De nouveaux projets pourraient voir le jour sur ce site, situé à proximité du camp de réfugiés palestiniens de Qalandiya.
Pour rejoindre l’ex-aéroport international de Jérusalem, il faut emprunter à la sortie de la partie orientale de la Ville sainte une quatre-voies enserrée dans des murs de séparation. Le cordon de bitume et de béton conduit l’automobiliste à un rond-point puis, par des chemins de traverse, sur la piste de l’aérodrome. À une cinquantaine de mètres, derrière la clôture de sécurité, se dressent les buildings d’un quartier palestinien. La tour de contrôle cernée de barbelés est en piteux état. On y croise devant l’entrée un renard surpris de rencontrer une présence humaine sur son territoire. Bienvenue à Atarot airport, base avancée fantôme de la présence israélienne en Cisjordanie!
Le site, situé à proximité du camp de réfugiés palestiniens de Qalandiya, est plus proche de Ramallah, le siège de l’Autorité Palestinienne (AP), que du centre de Jérusalem. À portée des tirs palestiniens, il a fermé au début des combats de la deuxième Intifada pour ne plus rouvrir. La municipalité souhaiterait aujourd’hui le transformer, avec le soutien de ministres de droite, en quartier destiné à la communauté ultraorthodoxe, dont la population ne cesse de croître. Un projet rejeté par les États-Unis. Il vient d’être gelé pour un an.
Dans son défunt «plan de paix pour le Proche-Orient», Donald Trump proposait, dans une rare concession à la partie palestinienne, la création sur cette friche d’un centre touristique sous-pavillon de l’AP. Nul doute que ses conseillers n’avaient pas mis les pieds dans les terrains vagues couverts d’ordure et les zones industrielles des environs. Des représentants de la gauche au sein du gouvernement de coalition de Naftali Bennett, comme la ministre des Transports, Merav Michaeli, et le ministre de la Coopération régionale, Issawi Frej, suggèrent un retour du lieu à sa vocation originelle.
Un lieu à l’abandon
L’initiative comblerait un vide puisque Israël est sans doute le seul pays au monde à ne pas être doté d’un aéroport dans ce qu’il considère être sa capitale. «Nous pourrions bâtir une plateforme aérienne qui desservirait la zone métropolitaine de Jérusalem, y compris les trois millions de Palestiniens qui ne peuvent pas se rendre à l’étranger, sauf via la Jordanie», avance Issawi Frej. L’idée d’un parc inspiré de l’exemple de l’ancien aéroport berlinois de Tempelhof, reconverti en vaste espace de détente urbaine, fait également son chemin dans les médias. Elle émane d’Eldad Brin, un guide touristique israélien, gardien de la mémoire de l’aéroport. «Le terminal et la piste pourraient être au centre d’un lieu unique en Israël. Ce serait une façon de commémorer la participation de l’aérodrome à l’histoire de la ville», propose-t-il.
En attendant, un effort est nécessaire pour imaginer les infrastructures au siècle dernier. La tour de contrôle est ouverte à tous les vents, les marches de son escalier sont recouvertes d’une épaisse couche de poussière et sa partie haute est jonchée de carcasses d’ordinateurs préhistoriques, de câbles enchevêtrés et de classeurs en lambeaux. Avec ses ronces et ses herbes hautes, le terrain est revenu à l’état sauvage. L’aérogare et son salon VIP menacent de s’effondrer. Le complexe sert de parking a des compagnies d’autobus et d’annexe à des entreprises du bâtiment.
L’histoire de ce lieu étrange se confond avec celle de Jérusalem. Les installations datent du début du mandat britannique, au lendemain de la Première Guerre mondiale. La parenthèse anglaise s’est fermée avec le vol de départ, en 1948, de sir Alan Cunnigham, le dernier haut-commissaire pour la Palestine de l’empire de Sa Majesté la reine. Les forces juives s’emparent alors de cette position stratégique. Elles en sont chassées par la Légion arabe de Transjordanie, qui occupe Jérusalem-Est.
Un lieu soumis aux aléas de l’Histoire
Rebaptisé «aéroport international de Jérusalem», l’aéroport supplante en termes de voyageurs celui d’Amman, la capitale du royaume. «Le roi Hussein avait compris le bénéfice politique qu’il pouvait tirer du trafic. Les avions qui atterrissaient et décollaient légitimaient le caractère jordanien de la Ville sainte», explique Eldad Brin. L’aéroport connaît son âge d’or malgré ses défauts. Sa piste est trop courte pour recevoir des avions long-courriers et elle n’est pas éclairée. Les compagnies occidentales l’évitent mais les grandes capitales du Moyen-Orient sont desservies. On voyage de Jérusalem à Téhéran. Le roi Hussein n’a pas le temps de mener à bien des travaux d’agrandissement. En 1967, la guerre des Six-Jours éclate et Israël occupe Jérusalem-Est. L’aérodrome est rebaptisé «Atarot», du nom d’une ancienne communauté sioniste paysanne des environs.
Lors de l’annexion de Jérusalem-Est, il est inclus dans le périmètre municipal. Une solution préférable, aux yeux des autorités israéliennes, à un statut d’occupation militaire qui n’aurait pas permis de tamponner les passeports des visiteurs étrangers. La précaution est inutile. La communauté internationale le considère comme un territoire occupé et le boycotte. Le hall de départ n’est plus fréquenté que par des vacanciers israéliens en partance pour la station balnéaire d’Eilat. Le soulèvement palestinien lui donne le coup de grâce et le plonge dans un silence définitif.
Annoncé en novembre, le projet de construction de 9000 nouveaux logements s’inscrit dans une stratégie globale d’expansion israélienne de Jérusalem-Est. Il s’accompagne, par exemple, de la construction de 3400 logements sur une colline aride appelée E1, qui diviserait les parties nord et sud de la Cisjordanie, et de l’expropriation de terres palestiniennes dans la partie occidentale de la ville. «Ces plans progressent simultanément. Ils sont révélateurs de la volonté du gouvernement israélien de les poursuivre bien qu’ils constituent des lignes rouges internationales car ils rendraient caduc l’établissement d’un État palestinien viable», estime l’avocat Daniel Seideman, fondateur d’Ir Amim, une ONG israélienne opposée à la colonisation de Jérusalem.
Début décembre, le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a exhorté au cours d’un appel téléphonique le premier ministre Naftali Bennett à s’abstenir de toute mesure unilatérale, en rappelant que «l’avancée des activités de colonisation» saperait la perspective d’une solution négociée au conflit israélo-palestinien. À défaut d’être jeté aux oubliettes, le programme de logements d’Atarot a finalement été repoussé pour laisser le temps à une commission d’évaluer son impact environnemental, un sujet qui soudain préoccupe ses initiateurs. De quoi éviter une crise diplomatique… jusqu’au prochain épisode du feuilleton.
Par Thierry Oberlé