Maram Stern, vice-président du congrès juif mondial, lance un appel au président Emmanuel Macron pour porter en France et en Europe, à l’occasion de la PFUE, le combat contre l’antisémitisme. Voici sa tribune.
« Le 1er janvier, Paris a pris pour six mois la présidence de l’Union européenne. Je voudrais appeler la France, pays de la plus grande communauté juive d’Europe, à faire de la lutte contre l’antisémitisme une priorité de cette présidence. Mais pour combattre efficacement l’antisémitisme, il faut résister à la tentation, bien française, de n’y voir que l’un des visages du racisme. Cette confusion répond à la volonté, louable, de combattre d’un même geste les discriminations religieuses et racistes – elles qui portent souvent sur les mêmes victimes.
Elle n’en est pas moins dangereuse : confondre l’antisémitisme et le racisme, c’est se priver d’y apporter des réponses adaptées. Et c’est oublier les différences irréductibles qui existent entre deux phénomènes que la littérature scientifique n’assimile jamais. Je voudrais ici en rappeler certaines.
Le racisme comme l’antisémitisme dévalorisent, voire nient leurs victimes dans leur humanité même. Mais là où le raciste juge les personnes racisées primitives, violentes, inintelligentes, et somme toute inadaptées au monde civilisé, l’antisémite nourrit des préjugés presque diamétralement opposés. La haine antisémite, elle, se fonde en effet sur la figure d’un Juif surpuissant, tirant les ficelles de nos sociétés. Manipulant les événements du monde pour son propre profit, moral – puisqu’il sert le Mal – et financier, le Juif est une figure diabolique.
De là découlent des craintes elles aussi presque opposées. La menace, pour le raciste, vient d’en bas. Le mélange avec les personnes racisées, dans l’habitat, au travail, ou même dans les gènes, est craint sur le mode de l’invasion et du remplacement. Le raciste redoute en fait une dégradation de son propre statut. C’est pourquoi le racisme est surtout investi par les discours populistes, en particulier d’extrême droite, et moins ouvertement toléré dans les milieux bourgeois.
Dans l’antisémitisme, la menace vient d’en haut. Soupçonnant les Juifs de contrôler des pans entiers de la société, comme l’économie ou les médias, l’antisémitisme est mâtiné de complotisme. Cette prétendue emprise des Juifs sur nos sociétés le légitime jusque dans les classes sociales les plus élevées ; et la haine des Juifs semble dès lors la chose la mieux partagée du monde, traversant toutes les tendances politiques, toutes les croyances et même tous les niveaux d’éducation pour désigner un ennemi commun.
Dans ce contexte, les propos antisémites restent souvent impunis. Pis encore, quand les Juifs les dénoncent, ils sont accusés de fuir la critique, de manipuler l’opinion, de tenir des discours victimaires. Certains vont jusqu’à relativiser, voire nier la Shoah – jusqu’au délire de prétendre que les Juifs auraient initié la guerre pour obtenir des réparations financières et la création de l’Etat d’Israël.
Alors que nous venons de commémorer ce 27 janvier les victimes de la Shoah, il faut redire à quel point toute relativisation de son horreur est une violence inacceptable à leur égard et envers toute la communauté juive. Rien ne peut atténuer la réalité de la Shoah, de 6 millions de Juifs mis à mort par le régime national-socialiste. Cette histoire unique en Europe nous dit tout le danger de l’antisémitisme, lorsqu’il est banalisé et manipulé pour fonder un ordre fasciste – danger pour les Juifs, pour la démocratie, et pour l’humanité.
Ce danger demeure bien réel. En 2019, la France a connu une vague d’attaques et d’agressions antisémites qui ont conduit le président Emmanuel Macron à s’engager à agir avec force. Depuis, la justice a dû prendre des mesures contre les personnes et associations qui remettent en cause l’existence de l’Etat d’Israël. Et, depuis bientôt deux ans, la crise économique et sanitaire ainsi que l’insécurité grandissante voient renaître les vieux réflexes de boucs émissaires, dont les Juifs sont les premières victimes.
Plus que jamais, il nous faut entendre cet avertissement, et, loin d’assimiler racisme et antisémitisme, prendre des mesures spécifiques contre ce phénomène unique qu’est la haine des Juifs. J’appelle donc le président Macron à honorer ses engagements et à porter, en France et en Europe, le combat contre l’antisémitisme sous toutes ses formes. »