L’ex-journaliste et ancien proche collaborateur de l’ancien premier ministre et de sa famille a témoigné en justice contre son ancien maître.
Sous peu, Nir Hefetz retombera dans l’anonymat. Depuis trois ans, ce personnage de cinquième rang dans la comédie du pouvoir israélienne se trouve malgré lui sur le devant de la scène. En mars 2018, il a accepté de témoigner en justice contre son ancien maître, l’ex-premier ministre Benyamin Nétanyahou, poursuivi pour abus de confiance, corruption et fraude. Fin décembre 2021, cet ancien journaliste devenu communicant au service de M. Nétanyahou et de sa famille a achevé de comparaître. Au terme de cinq semaines d’audience, la presse est lasse de lui.
Cette semaine, les juges se penchent une dernière fois sur son cas : ils ont entendu, lundi 10 janvier, les policiers qui l’ont interrogé en 2018, et qui l’ont convaincu de témoigner à charge. M. Hefetz a comparé leurs méthodes à celles qu’emploie le Shin Bet (le service de renseignement intérieur) sur les détenus palestiniens des territoires occupés. Il avait été choqué de croiser dans les couloirs du quartier général de la police une femme dont il était proche, convoquée par les enquêteurs, puis son épouse. Les policiers lui avaient assuré que sa famille était « en danger existentiel ». Mardi, l’un d’eux a affirmé aux juges, en partie sous le sceau du secret, que ces procédures n’avaient rien de « spécial ».
Avant que M. Hefetz ne s’efface, il est utile de s’attarder sur ce témoin-clé d’un procès inédit à tous les égards, qui a vu un premier ministre ferrailler contre la justice durant trois ans, jusqu’à sa chute en juin 2021, et qui tiendra encore longtemps occupé M. Nétanyahou, désormais chef de l’opposition. M. Hefetz, 57 ans, double à l’occasion ses petites phrases de regards appuyés, sourire pincé, menton fuyant, aux journalistes qui assistent aux audiences. Il fut l’un des leurs et les méprise – « un gang de gauchistes », dit-il.
Sans opinion politique connue, il admet avoir été un journaliste aux ordres de ses propriétaires : Arnon Mozes, patron du grand quotidien Yedihot Aharonot et ennemi juré de M. Nétanyahou, également poursuivi pour corruption dans ce procès. Puis l’investisseur Nochi Dankner, qui racheta le quotidien Maariv, avant d’être condamné pour blanchiment.
L’obsession des médias de Nétanyahou
M. Hefetz est passé au service de M. Nétanyahou dès 2009, puis de 2014 à 2017. Ex-conseiller, communicant, porteur de messages, il s’étend complaisamment sur l’obsession des médias qui guide, selon lui, M. Nétanyahou. Sur sa « folie du contrôle » de la presse. Sur les heures passées à l’écouter opposer « eux » – la presse ennemie – et « nous » – la droite. Sur ses efforts pour placer des chroniqueurs loyaux dans les quotidiens du pays. Sur ses voyages chez des milliardaires étrangers, que M. Nétanyahou espérait convaincre de créer une Fox News israélienne, ou d’investir dans des médias qui serviraient sa cause : l’Australien Rupert Murdoch, l’Américain Larry Elison, l’homme le plus riche du Royaume-Uni Len Blavatnik (qui a acheté des parts dominantes dans la petite chaîne 13), et Mathias Döpfner, le patron du groupe de presse allemand Axel Springer.
Lui qui eut accès comme peu de confidents à la résidence du premier ministre proclame encore son attachement à l’épouse de M. Nétanyahou, Sarah, et à son fils Yaïr. Mais il en a dressé un portrait pathétique, tout de colère et de vanité, en égrenant les demandes « par centaines » que la mère et le fils lui ont transmises, afin qu’un titre ou une légende de photographie soient modifiés sur le site d’information Walla, qui leur a longtemps accordé une couverture complaisante.
Il a affirmé avoir perdu confiance dans le jugement de M. Nétanyahou à l’été 2017. L’ex-premier ministre avait alors tardé à faire retirer des portiques installés par la police aux entrées de l’esplanade des Mosquées, le troisième lieu saint de l’islam à Jérusalem, qui suscitaient des émeutes. Selon M. Hefetz, le premier ministre avait résisté aux conseils unanimes de ses responsables de sécurité pour complaire à son fils, agitateur très présent sur les réseaux sociaux. « Cela aurait pu provoquer des milliers de morts », a-t-il souligné.
Pour la presse, tous ces détails font des titres plus ou moins juteux. Pour l’opinion, ils ne comptent guère : les avis sur M. Nétanyahou et ses proches ont de longue date sédimenté. Ce ne sont pas les minutes d’un procès-fleuve qui changeront cet équilibre. Quant à la justice, elle aura du mal à tirer une conclusion claire de ce témoignage.
M. Nétanyahou n’a jamais perçu ses actes comme illégaux
Les juges voulaient avant tout entendre M. Hefetz sur le dialogue « inconvenant », dit-il, qu’il a facilité entre M. Nétanyahou et l’ancien propriétaire du site Walla, Shaul Elovitch.
Trois mois après les élections législatives de 2015, durant lesquelles le site avait tressé des lauriers au premier ministre et à ses proches, de nouvelles réglementations promues par le gouvernement avaient permis à M. Elovitch une opération profitable : la fusion de son opérateur téléphonique Bezeq et de son groupe Yes, fournisseur de chaînes de télévision par satellite.
Cela constitue-t-il un échange de faveurs ? M. Hefetz affirme – et ce n’est que son avis – que M. Nétanyahou n’a jamais perçu ses actes comme illégaux. Son témoignage est certes gênant pour la défense. Mais il ne paraît pas de nature à faire pencher la balance.
Les juges pourraient être contraints d’évaluer si le faisceau d’accusations tressé par le procureur justifie une condamnation, quand bien même aucune n’y suffirait à elle seule. L’accusation doit encore faire comparaître deux témoins-clés. Ex-collaborateurs eux aussi de M. Nétanyahou, ils ne sont pas des mercenaires comme M. Hefetz, mais des hommes de droite convaincus, des partisans de longue date. On peut douter qu’ils aient le même désir de se répandre, ni son goût des petites phrases assassines.