« Golda Maria » : récit intime contre l’oubli

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En 1994, le producteur Patrick Sobelman a filmé pendant trois jours le récit de sa grand-mère, une juive polonaise qui a survécu à la déportation, avant de nous livrer vingt-cinq ans plus tard ce témoignage bouleversant.

Elle est assise sur un canapé. Toujours à la même place. Digne et apprêtée face à la caméra de son petit-fils, le producteur Patrick Sobelman. Durant trois jours en 1994, Golda Maria Tondovska, 84 ans, a raconté son histoire. Celle d’une jeune juive, née en Pologne, qui a traversé le XXe siècle et ses horreurs, a survécu aux pogroms et à la déportation. Une archive à destination familiale, tournée avec une caméra amateur pour que cette mémoire ne disparaisse pas tout à fait. Son auteur a pensé un temps la confier au Mémorial de la Shoah avant que son propre fils, Hugo Sobelman, ne le convainque, vingt-cinq ans plus tard, d’en faire un film.

Une mémoire trop longtemps tue

Le dispositif est minimal. Un plan fixe, une image vidéo pas toujours de grande qualité, quelques photos et images d’archives, et des souvenirs épars qui semblent remonter à la surface au fil du récit. « Quelque chose s’ouvre dans mon cerveau », s’excuse-t-elle dans ce français mâtiné d’allemand et de yiddish pour justifier les errements d’une mémoire trop longtemps tue.


Impossible pourtant de se détacher, deux heures durant, de la parole de cette femme qui nous fait vivre avec la même intensité qu’elle les revit elle-même les événements de cette période sombre. C’est qu’à ce récit d’exil et de persécutions, semblable à tant d’autres, s’ajoute ici une dimension intime bouleversante. Il ne s’agit pas de témoigner pour l’histoire mais de partager avec son petit-fils les soubresauts d’une destinée familiale.

Secrets avoués à demi-mot

Avec ses histoires de cousins, d’oncles et tantes, de sœurs et beaux-frères dans la généalogie desquels on finit par se perdre un peu entre ses moments de bonheur fugace, ses questions sans réponse – pourquoi reste-t-elle à Paris à la fin des années 1930 alors que toute sa famille émigre en Palestine ? – et ses secrets avoués à demi-mot – comme cet avortement clandestin pratiqué en 1942 dans la France occupée alors qu’elle a laissé son mari et sa fille passer en Suisse sans elle.

Et puis il y a l’indicible, Auschwitz-Birkenau et la perte de son petit Robert, 4 ans à peine, condamné dès son arrivée au camp. Comment survivre après ça ? Avec pudeur et lucidité, Golda, rebaptisée « Maria », raconte la difficulté du retour, l’impossibilité de raconter, puis la vie qui reprend grâce à l’amour des siens et la naissance d’un nouvel enfant. À ses côtés, image furtive, apparaît à la toute fin du film son mari, témoin muet et aimant de cette tragédie.

Céline Rouden

Source lacroix