Le YIVO Institute of Jewish Research de New York se veut être le grand dépositaire de la culture ashkénaze d’Europe de l’Est, et a mis en ligne ses documents.
Créée à Wilno (l’actuelle ville de Vilnius, alors en Pologne) dans les années 1920, l’institution déménage définitivement à New York dès les années 1940, poussée par la guerre. Riches de 400.000 volumes dans toutes les langues européennes, les archives et sa bibliothèque de recherche représentent ainsi la plus grande et la plus complète collection de documents sur la civilisation juive d’Europe de l’Est dans le monde. Et après plusieurs années de travail, l’accès à ces documents se trouve considérablement facilité.
Aux côtés des riches collections de sons et d’enregistrements, de photographies et de films, l’Institut de recherche juive, YIVO, contient, dans ses archives, des collections de théâtre et d’art, des documents communaux et personnels, des manuscrits, des journaux intimes, des mémoires, ou encore de la correspondance personnelle. En tout, quelque 23 millions d’articles constituent les archives de cette institution quasi centenaire.
La bibliothèque universitaire de l’institut YIVO, spécialisée dans l’histoire, les langues, la littérature, la culture, le folklore et les traditions religieuses des Juifs d’Europe de l’Est, contient également la plus grande collection de livres, de brochures et de journaux en yiddish au monde. Et à partir de ce lundi 10 janvier, après des opérations de numérisation, l’intégralité de la collection d’avant-guerre ayant survécu sera désormais disponible en ligne, et ainsi mise à la disposition des universitaires et du public intéressé dans le monde entier.
Le processus de numérisation a duré sept ans et coûté 7 millions $, somme réunie auprès de différents donateurs. Un pionnier du télémarketing, Edward Blank, a piloté la numérisation, et en remerciement de son travail, la collection numérique portera son nom. La réunion des documents en ligne a été rendue possible suite à des négociations entre le YIVO Institute of Jewish Research et le gouvernement lituanien, qui était déterminé à conserver les documents originaux au sein de son patrimoine national.
Parmi les pièces remarquables, citons un journal écrit à la main par Theodor Herzl, un des fondateurs du sionisme moderne ; des pages du manuscrit yiddish écrit à la main par Shalom Anski de sa pièce, Le Dibbouk ; des lettres d’Einstein à des écrivains et dramaturges ; des témoignages de pogroms en Russie, Pologne, Ukraine et Biélorussie ; des archives professionnelles et personnelles de la famille Rothschild ; des chansons traditionnelles yiddish sur l’amour ; ou encore des eaux-fortes signées Marc Chagall.
Les collections de l’institut couvrent la civilisation juive du XVe au XXIe siècle, en mettant l’accent sur les Juifs d’Europe de l’Est et leurs descendants. Un accent particulier est mis sur la langue et la culture yiddish, la vie juive en Europe, l’Holocauste et ses conséquences, et la vie juive aux États-Unis.
Albert Einstein et Sigmund Freud, membres d’honneur
Fondé à Berlin et à Wilno, en Pologne, aujourd’hui Vilnius, capitale de la Lituanie, en 1925, par un groupe de linguistes et d’historiens juifs, cet « institut scientifique » avait pour ambition de recueillir des manuscrits littéraires, des lettres, des affiches de théâtre, ou des documents en tout genre, afin qu’ils puissent documenter la culture yiddish florissante d’Europe de l’Est, mais aussi promouvoir sa langue. Parmi ses membres d’honneur, Albert Einstein et Sigmund Freud, Theodore Herzl, Sholem Aleichem, ou encore le philosophe Martin Buber. Très rapidement, le centre de Vilnius devient le principal centre d’archives mondial des Juifs d’Europe de l’Est.
La Seconde Guerre mondiale contraint ensuite l’institut à déménager à New York, où il a son siège social depuis 1940. En 1941, les nazis saccagent l’institut lituanien et détruisent une grande partie de la collection, envoyant néanmoins quelques pièces dans un centre près de Francfort, afin d’étudier ce qu’ils considéraient comme un peuple à exterminer.
Avec l’aide de l’armée américaine et de la « Brigade du papier », un groupe de 40 poètes et intellectuels, YIVO a pu récupérer une partie de ces trésors et recommencer son travail de documentation aux États-Unis. Cette courageuse brigade d’érudits a caché des livres et des documents précieux dans leurs vêtements et les a placés dans des greniers et des bunkers souterrains. Après la guerre, ceux qui ont survécu à l’Holocauste ont récupéré et restitué ces trésors.
Les documents de Francfort, eux, ont été récupérés par des soldats alliés et des experts en art, désigné comme les Monuments Men et rendus célèbres par un film de George Clooney sorti en 2014. Ces derniers ont ensuite expédié ces pièces au nouveau siège de YIVO à New York.
Lorsque l’Union soviétique a absorbé la Lituanie, d’autres documents ont été sauvés par un bibliothécaire, Antanas Ulpis, qui les a dissimulé dans le sous-sol d’une église catholique. Des documents redécouverts, en 1991, dans un premier temps, puis à nouveau en 2017.
« Maintenant, enfin, cette véritable mine d’or est reconstituée, virtuellement, ouvrant pour l’érudit et le lecteur des connaissances sur un monde disparu, et ce, de manière infiniment plus accessible », a déclaré Steven J. Zipperstein, professeur d’histoire juive à l’Université de Stanford, dans un communiqué publié par YIVO.
Hocine Bouhadjera