Alors que Patrick Balkany pourrait être réincarcéré à la prison de la Santé, à Paris, et Claude Guéant en sortir, voici comment s’organise ce quartier VIP dans lequel les people, au-delà de leur cellule individuelle, sont finalement presque logés à la même enseigne que les autres détenus.
« Papa » va-t-il revenir ? C’est fort possible. « Papa », c’est le surnom dont Patrick Balkany avait été affublé lors de ses cinq mois de détention à la prison de la Santé (Paris XIVe), où il avait purgé une première partie de sa condamnation pour fraude fiscale et blanchiment aggravé. Placé sous bracelet électronique il y a tout juste un an, Patrick Balkany se voit reprocher par la justice cette fois de ne pas avoir respecté les modalités de cet aménagement de peine. En conséquence, la justice a ordonné jeudi 3 février sa réincarcération.
S’il était de retour dans la célèbre prison parisienne, Patrick Balkany y serait à coup sûr placé une nouvelle fois au QB4 (pour quartier bas numéro 4) dans le secteur « VIP ». « Une appellation uniquement due aux médias », relève-t-on au sein du monde pénitentiaire, qui lui préfère le qualificatif officiel de « quartier pour personnes vulnérables (QPV). »
19 places réservées
Auprès du grand public toutefois, ces cellules nichées dans une aile spécifique et qui ont vu passer nombre de people continuent d’alimenter le fantasme d’une détention trois étoiles pour repris de justice distingués. À la Santé, les 19 places qui leur sont dédiées sont quasiment toutes occupées. En lister les occupants revient comme toujours à feuilleter les pages d’un bottin mondain délinquant, voire criminel.
Si Patrick Balkany réintégrait l’étage des « vulnérables », il voisinerait avec d’autres anciens poids lourds de son camp politique : l’ancien secrétaire d’État Georges Tron, condamné pour viol, et l’ex-ministre de l’Intérieur Claude Guéant. Condamné une première fois pour l’affaire des primes du ministère, puis fin janvier 2022 pour favoritisme dans le dossier des sondages de l’Élysée, ce dernier demandera lundi 7 février sa remise en liberté.
Au quotidien, il fait désormais bâtiment commun avec deux Jean-Luc : le chanteur Jean-Luc Lahaye et l’ex-agent de mannequins Jean-Luc Brunel, tous les deux mis en examen pour des viols sur mineurs. Selon nos informations, les détenus du QPV de la Santé, vivant en vase clos, se parlent beaucoup d’une fenêtre à l’autre, surtout la nuit. Cette semaine, ils ont été rejoints par Jérémie Ladreit de Lacharrière, fils du milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, poursuivi pour détention d’images pédopornographiques en récidive. Le père a rendu visite à son fils dès cette semaine, en attendant son procès qui aura lieu le 17 février.
Éviter les rackets
« Au Quartier pour personnes vulnérables se trouvent tous les détenus dont la présence en détention ordinaire présenterait pour eux un risque, détaille-t-on au sein de l’administration pénitentiaire. Ce risque peut être lié à la nature des faits reprochés, par exemple les infractions à caractère sexuel, mais aussi à leur médiatisation, à celle de leurs auteurs, ou au risque qu’ils se fassent racketter. » Tous ceux précédemment cités cochent donc les cases d’une présence en QPV à un ou plusieurs titres. C’est également le cas de ceux soupçonnés d’avoir « balancé » dans un dossier, ainsi que des policiers ou gendarmes condamnés.
