L’Etat hébreu mise sur l’innovation pour affronter la hausse des températures, qui le touche déjà. Un pari économique, mais aussi diplomatique.
A la mi-novembre, alors que le thermomètre dépasse péniblement les 5°C à Paris, maillots de bain et lunettes de soleil s’imposent sur les plages de Tel-Aviv ; et le beach-volley est une activité comme une autre à la sortie du bureau. Il faut dire qu’à l’approche de l’hiver, la capitale économique israélienne avoisine encore les 30°C.
Idyllique vu de France, ce panorama inquiète au plus haut point les scientifiques israéliens : dans un rapport de 700 pages publié en fin d’année, ils alertent sur une hausse inédite des températures de 1,7°C dans l’Etat hébreu en trente ans. « Non seulement le changement climatique est déjà là, mais il accélère bien plus que prévu, pointe Yaron Ziv, chargé des questions de climat à l’université Ben Gourion. Un réchauffement à ce niveau va avoir des effets majeurs sur nos régions semi-désertiques et notre climat méditerranéen, il nous condamne à la désertification. » Alors, à Tel-Aviv, une fois les maillots de bain rangés, la lutte face à l’urgence climatique s’organise.
Extraire de l’eau potable à partir de l’air
Pour éviter la catastrophe, le pays mise tout sur son statut de « start-up nation » et sa spécialisation dans les nouvelles technologies. « Israël va contribuer à la lutte contre le changement climatique avec sa source d’énergie la plus précieuse : l’énergie et les cerveaux de ses citoyens », a ainsi lancé le chef du gouvernement Naftali Bennett, lui-même issu du milieu des start-up, lors de la COP 26 de Glasgow.
Chaque année, sur les bords de la Méditerranée, le bureau du Premier ministre organise le Smart Mobility Summit, une grande messe des sociétés de transport innovant. L’édition 2021 reflète le virage écologique pris par l’économie israélienne, où 10% des entreprises créées l’année dernière se consacrent entièrement au défi climatique. Biocarburants, panneaux solaires sur les voitures, agriculture connectée, autonomie des véhicules hybrides et électriques… Sur ce nouveau marché, Tel-Aviv déborde d’idées et d’ambitions. Watergen, une entreprise rachetée par le milliardaire Mikhael Mirilashvili en 2016, a créé un système capable d’extraire de l’eau potable à partir de l’air. En deux heures de route, avec un simple boîtier sur son toit, un conducteur peut récolter de quoi s’hydrater pour la journée. « L’eau produite est meilleure que celle du robinet, assure Netanel Benishai, un ingénieur de Watergen, en faisant goûter un échantillon du liquide recueilli. Au Moyen-Orient, nos ressources en eau deviennent un enjeu majeur, à la fois politique et économique. Nos innovations doivent s’adapter à ces nouvelles réalités. »
Le gouvernement israélien consacre tous les ans 5% de son PIB à la recherche et développement, ce qui le classe deuxième au monde dans ce domaine, juste derrière la Corée du Sud. « Investir dans une entreprise polluante n’a plus aucun sens économique aujourd’hui, c’est aller à rebours de l’histoire, insiste Sagi Dagan, vice-président de l’Israël Innovation Authority, une branche du gouvernement chargée de financer des entreprises innovantes. L’objectif du pays est d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, donc tout le secteur des nouvelles technologies doit s’aligner sur cette ambition, qui apporte par ailleurs de vraies retombées économiques. »
D’après la Banque mondiale, si le réchauffement climatique suit son cours, la région subira bientôt quatre mois de désertification chaque année. L’urgence concerne donc tout le Moyen-Orient, une zone qui, selon les scientifiques israéliens, se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète. Dans ce contexte, Israël profite de son savoir-faire technologique pour faire avancer sa diplomatie. En fin d’année, le gouvernement Bennett a signé un partenariat inédit avec la Jordanie et les Emirats arabes unis pour construire l’une des plus grandes fermes de panneaux solaires au monde. Située dans le désert jordanien, utilisant la technologie israélienne (et des financements émiratis), elle devrait fournir 2% de l’énergie annuelle de l’Etat hébreu à l’horizon 2030. Israël discute désormais d’un accord similaire avec l’Egypte. Rien de tel qu’une menace commune pour unir les ennemis d’hier.
Par Corentin Pennarguear