Présenté et commercialisé en 2007, l’iPhone, pionnier des smartphones, s’est imposé comme un objet du quotidien pour des millions de Français… qui en sont devenus accros.
« Ceci est une révolution ». Le regretté Steve Jobs ne croyait pas si bien dire en prononçant, le 9 janvier 2007, cette phrase devenue iconique de la marque à la pomme. Il y a 15 ans, la firme jusqu’alors connue pour ses iPod – des baladeurs numériques -, faisait une annonce fracassante en annonçant à San Francisco la sortie de son premier iPhone : le 2G. « Je me souviens très bien de ce jour. Nous étions au CES (plus célèbre salon dédié aux produits high-tech et à l’innovation numérique) et tout le monde ne parlait que de ça. Les organisateurs étaient obligés d’annoncer partout qu’Apple n’était pas présent, car tous les visiteurs voulaient voir cet iPhone », se rappelle Rafi Haladjian, pionnier de l’Internet en France et co-inventeur du lapin communicant Nabaztag.
Deux milliards d’appareils vendus et 33 modèles plus tard, celui qui ne disposait que d’un écran 3,5 pouces (contre 6,7 pouces pour le dernier iPhone 13) est venu bouleverser nos vies. « Même si certains objets, appelés assistants personnels, qu’on utilisait avec un stylet, avaient vu le jour, Apple a inventé la catégorie smartphone, considère Rafi Haladjian. Au départ, on le voyait comme un iPod qui faisait téléphone. Personne n’a anticipé que cela allait changer le monde, qu’il aurait une place de choix au Panthéon des technologies. Même pas Apple ».
Pourtant, la grande nouveauté de ce premier iPhone, c’est la mise en place d’un écran tactile, d’un navigateur Internet et d’un tout petit capteur photo. Vendu en France fin 2007, l’appareil ne rencontre pas tout de suite le succès d’aujourd’hui. « Il faut se rappeler qu’à cette époque, on payait Internet sur nos téléphones pour chaque clic ou mail reçu. De plus, ce téléphone ne recevait que la 2G et ne fonctionnait que chez Orange en France », se souvient Rafi, désormais à la tête de l’application audio Juice. À l’époque, chaque like (mention « j’aime ») sur les réseaux sociaux aurait coûté deux centimes, et passer une minute sur Instagram 1,50 euro s’est-il amusé à calculer.
Faire gagner du temps… tout en occupant le temps libre
C’est finalement l’arrivée de Free et ses bas prix, en 2012, puis du forfait Internet illimité qui vont vraiment participer à la popularisation de l’iPhone. « En 2007, seulement 42 % des foyers français avaient Internet chez eux, rappelle Catherine Lejealle, sociologue spécialiste du numérique et enseignante-chercheuse à l’ISC Paris. L’iPhone n’a pas participé seul au changement sociétal. L’avènement des réseaux sociaux et le développement des applications l’ont aussi accompagné et aidé ».
Aujourd’hui, en une poignée de secondes, on peut présenter son passe sanitaire pour entrer dans son train avec son billet numérique grâce à son iPhone. Une fois assis à sa place, on peut regarder l’itinéraire à l’arrivée, grâce à l’application Plans, afin de rejoindre son logement réservé via l’application Airbnb. Sans oublier de poster sur les réseaux sociaux une photo des paysages traversés à grande vitesse. « C’était inimaginable. Ils ont réussi à nous faire gagner du temps… mais tout en proposant d’occuper ce temps libre », analyse la sociologue.
Car le succès de l’iPhone, « le premier outil de technologie moderne et nomade devenu un prolongement du schéma corporel » pour Serge Tisseron, de l’académie des technologies, est aussi lié à une réussite marketing et économique. « Il a donné à l’incitation à interagir avec les autres une dimension permanente. C’est la base de son modèle économique, la récupération de nos données. Les algorithmes réussissent à nous faire passer des heures dessus, nous donnant l’impression d’une occupation sans fin, alors que l’on ne fait rien », explique celui qui est aussi psychiatre.
« Un sentiment d’arrachement lors de la perte de son iPhone »
Parler du développement de l’iPhone ne peut se faire sans évoquer l’addiction à celui-ci. « Ils lui ont façonné une image d’objet central de notre vie. Il a été markété comme un couteau Suisse, avec toutes ses applications. On n’a pas un iPhone par hasard mais par choix. Contrairement aux autres smartphones », analyse l’entrepreneur Rafi Haladjian.
« Dans les publicités, cet objet est présenté comme un créatif, notamment pour faire de belles photos, pas comme un téléphone que vous utiliserez pour appeler votre grand-mère ! Vous imaginez que vous pourrez nourrir votre quête de notoriété en partageant de beaux clichés. Et cela nous incite à penser que l’appareil augmentera notre popularité. C’est le premier objet que nous percevons comme une partie de nous, d’où les crises d’angoisses qui accompagnent sa perte ou sa casse », fait remarquer Serge Tisseron.
Le membre de l’académie des technologies aime le répéter : « Il faut apprendre à s’en servir, apprendre à s’en passer ». Et de rappeler ses victimes collatérales : les appareils photo et les baladeurs numériques (MP3).
Catherine Lejealle, la sociologue de l’ISC Paris y ajoute d’autres maux, plus sociétaux. « Il est devenu un objet jetable, comme des vêtements, avec un nouvel iPhone chaque année. Il a produit de l’extimité (rendre visibles certains aspects de soi jusque-là considérés comme relevant de l’intimité), mais aussi une incapacité à se fier à ses propres sens. C’est un accélérateur de temps qui a favorisé la société d’immédiateté que l’on connaît aujourd’hui. Sans oublier que, malgré le marché de la seconde main, tout le monde ne peut se l’offrir. Il est devenu un objet statutaire, avec un effet communautaire. Ne pas en posséder, c’est se marginaliser », énumère-t-elle, critique, recommandant la mise en place de cours d’usage du smartphone pour tous les ados.