Seule spécificité par rapport à la détention classique : les détenus du QPV sont encadrés par un agent pour chaque mouvement, qu’ils se rendent à la bibliothèque, au sport ou au parloir. Une mesure de protection. « Elle se comprend aisément, note Me Bouchez El Ghozi, l’avocat de Claude Guéant. Mon client a été ministre de l’Intérieur et directeur général de la police nationale, statut qui lui octroie d’ordinaire de plein droit une escorte policière pour le protéger. »
Concrètement, comme tous ceux du QPV, Claude Guéant n’a aucun autre avantage que l’isolement, lequel est d’ailleurs parfois vécu comme un inconvénient. « Leurs cellules sont absolument identiques à toutes celles de la Santé, note Mathias Da Conceçao Dos Santos, responsable local pour le syndicat FO Pénitentiaire. Il n’y a aucun traitement de faveur ni un quelconque surclassement. »
De fait, ces cellules, que nous avions pu visiter quelques semaines avant la réouverture de la prison rénovée, début 2019, ont toutes une même surface de 9 m2. Équipées de plaques vitrocéramiques, de douches, d’un petit frigo et d’un téléphone fixe aux numéros validés par la justice, chaque détenu du QPV y prend ses repas et y vit seul. C’est aussi le cas pour une partie de la détention classique, quand certaines cellules y sont « doublées » du fait de la surpopulation carcérale. 986 détenus sont actuellement incarcérés à la Santé pour 712 places.
Guéant aurait croisé l’assaillant des ex-locaux de Charlie Hebdo
Situé au QB4, le quartier personne vulnérable de la Santé y côtoie la cinquantaine de places du quartier des « arrivants », où les nouveaux détenus passent cinq à dix jours en observation avant d’être « ventilés » ailleurs. Cette aile, comme les autres, possède sa propre cour de promenade, où « arrivants » et « vulnérables » « tournent » à des heures différentes.
Le « camembert », cette petite cour rendue célèbre dans le film « Mesrine », a cédé la place à un espace beaucoup plus grand, auquel les détenus accèdent jusqu’à deux fois 1h30 au quotidien. Contrairement à Patrick Balkany, qui se montrait casanier par peur d’une photo volée, Claude Guéant ne se prive pas de prendre l’air, d’autant que « ses médecins préconisent pour son état de santé de longues marches », explique son avocat. Me Bouchez El Ghozi rappelle que l’ex-secrétaire général de l’Élysée, qui a fêté entre les murs ses 77 ans, a récemment été opéré du cœur.
Le même déplore qu’en promenade, Claude Guéant croise l’un des détenus « atypiques » dont le placement en « vulnérables » peut être requis. Il s’agit en l’occurrence de Zaheer Hassan Mahmoud, qui avait grièvement blessé au hachoir deux personnes devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, en septembre 2020. « Ils ne se retrouvent pas dans la cour ensemble », dément toutefois une source interne à la Santé, quand l’administration pénitentiaire refuse de communiquer sur ce point précis « pour raisons de sécurité. »
Me Bouchez El Ghozi maintient pour sa part les déclarations de son client, et s’offusque de ce mélange des genres. « Jusqu’à ce jour, nous n’avons jamais connu le moindre problème au quartier personnes vulnérables », rassure Mathias Da Conceçao Dos Santos.
Si les avocats peuvent demander que leur client soit placé là, in fine, c’est toujours l’administration pénitentiaire qui décide, en gardant en toile de fond le critère de « la protection des détenus », explique-t-elle. Ainsi, le rappeur Sadek, incarcéré pour avoir passé à tabac le blogueur Bassem Braiki, avait dû être placé en QPV après avoir été menacé par des détenus fans de sa victime.
En Île-de-France, un autre rappeur, MHD, avait d’abord été détenu au QPV de la Santé avant de rejoindre la détention ordinaire à sa demande. Quant à ses collègues Kaaris et Booba, le premier avait purgé sa peine à Fleury-Mérogis (Essonne) en détention classique, quand le second était incarcéré au QPV de Fresnes (Val-de-Marne).
C’est que, en France, chaque établissement ou presque dispose de son QPV, quand bien même aucun n’est aussi célèbre que celui de la Santé. Sous responsabilité du parquet d’Évreux, Patrick Balkany pourrait ainsi faire faux bond à Paris. Toujours un peu VIP, mais cette fois peut-être à Rouen (Seine-Maritime).