La juridiction suprême de l’ordre judiciaire élargit sensiblement la notion de partie civile en matière d’infractions terroristes. Une décision qui s’annonce lourde de conséquences, dans un contexte marqué par la succession des procès des différents attentats.
L’homme qui a poursuivi le camion avec lequel a été perpétré l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, une femme ayant sauté sur la plage située en contrebas de la promenade des Anglais, bien au-delà du point d’arrêt du véhicule, ou une personne ayant tenté de maîtriser l’auteur de coups de poignard mortels à la gare Saint-Charles, à Marseille, le 1er octobre 2017, peuvent-ils être considérés comme victimes de ces attentats, alors qu’ils n’étaient pas directement visés par les agresseurs ? Autant de situations que la Cour de cassation a dû examiner et qui illustrent l’épineuse question de la distinction entre « témoins courageux », « témoins malheureux » et victimes au sens juridique du terme de ces attaques terroristes de grande ampleur.
Selon le code de procédure pénale, la constitution de partie civile est normalement réservée, d’une part, aux victimes directes d’une infraction, blessées dans leur chair ou psychiquement troublées après avoir vécu des événements traumatiques, et, d’autre part, aux « victimes par ricochet », regroupant les proches endeuillés et les témoins des souffrances de l’être aimé. Si cette définition semble limpide de prime abord, la violence de scènes de guerre se déroulant en pleine rue et les traumatismes éprouvés par les témoins de ces dernières brouillent les frontières du concept juridique de victime. La reconnaissance du statut de partie civile donne le droit de participer au procès pénal des accusés et ouvre par ailleurs l’accès au processus d’indemnisation des victimes.
Question au cœur du procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), la jurisprudence a déjà eu l’occasion de se prononcer sur le sort de ce que les juges ont appelé des « témoins malheureux », ces passants qui, le soir du 13-Novembre, se sont trouvés sur le trottoir en face des terrasses parisiennes assaillies de coups de feu. Il a ainsi été décidé que, n’ayant pas été visées directement par le tir des fusils d’assaut, ces personnes ne pouvaient se réclamer du statut de partie civile.
Critère d’exposition directe au danger de mort
Les décisions rendues par la Cour de cassation, mardi 15 février, viennent partiellement remettre en cause cette analyse puisqu’elles ouvrent aux « témoins courageux », ayant tenté de neutraliser l’auteur des attaques, et aux personnes s’étant blessées en essayant de trouver refuge le droit de se constituer partie civile.
Comme les « témoins malheureux », ces personnes n’ont pourtant pas été exposées directement et immédiatement au risque de mort recherché par les terroristes, l’arme n’ayant pas été pointée sur elles. Pour autant, la Cour de cassation estime que le stress post-traumatique qu’elles éprouvent depuis est indissociable de l’attaque perpétrée.
Pour justifier cette évolution, la juridiction suprême de l’ordre judiciaire relève que, par nature, les attentats ont pour finalité de « répandre la terreur » et que, pour ce faire, il s’agit, pour les agresseurs, de soumettre le plus grand nombre possible de victimes à ce danger de mort de manière indistincte. En ce sens, l’avis de l’avocat général Frédéric Desportes évoque qu’« il n’est pas discutable que les attentats aveugles, qu’ils aient ou non un caractère massif, présentent une spécificité (…) qui tient à l’indétermination préalable des victimes ». Dès lors, le critère d’exposition directe au danger de mort utilisé par les juridictions pour départager les « témoins malchanceux » des victimes peut s’appliquer aux personnes présentes sur les lieux, cibles implicites des terroristes.
Stress post-traumatique
Les juges de la chambre criminelle de la Cour de cassation ont repris cette argumentation. Les trois personnes à l’origine de la procédure seront donc autorisées à demander réparation lors des procès des attentats de Nice et de Marseille.
Cette extension de la notion de partie civile à toutes les personnes ayant assisté de près ou de loin aux attentats ne semble toutefois pas illimitée. Tout porte à croire que l’ampleur géographique de l’agression et le mode opératoire de l’attaquant auront une incidence sur la caractérisation du statut de partie civile dans les procès des attentats de Nice et de Marseille à venir. Comme par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.
La question se pose surtout de savoir si ces décisions contribueront à alimenter les rangs des victimes, notamment au procès des attentats du 13 novembre 2015, à l’occasion duquel on enregistre déjà plus de 2 240 constitutions de partie civile. La recevabilité de l’ensemble de ces déclarations n’ayant pas été définitivement tranchée par la cour d’assises spéciale, il paraît probable que cet élargissement bénéficie à certaines personnes ayant fait valoir un stress post-traumatique induit par le sentiment d’extrême mise en danger éprouvé ce soir-là.
Plus encore, il est également possible que cette décision incite d’autres « témoins malheureux » des scènes de carnage à se réclamer du statut de victime avant la clôture des débats de ce procès hors norme.