Les jours prochains vont sortir la BD « Après la rafle », d’Arnaud Delalande et de Laurent Bidot et « Souvenirs du rivage des morts » de Michaël Prazan, à ne rater ni l’un ni l’autre.
Après la Rafle
La BD « Après la rafle » sera dévoilée à l’Abbaye de l’Epau, près du Mans (Sarthe) mercredi 19 janvier 2022. Elle retrace la vie de Joseph Weismann, évadé d’un camp en 1942.
80 ans après la rafle du Vél d’Hiv, le destin de Joseph Weismann est le sujet d’une bande dessinée qui sera présentée au grand public à l’Abbaye royale de l’Epau, à Yvré-l’Evêque (Sarthe), mercredi 19 janvier 2022.
A l’âge de 11 ans, Joseph Weismann s’est retrouvé au camp de Beaune-la-Rolande après avoir été arrêté avec sa famille par les autorités françaises lors de la rafle du Vélodrome d’Hiver, en juillet 1942. Il est l’un des rares rescapés sur plus de 13 000 juifs arrêtés.
Il est séparé de ses parents et de ses sœurs, déportés à Auschwitz. Avec un autre Joseph, il parvient à s’échapper du camp en détricotant les barbelés pendant 6 heures, près du mirador. « Il y a trois hypothèses : où il dormait, où il ne nous a pas vus, où il n’a pas voulu nous voir », relate Joseph Weismann.
Recueilli par un orphelinat, son directeur finit par l’envoyer en Sarthe alors que les deux Joseph étaient recherchés. « Ils recherchaient les deux Joseph passés à travers les mailles ». Il arrive à Montfort-le-Rotrou où il reste caché jusqu’à la Libération. Il atterrit dans un orphelinat du Mans où le directeur, qui l’appelait « le farfadet », le confie à une famille. « Voilà comment je suis devenu Manceau ! »
Joseph Weismann a fait part de son enthousiasme à l’égard de la transposition de sa vie en bande dessinée. « J’ai été surpris car je pensais que la bande dessinée s’adressait aux élèves mais j’ai appris qu’il y avait une clientèle adulte très importante », a-t-il réagi, enthousiaste. « Aujourd’hui, il me reste à témoigner. Et quel meilleur véhicule que celui-ci que vous nous apportez là ! »
« C’est rare de pouvoir se saisir d’un objet comme celui-là », met en évidence Arnaud Delalande, scénariste de la BD. « C’est aussi un soutien pédagogique de passeur, de transmission des mémoires. C’est un témoignage qui va parler au plus profond de l’âme humaine. On voulait retranscrire l’histoire vécue à hauteur d’enfant. »
Si une partie du livre évoque la Shoah, la seconde explore la vie après l’horreur, sur la manière dont on peut vivre avec ce passé. Joseph Weismann a par exemple dû se battre pour obtenir la nationalité française : « ça, je n’aurais jamais lâché! », s’exclame-t-il.
Arnaud Delalande et de Laurent Bidot, Après la rafle, ed Les arènes, sortie le 27 janvier
Souvenirs du rivage des morts
Dans un roman haletant, Michaël Prazan nous plonge dans la grande époque du terrorisme international des années 70. En apparence, M. Mizuno est un retraité japonais sans histoire, un grand-père comblé et aimant. Qui pourrait imaginer qu’il s’appelle en réalité Sanso Yasukazu et que cet ancien activiste de l’Armée rouge japonaise a de nombreux morts sur la conscience ? Dès qu’il ferme les yeux, allongé au bord de la piscine où barbotent ses petits-enfants, dans un grand hôtel de Bangkok, les souvenirs affluent, des visages reviennent le hanter. Ceux des victimes des attentats auxquels a participé son organisation, louée pour sa discipline militaire et le sens du sacrifice de ses membres, à l’aéroport de Lod-Tel Aviv en 1972 ou au drugstore Saint-Germain à Paris en 1974. Mais surtout les purges terribles dont furent victimes ses camarades de lutte pendant l’hiver 1970 et 1971.
