Moquée quand elle a pris la présidence de la Commission des lois, la députée LREM a fini par convaincre de sa compétence, y compris dans l’opposition.
Qui l’eût cru ? Voilà qu’on se bouscule pour dire du bien de Yaël Braun-Pivet, 51 ans, députée LREM des Yvelines. Sur tous les bancs de l’Assemblée nationale, on salue la sympathique, la bienveillante, voire la compétente présidente de la commission des lois. Celle-là même que l’on traitait de cruche quand elle a débarqué au Parlement, dans le troupeau des candides marcheurs. Cible de menaces et d’insultes antisémites en marge des débats sur la politique sanitaire, elle reçoit le soutien unanime de ses collègues. «S’il est réélu, Macron la fera ministre», spécule un membre du gouvernement. A voir. Il est certain, en attendant, qu’elle termine ce quinquennat sur un petit nuage, en bien meilleure forme qu’elle ne l’avait commencé. En macronie, tout le monde ne peut pas en dire autant…
«Faut dire que je partais de très bas !» proteste-t-elle dans un éclat de rire, avec ce regard joyeux qui semble ne jamais la quitter. C’était, il est vrai, assez mal parti. Elue à la surprise générale présidente de la prestigieuse commission des lois en juin 2017, elle a dû subir un féroce procès en incompétence. Moins d’un mois après sa prise de fonction, un écho vachard du Canard suggérait que la nouvelle élue, par ailleurs avocate pénaliste, ne faisait pas la différence entre une loi et un décret ; un autre, ce même été, racontait qu’elle entendait prendre ses mercredis pour s’occuper de ses enfants. Ainsi moquée, elle était l’incarnation de l’imposture macroniste, portée par une majorité d’amateurs, recrutés dans un improbable vivier de candidatures internet. Voyant venir «une catastrophe», certains à l’Elysée regrettaient d’avoir laissé faire une erreur de casting.
De mémoire de parlementaire, jamais un primo-arrivant n’avait accédé à ce poste, traditionnellement confié à des parlementaires très expérimentés. Mais dans l’euphorie du nouveau monde, les députés LREM ont préféré cette inconnue à ses concurrents mâles, plus capés qu’elle. «Je leur ai parlé avec mon cœur, très marcheuse», se souvient Yaël Braun-Pivet. Elle a raconté son parcours de mère de cinq enfants, engagée contre l’exclusion dans sa circonscription, à Sartrouville où elle a ouvert un Resto du cœur. «Du concret, de la bienveillance, j’étais comblée sur le plan humain», raconte-t-elle. A l’automne 2016, elle est emballée par le message de Macron. «Le dépassement ? J’en faisais l’expérience tous les jours aux Restos, avec des bénévoles venus d’univers très différents, des gens très à gauche, d’autres très à droite.»
Elle y va au culot, avec un curieux mélange d’assurance et d’humilité. A 26 ans, avocate débutante, elle se pose dans un couloir du palais de justice devant le célèbre pénaliste Hervé Temime pour lui fourguer son CV. Elle veut rejoindre son cabinet. Pas de réponse. Elle revient à la charge. Finit par y arriver. Temime se souvient d’une débutante «solaire», «extrêmement positive». Il se souvient aussi de sa surprise, une petite décennie plus tard, quand la trentenaire lui annonce qu’elle s’expatrie en Asie pour suivre son mari, cadre sup chez L’Oréal. Une femme sacrifiant sa carrière pour suivre son conjoint ? Yaël Braun-Pivet parle avec enthousiasme de ces années au Japon où sont nés ses deux derniers enfants. Elle adore ce pays «d’une beauté incroyable, d’un raffinement fou». Au Vésinet, dans la maison familiale meublée à la japonaise, il n’est pas rare qu’elle cuisine pour sa tribu les traditionnelles nouilles sautées yakisoba.
Ni pratiquante ni croyante, elle célèbre en famille les fêtes juives, comme le faisait son père, modeste salarié d’une entreprise d’affichage publicitaire et surtout son grand-père, tailleur juif polonais qui, fuyant l’antisémitisme, s’est réfugié à Nancy dans les années 30. C’est à ce grand-père résistant et à sa famille décimée que la députée pense le 18 février 2021, quand elle décide de rendre public sur son compte Twitter le message qui vient de tomber dans sa boite mail : «Youpine, prépare-toi, bientôt les camps à nouveau.» A l’Assemblée, le président de la séance suspend les travaux. Des membres de la commission des lois prennent la parole pour dire leur dégoût et leur solidarité avec la députée visée. «Notre présidente», disent-ils tous, y compris des leaders de l’opposition comme Eric Ciotti (LR) ou Danièle Obono (LFI). Cet adjectif possessif, Yaël Braun-Pivet l’entend avec émotion, comme l’aboutissement de ses efforts pour «plus de collégialité».
Grande bûcheuse, elle apprend et questionne sans retenue sur la très complexe machinerie du Parlement. Un administrateur de l’Assemblée dit le plaisir de travailler à ses côtés : «Elle arrive le matin, c’est comme une chanson de France Gall. ça donne envie de positiver.» A Versailles, le préfet des Yvelines Jean-Jacques Brot, pas vraiment d’un naturel flagorneur, n’est pas moins enthousiaste : «Je l’ai vue acquérir une épaisseur politique et professionnelle incontestable. Elle a appris le métier, su développer un rapport profond et agréable avec beaucoup de gens.» Il salue, lui aussi, sa capacité à «poser les questions sans fausse pudeur».
N’en jetez plus ! Pour les besoins de ce portrait, qui n’a pas vocation à être un panégyrique, on a sollicité quelques bonnes volontés susceptibles de livrer des critiques bien senties. On s’est naturellement tourné vers Guillaume Larrivé, le député LR qui s’est durement opposé à elle en juillet 2018 en tant que corapporteur de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla. L’entreprise avait tourné au fiasco après que Braun-Pivet a refusé de convoquer les proches de Macron. «Elle était totalement aux ordres», rappelle Larrivé. Pour le reste, il apprécie cette «chouette collègue», qui a «gagné en indépendance et en épaisseur personnelle».
Elle n’hésite pas, de fait, à s’écarter des positions du gouvernement : on l’a vue protester contre la «commission» d’experts censée procéder à la réécriture de l’article 24 de la loi sécurité globale et elle était à la manœuvre, avec l’opposition, pour exempter les 12-15 ans du pass vaccinal. «Je la sais parfois plus proche de mes préoccupations que de celle de la majorité», applaudit le député LR Philippe Gosselin. Autre membre de ce fan-club LR inattendu, Eric Ciotti, toujours féroce sur la macronie, fait une exception pour la «très sympathique» députée des Yvelines.
Comblée par son aventure de parlementaire, elle a bien l’intention de briguer un deuxième mandat en juin. Si Macron perd, serait-elle candidate pour siéger dans l’opposition ? «Oui», répond-elle sans hésiter. Dans la 5e circonscription des Yvelines, elle aura face à elle Alexandra Dublanche, une très proche de Valérie Pécresse à qui l’on prête des qualités – bûcheuse, empathique – assez semblables aux siennes. La bataille s’annonce serrée. Incorrigible, Yaël Braun-Pivet voit venir «un beau combat, respectueux».
1970 Naissance à Nancy. 1996 Intègre le cabinet d’Hervé Temime. 2016 Ouvre un resto du cœur à Sartrouville. 2017 Présidente de la commission des lois. 2022 Candidate à sa réélection dans la 5e circonscription des Yvelines.