illustré pour des propos antisémites qui avaient déplu aux autorités israéliennes. En 2010, lors d’une émission sur la chaîne de télévision Mega, il avait déclaré qu’« Adolf Hitler était l’instrument du sionisme mondial et qu’il avait été financé par la famille Rothschild pour convaincre les juifs de partir d’Europe pour s’installer en Israël et établir un nouvel Empire ». Ces propos avaient suscité l’indignation du Congrès mondial juif et de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, qui avait noté dans un rapport publié en 2015 que « les stéréotypes antisémites ne se limitent pas en Grèce aux partis politiques d’extrême droite, mais ont imprégné de larges pans de la société et une partie de l’Église orthodoxe grecque ».
En pleine crise économique, à partir de 2010, le parti néonazi Aube dorée avait largement participé à la diffusion de préjugés racistes et antisémites et comptait parmi ses plus fervents soutiens des hauts dignitaires de l’Eglise grecque. D’après un sondage réalisé par le centre de recherche Pew en 2019, la Grèce est un des pays les plus antisémites en Europe avec 38 % des personnes interrogées déclarant avoir une mauvaise opinion des juifs.