Une réunion de l’Amitié judéo-chrétienne de Strasbourg a été infiltrée, jeudi 3 février, par des internautes qui ont diffusé des images pornographiques et prononcé des injures antisémites. Ce type d’incident, récurrent depuis le début de la pandémie et l’utilisation massive des visioconférences, vise régulièrement la communauté juive.
« Très vite après le début de la conférence, des images pornographiques sont apparues sur l’écran et des individus ont crié des insultes antisémites. Je me souviens avoir entendu “un bon juif est un juif mort” et “mort aux juifs” », témoigne un participant à une réunion en ligne de l’Amitié judéo-chrétienne (AJCF) de Strasbourg, organisée par plusieurs membres de la communauté juive, jeudi 3 février.
Cette conférence privée, retransmise en direct sur Internet via la plateforme Zoom, a été la cible d’une infiltration de plusieurs individus, qui a contraint les organisateurs à cesser la diffusion avant de la reprendre sur un autre lien.
L’incident n’est pas isolé, comme l’a souligné sur Twitter Émile Ackermann, le mari de Myriam Ackermann-Sommer, organisatrice de la conférence. « C’était choquant et violent pour les participants », relève-t-il, alors que de nombreux incidents similaires lui ont été rapportés ces dernières années.
Le « Zoombombing », une intrusion virtuelle violente
Baptisé « Zoombombing », ce procédé d’infiltration est utilisé par des internautes pour perturber des réunions en visioconférence, par l’intrusion d’une ou plusieurs personnes au sein d’échanges. Ce phénomène, qui s’est développé et amplifié depuis l’utilisation massive de la plateforme de visioconférence, dans un contexte de confinement lié à la pandémie, semble viser régulièrement la communauté juive.
Tali Trèves-Fitoussi, cofondatrice de Kol-elles.com, en a elle aussi été victime l’année dernière, lors de la soirée de clôture d’un programme d’études intensives qu’elle avait mis au point avec Myriam Ackermann-Sommer. « Nous avions commencé la réunion et très vite il y a eu du contenu pornographique et quelqu’un qui faisait des gestes obscènes », témoigne Tali Trèves-Fitoussi. « Choqués, nous avons arrêté puis recommencé sur autre lien Zoom, mais beaucoup moins de gens se sont connectés », poursuit-elle.
Les internautes responsables de ces intrusions réussissent en général à se procurer les adresses permettant d’accéder à la réunion, directement sur Internet. Tali Trèves-Fitoussi avait par exemple publié le lien sur Twitter, tandis que l’AJCF de Strasbourg avait communiqué sur la conférence de jeudi 3 février à travers le site Internet d’un journal local.
Poursuites pénales difficiles
Face à ce phénomène, la plateforme Zoom a elle-même mis en place, en novembre 2020, des outils pour faciliter l’expulsion de certains participants d’une réunion, la suspension de la visioconférence ou encore le blocage d’un individu malveillant. Mais, comme le déplore Émile Ackermann, « un individu mal intentionné pourra toujours y avoir accès ».
Si un Observatoire de la haine en ligne a également été créé l’année dernière par le Comité supérieur de l’audiovisuel (CSA, devenu Arcom), pour lutter contre ces pratiques, les poursuites pénales restent relativement compliquées. Gabriel Abensour, cofondateur du centre d’études juives Ta Shma, avait porté plainte après la diffusion d’images à caractère pédopornographique lors d’une conférence de commémoration de la Shoah, pendant le témoignage d’une rescapée. « Nous avons essayé de trouver les coordonnées de l’auteur mais c’était quasi impossible, explique-t-il. J’avais l’enregistrement pour déposer plainte en Israël mais je n’avais pas de nom, la personne n’avait qu’un pseudonyme. »
Parfois, face au manque d’éléments pour étayer leur plainte, les victimes renoncent à avoir recours à la justice. « Je ne connais pas ces gens, je ne sais même pas s’ils sont antisémites ou s’ils ont juste envie de perturber les réunions par pure méchanceté », déplore Tali Trèves-Fitoussi, qui n’a pas souhaité déposer plainte après l’incident de l’année dernière.
« Je pense qu’il y a plusieurs motivations à ces interventions », estime Émile Ackermann. « Il y a probablement un motif antisémite d’occuper l’espace. Pour crier sa haine des juifs, c’est plus simple (d’infiltrer des réunions Zoom) que d’accéder à une synagogue par exemple », poursuit-il.
L’historien Marc Knobel (1) qualifie le procédé d’intrusion informatique de « provocation systématique », dont sont aussi victimes d’autres communautés. « Le but, pour ceux qui commettent ce genre de provocation, est justement de s’affirmer et d’affirmer leur haine », analyse-t-il. L’Amitié judéo-chrétienne de Strasbourg, qui a pu garder l’enregistrement de la conférence de jeudi, a déposé plainte.
(1) Auteur de Cyberhaine. Propagande et antisémitisme sur Internet, Éd. Hermann, juin 2021.
Juliette Paquier