L’acteur incarne dans «Adieu Monsieur Haffmann», qui sort ce mercredi 11 janvier, un homme qui se révèle soudain monstrueux pendant l’Occupation. Rencontre.
Comment un homme ordinaire peut-il devenir, dans des circonstances exceptionnelles, un monstre ? C’est cette métamorphose qu’incarne Gilles Lellouche, avec une ambiguïté puis une violence impressionnantes, dans « Adieu Monsieur Haffmann » qui sort ce mercredi. Dans ce thriller historique de Fred Cavayé adapté d’une pièce de théâtre, qui se déroule en 1941 à Paris, le comédien joue François Mercier, un employé de bijouterie qui doit cacher dans la cave Monsieur Haffmann, son patron juif… Gilles Lellouche nous parle de ce rôle qui l’a hanté pendant plusieurs mois.
Comment vous êtes-vous retrouvé à incarner le « salaud » de « Adieu Monsieur Haffmann » ?
GILLES LELLOUCHE. Fred Cavayé m’a appelé en me disant qu’il écrivait un film sur la Seconde Guerre mondiale et qu’il pensait à moi pour un rôle âpre, particulier. Quelques semaines après, il m’a dit que Daniel Auteuil avait accepté d’y jouer. Le projet est donc arrivé comme un paquet-cadeau ! J’ai trouvé le script d’une efficacité redoutable, avec son côté thriller, son horlogerie très précise. Et je pense qu’il est nécessaire de parler de cette période sombre de l’Histoire et de la façon dont certains hommes ordinaires sont devenus des monstres.
Au début du film, votre personnage est justement un type ordinaire…
C’est même un type bien, avec un certain courage. Mais à partir du moment où il va prendre l’ascenseur social, son aigreur et la revanche qu’il couve vont le conduire à devenir monstrueux… On n’est jamais prêt à sortir de son statut de manière rapide et violente. Même si ce n’est pas comparable avec l’histoire de ce film, je l’ai constaté à l’échelle de mon métier : moi, si j’avais eu un succès foudroyant à 27 ans, je pense que je serais devenu complètement fou.
Le tournage d’« Adieu Monsieur Haffmann » s’est déroulé presque intégralement en studio, puis a été interrompu par le confinement en mars 2020 et a repris dans des conditions sanitaires drastiques. Vous l’avez vécu comme un parcours du combattant ?
Oui, c’était très, très étrange. D’habitude, je déteste tourner en studio, mais jouer avec Daniel Auteuil, qui est d’une telle générosité et d’une telle humilité, était magique et Sara Giraudeau est une partenaire exceptionnelle. Ce qu’on n’avait pas en mouvement, on le compensait par le jeu. Par ailleurs, je ne m’étais jamais senti « hanté » par un personnage au point d’avoir du mal à en sortir. Mais ce François Mercier, je me suis retrouvé en huis clos avec lui pendant deux mois et demi. Quand je dînais, il me regardait de l’autre bout de la table comme un spectre.
Votre père était un juif d’Algérie. Cela a-t-il eu un impact sur votre approche du film ?
Mon père était juif et ma mère est catholique. J’ai donc baigné dans les deux univers et j’ai un grand respect pour ceux qui pratiquent une religion, du moment qu’ils ne font pas de prosélytisme. J’ai toujours été sensible à l’antisémitisme, surtout celui qui couve, qui est latent : c’est le plus dangereux.
Depuis début 2020, vous avez tourné dans cinq films (« Adieu Monsieur Haffmann », « Goliath », « Kompromat », « Astérix et Obélix : L’Empire du Milieu » et « Incroyable mais vrai ») et vous vous apprêtez à en tourner deux nouveaux. Est-ce que depuis le succès du « Grand Bain », que vous avez réalisé en 2018, vous recevez plus de propositions ?
Je me sens extrêmement chanceux parce que je fais ce métier comme je rêvais de le faire : en me baladant d’univers en univers, en changeant de genres et de registres. C’est une telle liberté ! Il y a un cinéma d’auteur qui vient vers moi alors que ce n’était pas le cas avant. Je pense qu’en voyant « Le Grand Bain », certains qui me voyaient comme le bon copain un peu beauf des « Petits mouchoirs » m’ont perçu différemment. On me prenait pour un autre et « Le Grand Bain » m’a permis de dire qui j’étais. Et puis, au même moment est sorti « Pupille » de Jeanne Herry (dans lequel il incarne un travailleur social). La concomitance de ces deux films a dissipé un malentendu.
Les rôles que vous recevez aujourd’hui sont plus en adéquation avec ce que vous êtes et avec le cinéma que vous aimez ?
Oui, beaucoup plus. Petit à petit, j’ai aiguisé mes goûts. Quand j’ai commencé ma carrière, je n’étais pas naturellement exigeant. Je ne viens pas d’une famille où on allait quatre fois par semaine au théâtre et où on était abonné à Télérama et quand on me proposait un rôle, c’était déjà un miracle pour moi ! Mais au-delà de mes goûts, ce qui détermine mes choix, c’est aussi l’envie de me confronter à ce que je n’ai pas encore fait : le trac, c’est un moteur extraordinaire.
« Adieu Monsieur Haffmann » sort dans un contexte sanitaire difficile, alors que plusieurs films ont été reportés…
J’étais très sceptique sur l’opportunité de sortir « BAC Nord » en août et l’histoire m’a donné tellement tort que je n’ai plus d’avis. J’ai peur qu’avec le confinement, les gens aient changé leurs habitudes en se tournant vers les plates-formes et qu’ils ne se déplacent plus au cinéma que pour les films spectaculaires comme « Dune », « Spider-Man »… ou « BAC Nord ». Il y a un public senior qui n’est pas complètement revenu en salles alors que les études ont montré qu’il n’y avait jamais eu de cluster dans les cinémas. D’ailleurs, s’il y a eu beaucoup d’aides financières pour le secteur, je trouve que la ministre de la Culture aurait dû mieux communiquer sur le fait qu’on ne risquait rien dans une salle de cinéma… Malgré tout cela, je reste optimiste : le plaisir du partage, de l’expérience collective de la salle, est incomparable.
Vous tournerez en septembre 2022 « L’Amour ouf », votre prochain film en tant que réalisateur…
Ce sera une histoire d’amour, comme une utopie, qui oscille entre le film de gangsters et la comédie romantique adolescente, avec des tableaux dansés, de la new wave, du rock, du funk, du rap. Avec mes coauteurs, on voudrait faire un film un peu aérien et joli parce qu’aujourd’hui, on manque cruellement de poésie.
Vous aurez 50 ans en juillet. Cela vous fait peur ?
Je me demande surtout comment j’en suis arrivé là. Ça a été tellement rapide entre les 40 et les 50 ans… Cela m’effraie pour l’avenir : si mon rapport au temps ne fait que se compresser, alors j’ai 60 ans vendredi !