Un matin, il croise le regard d’un touriste allemand dans le hall de l’hôtel. Pas de doute, c’est «Angie», un militant de la Fraction armée rouge qu’il a connu dans un camp d’entraînement du Front de libération de la Palestine (FPLP) à Beyrouth. Lors d’une opération en Israël, 27 civils égorgés dans leur sommeil, Angie lui avait confié ses doutes : «A Francfort, dans les manifs, on criait “Auschwitz, plus jamais !” et regarde-moi aujourd’hui : je passe mon temps à faire des saloperies pour dézinguer des juifs, comme si ce qu’ils ont subi pendant la guerre n’avait pas suffi.» La rencontre fortuite avec l’Allemand pousse Sanso, encouragé par sa belle-fille qui nourrit depuis longtemps des doutes sur sa véritable identité, à faire face à son passé. Le plus terrible, c’est ce qui s’est passé dans les montagnes de Nagano, où 12 militants accusés de déviance seront mis à mort par le groupe après un simulacre d’autocritique. Parmi eux, la belle Toyama. La dirigeante de l’organisation poussera la cruauté jusqu’à l’obliger à se frapper elle-même le visage, à s’auto-assassiner.
Comment passe-t-on de la révolte contre le père – nazi, fasciste ou collabo – au terrorisme ? Ce pourrait être le sous-titre de ce thriller politique de Michaël Prazan, auteur de nombreux films et livres sur les crimes de masse qui ont ensanglanté le XXe siècle. Comment des jeunes gens idéalistes, qui dénonçaient les crimes de leurs pères – celui du narrateur a participé au massacre de Nankin – ont-ils pu devenir à leur tour des assassins ? Ce retournement est au cœur de ce roman haletant, servi par une écriture au couteau qui plonge le lecteur dans la grande époque du terrorisme international des années 70. On y croise Carlos, rejugé à l’automne pour l’attentat du drugstore, les membres de la «bande à Baader», des agents de la DST et les fedayin du FPLP, qui ont eu l’intelligence de donner à leur lutte nationale un vernis marxiste révolutionnaire et internationaliste, falsification qui fera venir à eux des étudiants en mal d’action violente après le reflux du mouvement contestataire.
Vingt ans que Prazan mûrissait ce roman, inspiré de ses rencontres avec d’anciens activistes de l’Armée rouge et des cinéastes du mouvement Pink, au Japon, où il a vécu au début des années 2000, mais aussi de longues discussions avec Hans-Joachim Klein, un repenti de la bande à Baader qui inspire le personnage d’Angie. Souvenirs du rivage des morts, qui fait écho aux Souvenirs de la maison des morts de Dostoïevski, aurait aussi bien pu s’appeler «les Possédés» en ce qu’il décrit le poids aliénant de l’idéologie qui conduit un Japonais qui ne sait même pas placer Israël sur la carte à participer à une opération kamikaze contre l’occupant «sioniste». Comme son personnage qui se retourne sur sa «route pavée de cadavres et de désolation», Michaël Prazan est hanté par ce passé qui ne passe pas, ces crimes de masse du siècle d’Auschwitz dont son père a réchappé de peu, comme il l’a raconté dans la Passeuse (Grasset). Du massacre de Nankin, fil rouge sang de ce roman, aux exécutions des Einsatzgruppen («commandos mobiles de tueries») auquel il a consacré un documentaire magistral visible sur Netflix, en passant par la terreur stalinienne, l’écrivain, essayiste et réalisateur poursuit ici sa quête inlassable : expliquer, à défaut de pouvoir jamais la comprendre, cette folie meurtrière collective dont nous ne sommes ni indemnes ni vraiment sortis.
Michaël Prazan, Souvenirs du rivage des morts, éd. Rivages, 363 pp., 20 €. Sortie le 14 janvier.